Bras de fer entre Brotherson et Géros


Tahiti, le 24 novembre 2023 – La guerre est clairement déclarée entre le président du Pays et celui de l’assemblée de la Polynésie. Le projet de loi fiscale du gouvernement, dont deux articles clés pour l’équilibre budgétaire ont été retoqués par la majorité, cristallise ces tensions qui couvent depuis le début entre les deux hommes. La commission qui devait se réunir ce vendredi pour examiner la nouvelle copie du ministre Tevaiti Pomare a encore été reportée… au 1er décembre. Depuis Paris, Moetai Brotherson a indiqué qu’il était prêt à “faire un pas” sur les véhicules hybrides et électriques mais pas question de bouger sur la taxe sur l’immobilier. “On ne peut pas faire tout et n’importe quoi”, a-t-il réagi, renvoyant les 38 élus de sa majorité à leur responsabilité.
 
Suite du feuilleton de la commission de l’Économie et des Finances qui n’en finit plus. Alors qu’elle a été convoquée en urgence ce vendredi matin à 8 h 30 à la demande du patron de Tarahoi, Antony Géros, pour réexaminer le projet de loi fiscale du gouvernement, nouvelle surprise jeudi soir. Les élus de l’opposition sont avertis, par téléphone à 21 heures, que la commission se tiendra finalement à 14 heures, car, selon les élus de la minorité, “le ministère n’est pas prêt” à présenter sa copie revue et corrigée selon les desiderata d’Antony Géros.
Lequel, pour mémoire, n’est pas d’accord avec la taxe sur l’immobilier, du moins avec le seuil fixé à 50 millions de francs, pas plus qu’avec la suppression des avantages fiscaux accordés aux véhicules hybrides et électriques (les articles LP.1 et LP.4 du projet de loi fiscale qui ont été rejetés à l’unanimité mardi dernier en commission).
Peu avant midi, vendredi, nouvelle surprise, nouveau report. La commission se tiendra finalement… vendredi prochain, le 1er décembre. Pourquoi ? Le black-out du matin aurait empêché le ministère de pouvoir présenter sa copie dans les temps. C’est du moins l’explication avancée aux élus de l’opposition qui, évidemment, n’y croient pas.

Que chacun compte ses troupes

“Ils attendent le retour de Moetai”, a réagi Nicole Sanquer de Ahip. “On est en plein dans un bras de fer entre Moetai et Tony Géros”, abonde de son côté la représentante du Tapura, Tepuaraurii Teriitahi. Le président du Pays doit en effet rentrer de son voyage de dix jours dans l’Hexagone ce dimanche soir. Mais il s’est exprimé au micro de nos confrères d’Outremers360° en indiquant qu’il avait “échangé brièvement avec le président de l’assemblée de la Polynésie”.
Sans plus de détail, il lâche ensuite une phrase lourde de sens : “Il y a 38 représentants (Tavini, NDLR). Chacun devra se décider en son âme et conscience sur les projets qui lui sont présentés.” C’est dit. Que chacun compte ses troupes, semble suggérer Moetai Brotherson à Antony Géros et aux élus de sa majorité. Ce sont eux qui devront voter – ou pas – cette fameuse loi fiscale et le budget qui suivra (car là aussi, évidemment, la commission qui devait examiner le budget primitif 2024 du Pays ce mardi 28 novembre a été reportée à la semaine d’après). 
Le président du Pays leur a donné un cap en tout cas. Charge à eux de le suivre ou pas. Moetai Brotherson a en effet annoncé qu’il était prêt à “faire un pas” sur la question des véhicules hybrides et électriques.  

Brotherson ferme sur la taxe sur l’immobilier

“On est en train d’ajuster les curseurs, on va dire ça comme ça. Ça va tout de même se traduire par une perte de rendement fiscal, donc on obtiendra moins d’argent avec la formule révisée à l’issue de la commission des finances, mais on est prêts à faire ce pas là”, a-t-il expliqué précisant en avoir longuement discuté avec son ministre des Finances, Tevaiti Pomare, en visioconférence jeudi soir.  
En revanche, pas question de toucher à la taxe sur l’immobilier (la CSPI : contribution de solidarité sur le patrimoine immobilier) telle que présentée dans la première mouture du texte, c’est-à-dire sur tous les biens immobiliers dont la valeur vénale est supérieure à 50 millions de francs. “Je pense que le projet qu’on a présenté est un projet juste et équitable”, a-t-il souligné. On comprend mieux l’obstination de son ministre à ne rien vouloir lâcher sur ce point mardi dernier en commission… 

“On ne peut pas faire tout et n’importe quoi”

Le président Brotherson semble néanmoins arriver au bout de sa patience. Car s’il trouve “très bien” qu’il y ait parfois “des discussions houleuses où les choses sont dites”, il faut être sérieux et qu’à “un moment donné, les uns et les autres se rendent compte de l’enjeu”. Et de conclure en s’adressant à l’autre président : “Je pense que Tony Géros, qui a été au gouvernement, sait très bien quelles sont les contraintes qui sont celles d’un gouvernement et qu’on ne peut pas faire tout et n’importe quoi”.
Pour les élus de la minorité, c’est du jamais-vu, “même pendant la crise Covid” où les élus étaient convoqués en urgence. Pour Tepuaraurii Teriitahi, “on assiste à un match de ping-pong avec deux joueurs, Moetai et Tony, et nous, les membres de la commission, on est les balles ! Et je parle de tous les membres de la commission, même du Tavini. La présidente (Élise Vanaa, NDLR) ne cautionne pas non plus.” Quoi qu’il en soit, il faudra trouver une issue avant le 18 décembre, date qui marque la fin de la session budgétaire. Au pire, la possibilité d’ouvrir une session extraordinaire donnera encore un délai supplémentaire jusqu’au 31 décembre à minuit, date butoir pour adopter le budget de la Polynésie pour l’année prochaine.  

Rédigé par Stéphanie Delorme le Vendredi 24 Novembre 2023 à 17:52 | Lu 8352 fois