Bruno Barrillot : "Priorité aux victimes !"


PAPEETE, le 15 août 2016 - En juin, le président de la Polynésie française a demandé à Bruno Barrillot, spécialiste du nucléaire,
de reprendre en main la délégation au suivi des essais nucléaires, créée en 2005, dont il avait été évincé en 2013.


Vous venez de réintégrer la délégation au suivi des essais nucléaires. Quand le président de la Polynésie française vous l'a proposé, avez-vous accepté tout de suite?


Quand je l'ai appris, j'ai demandé l'avis des principaux partenaires et notamment des associations de défense des victimes des essais nucléaires. Je crois que le rétablissement de la délégation faisait partie depuis quelques temps des points de revendications de l'association 193. Les associations m'ont toutes donné leur accord. C'était quand même important pour moi car, il y a un an et demi, l'Assemblée de la Polynésie française m'avait sollicité pour une commission. A cette époque, j'avais eu l'impression que c'était lié à un débat politique interne aux autonomistes entre le Tahoeraa et le camp d'Edouard Fritch donc à ce moment, j'étais beaucoup plus hésitant car je ne voulais pas être l'otage d'un débat politique.

Selon vous, aujourd'hui, les choses ont changé?

À partir de cette année, le contexte politique est un peu différent. Il semble qu'il y ait quand même un consensus assez large du côté du gouvernement, de la majorité de l'Assemblée et des associations. Je sens aussi que nous avons le feu vert du côté de l'Élysée. Le Président, lors de sa visite au mois de février, a fait des annonces : il a reconnu les conséquences du nucléaire sur la santé et l'environnement. Compte tenu de cela, je pense que la délégation et les revendications pour faire reconnaître les droits des victimes ne sont plus un obstacle vis-à-vis de l'État. C'est la première fois qu'un Président se prononce aussi clairement. Est-ce qu'il fallait attendre plus ? Je n'en sais rien. De plus, François Hollande soutient le fait que l'histoire des essais nucléaires et leurs conséquences soient transmises aux nouvelles générations. Nous avons quasiment des feux verts un peu partout. Reste maintenant à les mettre en application. Il va probablement falloir insister. On voit déjà qu'ils n'ont pas pris l'ampleur des risques que les Polynésiens ont encourus. Le fameux décret de juillet le prouve : on est loin d'arriver à une véritable reconnaissance.

Est-ce aussi le but de cette délégation?

Lors de la réunion au ministère de la Santé à Paris en juillet, tout le monde a été invité à donner son point de vue. Sur ce projet de décret, il n'y a pas eu vraiment de projet de concertation entre tous les gens concernés. C'est pour cette raison qu'il est temps que l'on mette en place le Coscen pour qu'on ait un point de vue unanime. C'est toujours ce qui a manqué par le passé lorsque j'étais à la délégation. J'ai eu plusieurs occasions d'aller discuter des projets avec les différents ministres de la Défense. Ils m'ont toujours dit qu'il fallait d'abord commencer par se mettre d'accord entre Polynésiens. Chacun venait à son tour faire ses récriminations pour l'indemnisation, le remboursement des frais… A Paris, ils étaient trop contents de voir qu'il n'y avait aucune unanimité, ni même un point de vue commun! Ainsi, on laissait traîner les affaires… Aujourd'hui, c'est important que, politiquement, il y ait un consensus dans les relations vis-à-vis de l'État sur ce dossier nucléaire.

Pensez-vous y arriver avec cette délégation?

C'est en tout cas dans la perspective. Quand j'ai été recruté, j'ai dit à mes interlocuteurs qu'il était important que les forces vives, société civile, politiques et associations, soient informées des décisions à prendre par rapport à l'indemnisation, au remboursement des frais médicaux ou encore au suivi des dossiers environnementaux. Par exemple, sur l'avenir de l'atoll de Hao, sur ce qu'on va faire par rapport aux risques d'effondrement de Moruroa… Et puis, le gros dossier sur lequel j'insiste beaucoup, qui faisait partie des annonces de François Hollande, c'est bien entendu le centre de la mémoire. Il faut que les générations suivantes puissent connaître le déroulement de ces 30 ans d'essais nucléaires dans leur pays.

Quelles vont être vos missions?

Ma priorité est d'avancer sur les droits des victimes. Cela fait partie des actions principales sur lesquelles il faudra travailler, non seulement avec les responsables du Pays, mais aussi avec les associations. Je me suis toujours battu pour ça : priorité aux victimes! Après, il y a aura aussi la question environnementale. Moruroa, tout le monde sait que c'est un atoll perdu pour des activités humaines pour des siècles et même peut-être des millénaires.
Il faudra voir comment gérer cela. Aussi, il y a tout le dossier de Hao. Ma mission sera de voir comment on réhabilite cet atoll des dégâts causés par la présence du CEP, car il y a encore toutes les terres contaminées et les traces de plutonium qui restent sous la zone de décontamination. Je pense que c'est quelque chose d'extrêmement grave. Sur un atoll, où il y a une population civile qui y habite et où il y a aura des activités industrielles, il n'est pas pensable qu'on laisse des matériaux contaminés. Mais ce n'est pas gagné car ce sont des procédures complexes. L'essentiel c'est de pouvoir décontaminer complètement l'atoll de Hao. Et puis aussi, il y a un dossier sur lequel je travaille depuis longtemps, qui est le centre de la mémoire avec tout le programme témoins de la bombe. A l'Elysée, on m'a dit que ce dossier correspondait à l'annonce de François Hollande faite en février. Maintenant, il faut mettre ça en route.

Combien de temps va durer votre travail à la délégation ?

J'ai accepté cette mission à condition que je puisse former un successeur polynésien. Je souhaite que la relève puisse être prise d'ici quelques mois ou un an. C'est une condition importante car je tiens absolument à ce que ma présence et mon travail à la délégation soient conçus de manière provisoire pour assurer le relais.

Un référendum local : union ou division ?

Quand à la mise en place d'un référendum local sur la question du nucléaire, Bruno Barrillot reste réservé. Pour lui, ce n'est peutêtre pas la bonne méthode à employer: "Nous avons déjà recueilli 45 000 signatures, que veut-on de plus? Pour organiser un référendum, il faut qu'il y ait des gens pour et des gens contre. J'imagine assez peu des personnes qui pourraient se battre pour s'opposer à un référendum sur la question des essais nucléaires. Un référendum demande de choisir entre le oui et le non, donc c'est diviser la population. Ce sont des choses qui mériteraient d'être réfléchies."

Crime contre l'humanité, bonne ou mauvaise initiative ?

Dimanche dernier, à l'occasion de son 132e synode, l'Église protestante mā'ohi a annoncé son souhait de poursuivre l'Etat français pour crime contre l'humanité. Bruno Barrillot se réjouit de cette décision : " Cela fait plus de 50 ans que l'on parle de crime contre l'humanité. En 1964, le député John Teariki est intervenu devant l'Assemblée et a dit : "Avec vos essais nucléaires, vous allez provoquer un génocide en Polynésie française!" Le lendemain, le ministre des Armées a répondu qu'il était inadmissible de parler de génocide, ce qui n'est pas sans rappeler la réponse du haut-commissaire cette semaine. Je pense que c'est un débat intéressant. Je pense qu'aujourd'hui, il faut réfléchir de manière globale avec d'autres représentants des victimes des essais nucléaires. Il ne faut pas seulement pointer du doigt les responsables français mais aussi ceux des autres États qui ont mené des essais nucléaires : la Chine, la Russie, les États-Unis…"

Rédigé par Amelie David le Lundi 15 Aout 2016 à 18:00 | Lu 3454 fois