CTC : Ces études qui coûtent cher


Le Pays a dépensé 500 à 600 millions de francs par an en moyenne en études et missions de conseil entre 2017 et 2021, note la Chambre territoriale des comptes. photo archives tahiti infos
Tahiti, le 10 octobre 2023 – Cinq cents à 600 millions de francs par an en moyenne. C'est ce que le Pays a dépensé en études et missions de conseil entre 2017 et 2021, note la Chambre territoriale des comptes dans son dernier rapport relatif aux prestations intellectuelles sur cette période. Des dépenses qui ne peuvent pas être “précisément chiffrées et cartographiées”, faute d'outils adaptés, regrette la CTC qui émet huit recommandations.
 
Après les financements et aides en faveur des archipels éloignés depuis 2017, la Chambre territoriale des comptes (CTC) a tenté de quantifier précisément les dépenses du Pays en matière d'études et de prestations de conseil. Mais la juridiction administrative s'est heurtée au même problème : une information insuffisante et limitée en raison d'outils inadaptés (diversité de comptes possible, pas de cartographie des achats au sein du Pays).
 
Résultat des courses, elle n'est pas en mesure de chiffrer de manière exhaustive et fiable ces dépenses qu'elle estime, sur la seule base des données de la Direction du budget, “en moyenne entre 500 et 600 millions de francs en année pleine”, soit entre 2,5 et 3 milliards de francs sur les cinq exercices concernés. Elle souligne que l'année 2021 a conduit à un plus grand recours aux prestataires (à hauteur de 986 millions de francs) pour accompagner le Pays dans sa lutte contre le Covid. Une somme non négligeable, mais qui ne pèse que pour 0,6% des dépenses annuelles de fonctionnement du Pays (hors dépenses de personnel bien entendu).
 
Cinq catégories définies
 
La CTC a effectué un recensement du périmètre comptable de ces dépenses susceptibles de correspondre à des études et prestations de conseil, pour pouvoir ensuite les “cerner par type de catégorie”. La Chambre en a défini cinq qui vont de l'expertise dans un domaine spécifique, à l'assistance pour la gestion des ressources humaines, en passant par l'accompagnement des projets dans les ministères et services, l'aide à la décision ou encore le conseil en communication.
 
Et c'est l'expertise qui arrive en tête du classement avec près de deux milliards de francs dépensés entre 2017 et 2021 dans les secteurs de la perliculture, l'agriculture, le développement de la filière bois ou la préservation des lagons... On notera, parmi l'accompagnement des projets, la campagne d'inscription des Marquises à l'Unesco pour 80,1 millions de francs, le devenir (toujours incertain) de notre protection sociale généralisée à hauteur de 68,3 millions de francs ou encore les stratégies de développement touristique 2015-2020 et 2021-2025 pour 63,2 millions.
 
Pour le domaine de l'aide à la personne, trois prestataires sont concernés : le premier pour une prestation d'accompagnement technique et stratégique auprès des instances nationales, européennes et internationales, en matière de politique agricole (44,5 millions de francs) ; le deuxième pour renforcer les relations entre la Polynésie française et la Chine, ce prestataire devant notamment travailler sur les deux grands projets qu'étaient le Mahana Beach (revu et corrigé depuis en Village tahitien lui aussi en attente) et le projet aquacole de Hao (avorté lui aussi). Enfin, le troisième prestataire, ou plutôt “lobbyiste au sens professionnel du terme”, auquel le Pays a eu recours est intervenu sur différentes missions (pour 28,8 millions de francs) qui restent assez nébuleuses pour la CTC qui remarque que “la prestation paraît se résumer en réalité à mettre en relation les interlocuteurs”. Ça fait cher la mise en relation.
 
Les collaborateurs de cabinet en question
 
Ces dépenses sont par ailleurs difficiles à programmer “en l'absence de doctrine d'emploi”, note la CTC, puisque le recours à ces prestataires répond davantage à des “considérations pragmatiques et conjoncturelles appréciées de manière isolée par chaque ministre ou service qu'à des lignes directrices fixées par le Pays sur l'intervention de tiers dans les affaires publiques”. D'autant que certains interviennent parfois dans des missions qui incombent en principe aux cadres de l'administration du Pays. Mieux, la CTC pointe du doigt des recours qui “s'inscrivent en limite de régularité avec des prestataires mensualisés sur des missions de plusieurs années”.
 
La Chambre s'interroge d'ailleurs sur les missions confiées aux collaborateurs de cabinet, et à cet égard, elle estime “légitime” de limiter autant que faire se peut le recours à des études ou des prestations de conseil lorsqu'elles ne se justifient pas. Autrement dit, quand cela relève des attributions dudit collaborateur. Sauf que depuis que les ministères ont une enveloppe budgétaire contrainte (3%) pour embaucher leurs collaborateurs, ils font justement davantage appel à ces prestataires.
 
Des experts qui coûtent cher, certes, mais qui ont le mérite de ne pas figurer sur la ligne des dépenses de personnel. C'est tout bénef politiquement car ces dépenses en études et conseils étant fléchées ailleurs (et difficilement traçables), cela permet de ne pas gonfler la note des dépenses de personnel du gouvernement qui sont scrutées à la loupe chaque année. Un tour de passe-passe budgétaire en somme qui peut faire croire que les dépenses de personnel diminuent alors qu'en parallèle, celles en études et conseils explosent.

Les huit recommandations de la CTC
 
1. Définir, dès 2024, une doctrine d'emploi pour le recours aux prestataires d'études et de conseils.
2. Mettre en place, dès 2024, une cartographie des achats, notamment dans le domaine des prestations intellectuelles.
3. Définir, dès 2024, le niveau pertinent des besoins au niveau interministériel pour certaines prestations intellectuelles.
4. Instaurer, dès 2024, un processus d'évaluation spécifique aux prestations de conseil.
5. Établir, dès 2024, un recueil informatif des coûts horaires ou journaliers de prestataires, ainsi que des durées pour des missions “type”.
6. Instaurer, dès 2024, une information auprès d'un service ou d'une direction à désigner par le Pays, préalablement au lancement d'études ou missions de conseil.
7. Constituer, dès 2024, une base de données des études et livrables réalisés à l'occasion des prestations intellectuelles.
8. Envisager, dès 2023, un dispositif pour encadrer les transitions d'agents du Pays à prestataires du Pays.
 

Rédigé par Stéphanie Delorme le Mardi 10 Octobre 2023 à 20:00 | Lu 3940 fois