Budget: la frustration des députés face au "jour sans fin" des 49.3


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Paris, France | AFP | mardi 06/11/2023 - C'est un "moment difficile" pour les députés, reconnaît Elisabeth Borne: la litanie des 49.3 et des motions de censure sur le budget provoque lassitude et frustration à l'Assemblée nationale, chez les oppositions comme dans la majorité.

"Un budget sous 49.3, c'est sûr que ce n'est pas une période très fun", concède le député Renaissance Charles Sitzenstuhl. Avec des débats stoppés net dans l'hémicycle dès que la Première ministre dégaine l'arme constitutionnelle, les élus perdent en "visibilité" pour défendre leurs amendements, poursuit-il.

Après l'ambiance électrique de la première année, quand les parlementaires expérimentaient la majorité relative au Palais Bourbon, ce cru budgétaire paraît plus terne. Les bancs sont clairsemés lors de l'examen des motions de censure dans l'hémicycle où le gouvernement n'est parfois applaudi que par une vingtaine de députés du camp présidentiel.

L'atmosphère est "différente" cette année, estime la socialiste Christine Pirès Beaune. "Tout le monde a intégré les 49.3. Et il y a une démobilisation côté majorité", assure-t-elle.

Les discussions se tiennent en amont durant l'examen en commission, avec un nombre d'amendements inédit. "C'est le seul endroit où on peut être sûr qu'on pourra discuter", souligne Christine Pirès Beaune.

Comme l'année dernière, le gouvernement va déclencher un total de dix 49.3 pour faire adopter sans vote l'ensemble des budgets de l'Etat et de la Sécurité sociale avant Noël. L'exécutif s'efforce de banaliser cet outil, dans cette Assemblée nationale sans majorité absolue et où les oppositions votent "par principe" contre les textes budgétaires.

En dehors des budgets et de la très contestée réforme des retraites, "49 textes (sur 52) ont été adoptés sans recourir au 49.3" depuis le début de la législature, a souligné Elisabeth Borne lundi sur France Inter.

Mais la Première ministre dit avoir "parfaitement conscience" de cet automne budgétaire "difficile" pour les députés, leur promettant de la "visibilité sur les textes qui viendront", sur le logement ou le grand âge.

"Le process déconne"

Face à la crispation des parlementaires, l'exécutif a décidé d'accorder plus de temps aux débats pour la partie "dépenses" de l'Etat de ce projet de budget 2024.

Alors qu'Elisabeth Borne avait déclenché très vite son 49.3 sur le volet "recettes", elle laisse cette fois plusieurs jours d'examen en séance, notamment sur les crédits régaliens ainsi que sur le budget des Outre-mer, un sujet sensible.

"C'est pour éviter que la frustration soit vraiment trop aigüe, c'est plutôt pas mal", juge Charles Sitzenstuhl. "On est en train de trouver un équilibre, tout en sachant que ça finira avec un 49.3", estime-t-il.

Difficulté supplémentaire pour les députés, le gouvernement a répété à plusieurs reprises combien les marges de manœuvre financières étaient étroites, alors que les agences de notation scrutent de près la dette française. Les élus de la majorité ont donc été priés de remiser leurs amendements les plus dépensiers.

"Le process budgétaire déconne complètement", grince un député Renaissance. "Il n'y a pas de vraies négociations pour aller chercher des majorités".

Dans l'opposition, on s'indigne de ce "jour sans fin" des 49.3 "anti-démocratiques", même si cet outil figure dans la Constitution. "Toute notre discussion relève d'une pantomime, d'un faux débat parlementaire", dénonce le RN Jean-Philippe Tanguy.

Le communiste Sébastien Jumel reproche au gouvernement "d'écraser totalement le Parlement", avec ces 49.3 qui laissent à l'exécutif la possibilité d'écarter ou de retenir les amendements de son choix "dans le secret des cabinets" ministériels.

En réaction, certaines oppositions tentent en vain de faire tomber le gouvernement, mais leurs motions de censure n'ont quasiment aucune chance d'aboutir tant que les LR ne s'y associent pas.

Le 20 octobre, le député de Polynésie Tematai Le Gayic (groupe GDR à majorité communiste) a fait sourire l'ensemble de l'hémicycle en décrivant ce scénario inextricable: "C'est assez cocasse : vous n'avez pas la majorité pour faire passer un texte, donc vous êtes obligés d'utiliser le 49.3 (...) Mais on n'arrive pas non plus à avoir une majorité sur une motion de censure. Donc, personne n'arrive à avoir de majorité". Et "d'espérer qu'un jour, dans cette mandature, on pourra voter une loi de finances dans ce Parlement".

le Mardi 7 Novembre 2023 à 06:12 | Lu 976 fois