Tahiti, le 14 mars 2025 – Président de la Polynésie française dans les années Covid, Édouard Fritch évoque ses doutes dans la gestion difficile d’une crise sanitaire et sociale qui a douloureusement blessé la Polynésie et qui s’est soldée par une défaite électorale pour lui aux territoriales de 2023.
En fin d’année 2019, vous êtes président du Pays. Le tourisme est à son plus haut, les courbes économiques se redressent. En Chine, on commence à parler d’un virus un peu bizarre… Quatre mois plus tard, tout s’arrête, le Pays est confiné. Les avions sont cloués au sol. Comment avez-vous vécu cela ?
“On se sent complètement désarmé au départ. Ça part de la Chine, ça gagne l’Europe, le monde… On voyait ce monstre marcher vers la Polynésie tout doucement. Le premier cas est apparu assez rapidement chez nous. Le virus a fait le tour du monde à une vitesse hallucinante. On ne savait rien de ce virus. Tout ce qu’on savait, c’est qu’il fallait éviter les contacts. On apprenait par la suite, que rien qu’en se parlant, on pouvait se le transmettre. Alors il a fallu des masques.”
Et le Pays n’en avait que très peu.
“Ça a été une course mondiale pour les masques et le gel hydroalcoolique. Mais le virus n’était pas encore très dangereux alors… Et c’est après que l’on a découvert que toutes les personnes à la santé fragile étaient encore plus exposées. On a essayé de protéger la population en fournissant des masques, du gel, en commandant tout de suite des respirateurs. On a envoyé des avions en Chine. On a exhumé de vieux accords passés dans les années 1980 par Flosse entre la Chine et la Polynésie française pour pouvoir y envoyer nos avions alors que les frontières étaient fermées. On a pu commencer à mettre en place les premiers moyens de protection. On a commencé à restreindre la circulation des gens, on a essayé de demander de ne plus sortir le soir, on a fermé les établissements accueillant du public. On est même allés jusqu’à interdire les accès aux plages et aux églises. On est parvenu à stopper la première vague comme ça. Mais les gens ont tout de suite crié aux mesures liberticides.”
Surtout que le partage de compétences entre l’État et le Pays était un peu flou pour lutter contre la pandémie.
“Avec le haut-commissaire, Dominique Sorain, on devait sans cesse discuter ensemble. La santé est de compétence du Pays ; la circulation des personnes de la compétence de l’État : il fallait nous mettre d’accord sinon nous aurions été totalement inefficaces. Nous avons travaillé ensemble, réunis toutes nos forces face à ce virus.”
Ça vous a été reproché.
“On a dit que j’étais ‘la serpillère du haut-commissaire’, que je ne faisais que le suivre. Mais il faut savoir que seule, la Polynésie ne s’en sortait pas. Il fallait mettre les moyens de l’État et ceux du Pays en commun. Le haut-commissaire était vraiment gêné de devoir prendre des décisions qui enfreignaient les libertés… Nous n’avons pas fait ça de gaieté de cœur. Sans l’État, nous aurions sauvé peu de vies.”
Beaucoup disaient, ‘Il suffit de fermer le pays, et on est tranquille’.
“Et nous aurions définitivement coulé l’économie du pays. La Nouvelle-Zélande, qui est une puissance financière bien plus importante que la nôtre, a pris ce chemin. Et aujourd’hui, elle a du mal à s’en remettre. Le pays est en récession, et n’a pas pu éviter les morts pour autant [près de 4 000 décès, NDLR]. Nous avons bien fait, il fallait penser à se relever.”
Le premier décès intervient en septembre 2020. Cette vague fera ses premiers morts jusqu’en févier 2021. Puis ce sera une période de calme jusqu’au mois de juillet 2021 et l’arrivée du variant Delta.
“On a tout mis sur le dos de la visite du président Macron quelques semaines avant. Mais le premier cas de variant Delta était un militaire polynésien qui avait refusé de se soumettre aux tests, qu’on a mis trois jours à retrouver et qui avait contaminé plein de gens pendant cette période. Le variant Delta était hyper contagieux, et on n’en était encore qu’au début de la vaccination. Même pas un quart de la population était vaccinée. On était dans le sauve-qui-peut.”
Il y a eu beaucoup de décès à cette période.
“À partir de juillet 2021, je me suis rendu très souvent à l’hôpital. Je voyais débarquer les équipes médicales pour la relève… Ils étaient démontés, mais ils étaient extraordinaires. Il y avait une femme au service de réanimation… Mais quelle résistance, quelle force elle avait ! Il y avait des équipes qui était KO debout, et qui pourtant continuaient à avancer. On avait jusqu’à 30 morts par jour. Les soignants, malgré des conditions terribles, étaient toujours à l’affut, toujours à chercher des solutions pour trouver de la place dans l’hôpital, pour aider les patients. De vrais professionnels qui se battaient au quotidien. Il y avait aussi les équipes de santé sur le terrain, les infirmiers, les cliniques… Le corps médical était suspendu à un fil. S’il cassait, on était mal. Au service de réanimation, c’est là que je me suis rendu compte qu’on avait un problème en Polynésie. L’obésité, le diabète, le tabagisme, etc. étaient autant d’alliés du Covid pour tuer le plus grand nombre.”
Et au milieu de tout cela, les polémiques…
“Des reproches, il y en a eu à toutes les étapes et certains ont fait de la politique dessus. On m’a reproché la cérémonie œcuménique en 2020, il y a eu la frilosité sur la vaccination, y compris par certaines églises qui prêchaient que si on se faisait vacciner, cela aller nous enlever notre ‘mā’ohitude’. Il y a ceux qui prescrivaient de l’Ivermectine et de la Chloroquine pour rien, du rā’au tahiti qui ne marchait pas et j’en passe…”
Et l’absence de vaccination de Gaston Tong Sang, de Tearii Alpha, et le mariage de ce même Tearii Alpha.
“J’ai rendu obligatoire ce vaccin. J’ai fait la loi sans obligation pour les élus car cela n’aurait pas juste concerné que les 57 élus de l’assemblée, mais tous les élus de conseils municipaux aussi. Cependant, j’ai pensé que des élus qui votent une loi allaient nécessairement se l’appliquer à eux-mêmes… Eh bien non. Tearii Alpha nous sort son histoire de ‘biologie particulière’, Tong Sang refuse et est soutenu par les autres tāvana des Raromatai et puis ce mariage… On était tous là. Il y avait l’amiral, l’actuel président de la Polynésie… Tous ceux qui m’en voulaient étaient là eux aussi. En faisant sa vidéo, Vaite à l’époque n’a fait que son travail, même si ça nous a fâché, même si on était dans un cadre privé. C’étaient des erreurs. Il fallait faire attention à notre comportement, en tant que responsables. Le décès de Sylvestre (Bodin, son directeur de cabinet) et le passage de son cercueil à la présidence… [Longue inspiration ; très ému]. Je ne pouvais pas faire autrement. J’étais trop attaché à ce garçon, c’était une partie de moi qui partait. Mais je n’aurais pas dû. Quand on donne des consignes, on doit être le premier à les respecter. Ce jour-là, j’ai fait parler mon cœur, plutôt que ma raison. C’était trop dur. Mais c’est la conclusion que j’en tire… À ce poste-là, il n’y a que la raison et la loi qui doivent s’exprimer et il faut laisser le cœur de côté. Tu dois servir d’exemple.”
En fin d’année 2019, vous êtes président du Pays. Le tourisme est à son plus haut, les courbes économiques se redressent. En Chine, on commence à parler d’un virus un peu bizarre… Quatre mois plus tard, tout s’arrête, le Pays est confiné. Les avions sont cloués au sol. Comment avez-vous vécu cela ?
“On se sent complètement désarmé au départ. Ça part de la Chine, ça gagne l’Europe, le monde… On voyait ce monstre marcher vers la Polynésie tout doucement. Le premier cas est apparu assez rapidement chez nous. Le virus a fait le tour du monde à une vitesse hallucinante. On ne savait rien de ce virus. Tout ce qu’on savait, c’est qu’il fallait éviter les contacts. On apprenait par la suite, que rien qu’en se parlant, on pouvait se le transmettre. Alors il a fallu des masques.”
Et le Pays n’en avait que très peu.
“Ça a été une course mondiale pour les masques et le gel hydroalcoolique. Mais le virus n’était pas encore très dangereux alors… Et c’est après que l’on a découvert que toutes les personnes à la santé fragile étaient encore plus exposées. On a essayé de protéger la population en fournissant des masques, du gel, en commandant tout de suite des respirateurs. On a envoyé des avions en Chine. On a exhumé de vieux accords passés dans les années 1980 par Flosse entre la Chine et la Polynésie française pour pouvoir y envoyer nos avions alors que les frontières étaient fermées. On a pu commencer à mettre en place les premiers moyens de protection. On a commencé à restreindre la circulation des gens, on a essayé de demander de ne plus sortir le soir, on a fermé les établissements accueillant du public. On est même allés jusqu’à interdire les accès aux plages et aux églises. On est parvenu à stopper la première vague comme ça. Mais les gens ont tout de suite crié aux mesures liberticides.”
Surtout que le partage de compétences entre l’État et le Pays était un peu flou pour lutter contre la pandémie.
“Avec le haut-commissaire, Dominique Sorain, on devait sans cesse discuter ensemble. La santé est de compétence du Pays ; la circulation des personnes de la compétence de l’État : il fallait nous mettre d’accord sinon nous aurions été totalement inefficaces. Nous avons travaillé ensemble, réunis toutes nos forces face à ce virus.”
Ça vous a été reproché.
“On a dit que j’étais ‘la serpillère du haut-commissaire’, que je ne faisais que le suivre. Mais il faut savoir que seule, la Polynésie ne s’en sortait pas. Il fallait mettre les moyens de l’État et ceux du Pays en commun. Le haut-commissaire était vraiment gêné de devoir prendre des décisions qui enfreignaient les libertés… Nous n’avons pas fait ça de gaieté de cœur. Sans l’État, nous aurions sauvé peu de vies.”
Beaucoup disaient, ‘Il suffit de fermer le pays, et on est tranquille’.
“Et nous aurions définitivement coulé l’économie du pays. La Nouvelle-Zélande, qui est une puissance financière bien plus importante que la nôtre, a pris ce chemin. Et aujourd’hui, elle a du mal à s’en remettre. Le pays est en récession, et n’a pas pu éviter les morts pour autant [près de 4 000 décès, NDLR]. Nous avons bien fait, il fallait penser à se relever.”
Le premier décès intervient en septembre 2020. Cette vague fera ses premiers morts jusqu’en févier 2021. Puis ce sera une période de calme jusqu’au mois de juillet 2021 et l’arrivée du variant Delta.
“On a tout mis sur le dos de la visite du président Macron quelques semaines avant. Mais le premier cas de variant Delta était un militaire polynésien qui avait refusé de se soumettre aux tests, qu’on a mis trois jours à retrouver et qui avait contaminé plein de gens pendant cette période. Le variant Delta était hyper contagieux, et on n’en était encore qu’au début de la vaccination. Même pas un quart de la population était vaccinée. On était dans le sauve-qui-peut.”
Il y a eu beaucoup de décès à cette période.
“À partir de juillet 2021, je me suis rendu très souvent à l’hôpital. Je voyais débarquer les équipes médicales pour la relève… Ils étaient démontés, mais ils étaient extraordinaires. Il y avait une femme au service de réanimation… Mais quelle résistance, quelle force elle avait ! Il y avait des équipes qui était KO debout, et qui pourtant continuaient à avancer. On avait jusqu’à 30 morts par jour. Les soignants, malgré des conditions terribles, étaient toujours à l’affut, toujours à chercher des solutions pour trouver de la place dans l’hôpital, pour aider les patients. De vrais professionnels qui se battaient au quotidien. Il y avait aussi les équipes de santé sur le terrain, les infirmiers, les cliniques… Le corps médical était suspendu à un fil. S’il cassait, on était mal. Au service de réanimation, c’est là que je me suis rendu compte qu’on avait un problème en Polynésie. L’obésité, le diabète, le tabagisme, etc. étaient autant d’alliés du Covid pour tuer le plus grand nombre.”
Et au milieu de tout cela, les polémiques…
“Des reproches, il y en a eu à toutes les étapes et certains ont fait de la politique dessus. On m’a reproché la cérémonie œcuménique en 2020, il y a eu la frilosité sur la vaccination, y compris par certaines églises qui prêchaient que si on se faisait vacciner, cela aller nous enlever notre ‘mā’ohitude’. Il y a ceux qui prescrivaient de l’Ivermectine et de la Chloroquine pour rien, du rā’au tahiti qui ne marchait pas et j’en passe…”
Et l’absence de vaccination de Gaston Tong Sang, de Tearii Alpha, et le mariage de ce même Tearii Alpha.
“J’ai rendu obligatoire ce vaccin. J’ai fait la loi sans obligation pour les élus car cela n’aurait pas juste concerné que les 57 élus de l’assemblée, mais tous les élus de conseils municipaux aussi. Cependant, j’ai pensé que des élus qui votent une loi allaient nécessairement se l’appliquer à eux-mêmes… Eh bien non. Tearii Alpha nous sort son histoire de ‘biologie particulière’, Tong Sang refuse et est soutenu par les autres tāvana des Raromatai et puis ce mariage… On était tous là. Il y avait l’amiral, l’actuel président de la Polynésie… Tous ceux qui m’en voulaient étaient là eux aussi. En faisant sa vidéo, Vaite à l’époque n’a fait que son travail, même si ça nous a fâché, même si on était dans un cadre privé. C’étaient des erreurs. Il fallait faire attention à notre comportement, en tant que responsables. Le décès de Sylvestre (Bodin, son directeur de cabinet) et le passage de son cercueil à la présidence… [Longue inspiration ; très ému]. Je ne pouvais pas faire autrement. J’étais trop attaché à ce garçon, c’était une partie de moi qui partait. Mais je n’aurais pas dû. Quand on donne des consignes, on doit être le premier à les respecter. Ce jour-là, j’ai fait parler mon cœur, plutôt que ma raison. C’était trop dur. Mais c’est la conclusion que j’en tire… À ce poste-là, il n’y a que la raison et la loi qui doivent s’exprimer et il faut laisser le cœur de côté. Tu dois servir d’exemple.”