“Très tôt, dès janvier 2020, on a pu voir ce qu’il se passait ailleurs. On a monté un groupe de travail avec une dizaine de médecins et en lisant les publications scientifiques et les publications de nos confrères et on a compris que ce n’était pas une blague, que c’était une vraie pandémie qui commençait ; mais il y avait encore beaucoup d’inconnu”, se remémore-t-elle. Le virus tendait sa toile. Le Fenua, protégé par les confinements et les restrictions de circulation, tentait de s’organiser. Au CHPF, les médecins avaient déjà pris la mesure de ce qui s’annonçait alors : “On a commencé à former les gens sur l’habillement spécifique”, poursuit-elle. “Le service des urgences, la régulation, les cadres ainsi que nos responsables du matériel et le service formation du CESU se sont mis en ordre de marche, ainsi que les services techniques. On a même commencé à fabriquer du matériel. Les cadres se sont focalisés dessus et ont créé des choses extraordinaires avec des systèmes de ventilation inédits. On s’est beaucoup préparé. Pendant plusieurs semaines et plusieurs mois, en dehors de notre travail : on n’a fait que ça.”
“Ça arrivait de partout”
Des semaines à sauver des vies, à “repousser” les murs de l’hôpital pour faire face à l’afflux des patients. Des semaines à tenter parfois d’éviter l’inévitable pour le personnel soignant. “C’était dur. […] On était dans un tunnel. On avançait 12 heures par jour, plus les nuits. On ne se posait pas de question. On était porté par notre mission. On était dans l'action. Les équipes de chaque service ont travaillé en collaboration en faisant preuve d'une grande adaptabilité”, se souvient-elle.
En dépit des efforts déployés, les décès se sont multipliés. “On a pris de plein fouet le problème du surpoids en Polynésie. Les patients avaient moins de risque de mourir à 60 ans sans surpoids qu'à 40 avec des facteurs de risque comme l'obésité ou le diabète. C’était vraiment une épidémie très spécifique. Les gens arrivaient très mal. Il y avait un décalage entre le ressenti et la réalité. C’est la première fois que l’on voyait ça”, poursuit la praticienne. “Les malades atteints de formes graves du Covid avaient un taux de saturation à 50%. C'était très dur... Quelqu'un qui était très atteint mais qui ne semblait pas si malade et dont le taux de saturation était extrêmement faible avec une atteinte pulmonaire majeure… En quelques heures... il pouvait décéder ou être hospitalisé pour de longues semaines en réanimation.”
Face à l’obstination déraisonnable
Puis il y eu la sortie de crise. Progressive, lente. “La vie a repris”, relate Mélanie Tranchet. “À la sortie, ça a été compliqué. Tout le monde était fatigué. Toute la pression, physique, psychologique, les situations de détresse qu’on a vues, ça nous est revenu dans la figure et il y a eu pas mal de dépressions. On le savait, on nous avait prévenu : ‘Le plus dur, c’est l’après’. Les soignants de tous les services ont été très touchés par les patients et par leurs familles.”
Les premières consultations dans l’inconnu
Les premiers cas de Covid-19 ont été détectés en Polynésie française en mars 2020. À ce stade, la maladie restait encore largement méconnue, et les premières consultations ont été menées avec prudence. “Il faut savoir qu’on avait déjà entendu parler du virus, nous savions qu’il finirait par arriver au Fenua”, raconte un des premiers médecins généralistes à avoir examiné un patient atteint du Covid sur le territoire.
Alerté par l’Agence de régulation de l’action sanitaire et sociale (Arass), ce praticien s’est rendu au domicile du malade sans hésitation. “On m’a simplement demandé si j’acceptais d’y aller.” À l’époque, aucun protocole sanitaire précis n’avait encore été établi. “J'y suis allé avec un masque, des gants et du gel hydroalcoolique. Et j'avais ma petite boîte avec mon matériel d’examen, que j’ai soigneusement décontaminé après la consultation.”
Malgré le contexte d’incertitude, le médecin affirme ne pas avoir ressenti d’inquiétude particulière. “Je n’avais pas d’appréhension, même si nous étions conscients des risques. Il n’y avait pas cette boule au ventre qu’on pourrait imaginer. L’anxiété, ce sont les médias et les politiques qui l’ont diffusée après. Moi, je faisais simplement mon travail, avec bien sûr un peu plus de précautions que d’habitude.” En Polynésie, les médecins généralistes ont été l'une des premières lignes de défenses lors des phases épidémiques.