“C'est le communisme !”, l'économie libérale en danger au Cesec


Le débat était animé ce mardi au Cesec, dont les membres se sont penchés sur le projet de loi du Pays portant sur la mise en place d'une réglementation des marges sur les produits et services. Crédit photo : Thibault Segalard.
Tahiti, le 23 juillet 2024Le projet de loi sur la mise en place d'une réglementation des marges des produits et services n'aura pas fait l'unanimité au Cesec. Christophe Plée, patron de la CPME et membre de l'institution, a notamment passé un coup de gueule, exhortant ses confrères à “soutenir l'économie libérale”.
 
Au Conseil économique, social, environnemental et culturel (Cesec) ce mardi, Christophe Plée, membre de la quatrième institution du Pays et patron de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), n'a pas hésité à exprimer sa colère sur le projet de loi étudié en séance plénière.
 
Le Cesec étudiait en effet un projet d'avis sur un projet de loi à la demande du Pays. Un texte une nouvelle fois transmis en urgence, ce qui a une énième fois été déploré par le Cesec, les rapporteurs du projet d'avis ayant exprimé leur incompréhension face à une saisine en urgence concernant un sujet économiquement important. Christophe Plée a également pointé du doigt la temporalité suspecte du dossier, “qui arrive en plein mois de juillet”, alors que la session ordinaire administrative de l'assemblée s'est achevée le 9 juillet dernier.
 
Concernant le texte de loi qui a provoqué un débat animé entre les membres du Cesec, celui-ci porte sur la modification du code de la concurrence et plus spécifiquement de la partie encadrant la liberté des prix. Le gouvernement souhaite désormais pouvoir encadrer les prix de certains produits. En effet, le Pays estime que même avec l'existence de très nombreux régimes fiscaux ou douaniers particuliers sur certains produits ou services, il est impossible de garantir leur efficacité et leurs répercussions finales, c’est-à-dire les coûts d'achat pour les consommateurs. Une volonté louable, comme l'a rappelé Makalio Folitu, le président de l'association des consommateurs Te Tia Ara – surtout connaissant le rapport, datant de 2019, de l'Autorité polynésienne de la concurrence (APC) sur les différences de prix avec la métropole, qui annonce que 44% de ces écarts sont dus à la marge encaissée par les exploitants et commerces – mais qui, sur le fond et la forme, interroge et provoque la colère du monde de l'entrepreneuriat. C'est notamment le cas du flou entretenu par le texte de loi sur les limites constitutionnelles de ce projet, sur les secteurs économiques visés, mais aussi sur l'absence d'évaluation d'impact que pourrait avoir cette nouvelle réglementation. Des interrogations soulevées par les deux rédacteurs du projet d'avis du Cesec, Félix Fong et Atonia Teriinohorai.
 
La faucille et le marteau

Christophe Plée, qui sans nul doute prêche pour sa paroisse, n'a pas mâché ses mots au moment de réagir à ce projet de loi. Pour lui, l'encadrement des prix est une atteinte à la liberté d'entreprendre. “Déjà, les PPN et les PGC sont distribués par des entreprises privées, qui ont des coûts, des salariés... On nous demande également de récolter la TVA, mais aussi de créer de l'emploi”, rappelle-t-il avant de fulminer : “Et maintenant, on va nous demander de marger nos produits en fonction des décisions du Pays ? L'exonération est un choix du gouvernement, mais aujourd'hui, on nous dit qu'on va vendre des produits, mais attention, qu'on va contrôler nos marges et nos prix. Dans ce cas-là, il faut ouvrir des magasins du gouvernement, des coopératives, avec des fonctionnaires. Mais ça, ça s'appelle du communisme !” Une problématique également soulevée par les rapporteurs du projet d'avis du Cesec, qui ont expliqué que le “Pays s'inscrirait dans une économie totalement administrée” et non plus libérale, si le gouvernement venait à instaurer une réglementation des prix et des services. “Actuellement, il faut justement défendre notre économie libérale”, a soutenu le patron de la CPME.
 
Par ailleurs, Jean-François Benhamza, le président de la commission économie du Cesec, a souligné les dangers que peut amener la création de cette future réglementation, tels que la création d'un marché noir, où les produits seront revendus plus chers lorsqu'ils seront en rupture de stock ailleurs.
 
Le “fossé se creuse” après “un coup de poignard”
 
Christophe Plée s'est aussi attardé sur un autre point qui a interrogé les rapporteurs du Cesec : la non-concertation avec les entreprises privées. En effet, la logique veut que le gouvernement œuvre et discute avec les organisations patronales ou même les syndicats de salariés, avant de proposer un texte de loi. Là, une nouvelle fois, ce ne fut pas le cas, comme en décembre dernier lors de l'annonce de la loi fiscale 2024 qui avait déjà provoqué la colère du Medef et de la CPME, fulminant de n'avoir pas été sollicités. “Encore une fois sur ce texte, il n'y a eu aucune concertation entre les entreprises privées et le gouvernement”, regrette le patron de la CPME, “surtout après avoir participé il y a peu à de nombreuses journées de réflexion”. Christophe Plée n'hésite pas à affirmer que c'est “un coup de poignard dans le dos” et que désormais, “le fossé se creuse” avec le Pays.
 
Malgré un argumentaire éloquent, il n'aura pas réussi à convaincre Makalio Folitu (ainsi qu'une poignée d'autres membres) qui a expliqué de “ne pas pouvoir voter contre” un texte de loi visant à réduire les prix aux consommateurs. Au final, 36 représentants ont voté contre ce texte de loi, deux pour et six se sont abstenus.
 

Rédigé par Thibault Segalard le Mardi 23 Juillet 2024 à 16:17 | Lu 3714 fois