Bloc opératoire : coup de blues des femmes en blanc


photo d'illustration d'une infirmière au bloc opératoire du CHPF
PAPEETE, le 25 septembre 2017 - Elles sont les assistantes cruciales des chirurgiens à l'hôpital. Sans les infirmières spécialisées, pas d'opérations… Et pourtant seule la moitié des postes est pourvue au CHPF, ce qui affecte déjà les patients. Au cœur du problème : une réforme de leur statut et des problèmes avec l'administration qui rebutent les candidates polynésiennes à la spécialisation.

Ça va mal chez les infirmiers de bloc opératoire du CHPF. Depuis le début de l'année, le manque de personnel est si criant qu'un quart des blocs opératoires de l'hôpital public ne sont presque plus utilisés, soit deux sur huit. Les 10 infirmières spécialisées encore en poste (elles devraient être 18) accumulent les heures supplémentaires pour essayer de compenser, mais les gardes se succèdent et les femmes en blanc enchaînent les semaines de 50 à 55 heures. Bref, pas idéal pour motiver les troupes et stopper l'hémorragie.

L'un des problèmes est que l'hôpital a un mal fou à recruter et à garder ces infirmiers à la spécialisation rare. Ils sont généralement recrutés à l'extérieur, mais ils enchaînent les CDD et les conditions de travail en rebutent plus d'un, qui retourne prématurément vers des cieux plus clément. Le CHPF assure que des recrutements sont en cours et que la situation sera normalisée d'ici décembre, mais les infirmiers en poste n'y croient pas.

La meilleure solution pour mettre fin à cette pénurie serait de former assez d'infirmières locales, ce qui assurerait la présence d'une équipe complète et stable dans le temps. Mais la formation est longue – 18 mois intenses, pour apprendre un métier très différent de celui appris pendant les trois ans d'école d'infirmier. Surtout, elle se déroule en Métropole, le coût de la formation est pris en charge mais l'infirmier en formation ne reçoit pas de salaire (contrairement à l'école d'infirmier). Et les problèmes s'accumulent au retour, ce qui n'incite pas d'autres professionnels à suivre la formation.

UNE PERTE DE SALAIRE APRÈS 18 MOIS DE FORMATION

Parmi les griefs de celles et ceux qui ont suivi la formation, un argument massue est la possible perte de statut et de salaire à leur retour. Là, les infirmiers sont confrontés au statut changeant des professionnels de la santé et à, selon une infirmière qui s'est confiée à nous la semaine dernière, "de l'obstruction de la part de l'administration du Pays. Déjà en 2012 l'administration a refusé des reclassements à des infirmiers partis se spécialiser en anesthésie, il a fallu qu'elles aillent au tribunal administratif. Elles ont gagné en novembre 2012, mais il a tout de même fallu attendre 2014 pour qu'elles soient reclassées. Ca a refroidi tout le monde. Et avec les derniers changements, à son retour, une infirmière polynésienne qui a fait la spécialisation bloc opératoire est bien reclassée en catégorie A, comme c'est prévu dans les textes, mais désormais l'administration refuse de lui compter ses années d'ancienneté d'infirmière IDE (NDLR : sans spécialité) au CHPF. Donc elle a beau être passée en catégorie A, sans son ancienneté, son salaire diminue."

Selon l'infirmière, "Depuis, plus aucune infirmière ne veut aller faire la spécialisation bloc opératoire, et cette compétence va disparaitre du Territoire. L'hôpital, qui aimerait pourtant envoyer des infirmières locales en formation, est obligé de recruter à l'extérieur. Donc les équipes vont rester en sous-effectif… Les premiers concernés sont les patients. Avec deux blocs fermés (selon l'hôpital ils ne sont pas fermés mais momentanément non-utilisés), il faut parfois déjà attendre plus d'un mois avant d'avoir accès à une opération chirurgicale."

"ON NE PEUT PAS FAIRE UN TRANSFERT DE COMPÉTENCES À DES INFIRMIÈRES NON SPÉCIALISÉES, IL Y A UN RISQUE POUR LES PATIENTS"

Notre source nous explique que le rôle des infirmiers spécialisés (nommés Ibode) est crucial, "on ne peut pas faire de transfert de compétences aux infirmières non spécialisées, il y a un risque. Ce n'est pas pour rien qu'il y a 18 mois de formation très intense, l'Ibode est l'assistante directe du médecin, elle assure l'installation chirurgicale du patient, la mise en place des drains susaponévrotiques, la fermeture cutanée et sous-cutanée après l'opération, elle assiste le chirurgien avec l'exposition, l'hémostase et l'aspiration… Ça ne s'invente pas."

Pour résoudre ce dilemme, une des solutions évoquées par l'hôpital est d'organiser une formation localement, ce qui serait lourd à mettre en place, mais dans le cadre du possible à long terme. Ce seraient alors les jeunes diplômés de l'école d'infirmiers qui pourraient être intéressés... Si leur statut et leur salaire sont assurés.


La réforme de la discorde

Le cœur du problème vient d'une modification de la délibération n° 2010-3 APF du 28 janvier 2010, celle qui a réintégré les professionnels de la santé employés au CHPF dans la fonction publique territoriale. Quand elle a été votée, elle prévoyait bien le reclassement en catégorie A des infirmiers spécialisés à leur retour de formation, en conservant leur ancienneté et avec un meilleur point d'indice. Tout a changé avec une réforme adoptée en avril 2017 par le Conseil Supérieur de la Fonction Publique (CSFP), qui a supprimé une partie des textes qui organisait ces formations. Les mentions de la prise en charge financière des infirmiers en formation à l'extérieur et de leur reclassement sont modifiées. Depuis, à leur retour ces infirmiers sont reclassés en classe normale et doivent attendre plusieurs années avant de pouvoir être éligibles à la classe supérieure. Un infirmier avec 10 ans d'ancienneté qui irait se former presque deux ans en métropole risque donc une forte perte de salaire à son retour…

Les syndicats du CHPF tirent la sonnette d'alarme

Par un communiqué envoyé lundi soir aux rédactions, les syndicats de salariés du CHPF pèsent aussi sur le débat, dans le même sens que les infirmiers. Ils confirment que "deux salles d’opération sur huit sont fermées depuis le 28 août à l’hôpital du Taaone". Leurs chiffres sont tout de même différents des nôtres puisqu'ils incluent tous les infirmiers du bloc, et pas uniquement les infirmiers spécialisés qui peuvent réaliser certaines procédures techniques. En tout il manque donc 9 infirmiers au bloc opératoire, sur 45 postes en effectif normal.

Les syndicats assurent que "avec deux salles d’opération en moins, il n’est plus possible d’opérer tous les patients. De nombreuses interventions chirurgicales programmées doivent être annulées pour faire place aux urgences. Les malades devant être opérés en urgence doivent souvent attendre pendant des heures qu’une salle d’opération soit disponible. Les malades les plus graves sont opérés en priorité et on tente de calmer au mieux la douleur des autres en attendant leur opération."

Ils confirment également que ce sont les patients qui souffrent de la situation : "Des patients cancéreux sont opérés avec plusieurs semaines de retard, ce qui leur fait prendre le risque d’une aggravation de leur cancer. Les équipes du bloc opératoire sont obligées de travailler la nuit alors que les opérations auraient pu être effectuées pendant la journée. Ce rythme de travail devient insoutenable et est nuisible à la qualité des opérations."

Ils soulignent que la récente réforme du statut des infirmiers spécialisés a détérioré la situation : "Le statut de la fonction publique ne permet pas de reprendre l’ancienneté des infirmiers de bloc opératoires pour les contrats à durée déterminée. Ce métier ne semble pas suffisamment attractif, seul deux candidats se sont présentés au dernier concours, alors que sept postes étaient proposés. Le départ des 9 infirmiers s’explique par le manque de reconnaissance et de valorisation. Une réforme du statut des infirmiers doit être réalisée dans les meilleurs délais pour pouvoir assurer les recrutements nécessaires au fonctionnement normal des blocs opératoires des hôpitaux de Polynésie française."

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Lundi 25 Septembre 2017 à 16:33 | Lu 12802 fois