Birmanie : la contestation s'intensifie, l'armée poursuit les arrestations


Rangoun, Birmanie | AFP | vendredi 05/02/2021 - Des centaines de personnes ont manifesté vendredi à Rangoun pour protester contre le coup d’État qui a renversé le gouvernement civil d'Aung San Suu Kyi, alors que l'armée a multiplié les arrestations.

Ces contestataires, des professeurs et des étudiants, se sont rassemblés devant l'Université Dagon à Rangoun pour la première manifestation d'importance contre le putsch.

Ils ont fait le salut à trois doigts, un geste de résistance emprunté au cinéma américain, et scandé "longue vie à Mother Suu !", Aung San Suu Kyi, "assignée à résidence" dans la capitale Naypyidaw et "en bonne santé", d'après un porte-parole de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND).

"Tant qu'ils (les généraux) garderont le pouvoir, nous ne viendrons pas travailler. Si tout le monde fait ça, leur système ne tiendra pas", a déclaré Win Win Maw, un professeur au département d'histoire. Un rassemblement similaire a eu lieu devant une autre université de la ville.

La résistance aux putschistes continuait à prendre de l'ampleur. Des dizaines de fonctionnaires ont cessé le travail dans plusieurs ministères.

300 députés ont organisé une session virtuelle pour dénoncer la prise de contrôle du parlement.

A la tombée de la nuit, des habitants de Rangoun ont une fois de plus klaxonné et tapé sur des casseroles pour "chasser les démons", les militaires. 

Une vingtaine de personnes qui avaient ainsi manifesté leur mécontentement la veille ont été condamnées à sept jours de détention. Quatre étudiants ont été inculpés pour avoir manifesté.

Dizaines d'interpellations

Les généraux, qui ont mis brutalement fin lundi à la fragile démocratie, poursuivaient les interpellations, malgré les condamnations internationales.

Win Htein, 79 ans, un proche d'Aung San Suu Kyi, a été interpellé vendredi à l'aube, selon la LND. Ce vétéran du parti a passé plus de vingt ans en détention sous la junte, de 1989 à 2010.

Min Htin Ko Ko Gyi, un réalisateur de films, qui a déjà fait de la prison pour avoir critiqué l'armée, a également été arrêté, d'après son neveu. 

En tout, près de 150 responsables politiques et militants ont été placés en détention depuis le coup d'Etat, d'après l'Association d'assistance aux prisonniers politiques, qui a son siège à Rangoun.

Ces événements restent au coeur des préoccupations actuelles de la communauté internationale.

Le président américain Joe Biden a exhorté les généraux à "renoncer au pouvoir", son gouvernement envisageant des "sanctions ciblées" contre certains.

En revanche, l'ONU a adouci le ton. Le Conseil de sécurité a adopté une déclaration commune, appelant à la libération des détenus, mais n'a pas formellement condamné le coup d'Etat.

Soutien de Pékin et Moscou 

Chinois et Russes se sont en effet opposés à une telle prise de position.

La Chine reste le principal soutien de la Birmanie aux Nations unies, où elle a contrecarré toute initiative contre l'armée au moment de la crise des musulmans rohingyas.

Face aux condamnations internationales, les entreprises étrangères sont sous pression.

Le brasseur japonais Kirin Holdings a annoncé mettre fin à son partenariat avec un conglomérat contrôlé par les militaires. 

La peur restait vive en Birmanie, qui a déjà vécu près de 50 ans sous un régime militaire depuis son indépendance en 1948. 

Mais, depuis les précédentes répressions de 1988 et de 2007, la donne a changé : les Birmans utilisent les réseaux sociaux pour résister.

Des groupes de "désobéissance civile" se sont créés sur Facebook, la porte d'entrée sur internet pour des millions d'habitants.

En réponse, l'armée a ordonné aux fournisseurs de bloquer l'accès à la plate-forme. Ses services étaient toujours perturbés.

Conséquence, beaucoup sont passés sur Twitter et les hashtags #HearthevoiceofMyanmar, #RespectOurVotes ont été utilisés des millions de fois, notamment par plusieurs célébrités birmanes. 

Le putsch a aussi ses partisans, dont plusieurs centaines se sont réunis jeudi à Naypyidaw.

Le chef de l'armée, Min Aung Hlaing, qui concentre désormais l'essentiel des pouvoirs, a expliqué son passage en force en alléguant qu'il y avait eu des fraudes aux législatives de novembre, massivement remportées par la LND.

Mais les observateurs n'ont pas décelé de problèmes majeurs pendant le scrutin.

En réalité, les généraux craignaient de voir leur influence diminuer après la victoire de la LND qui aurait pu vouloir modifier une Constitution très favorable aux militaires, estiment des analystes.

Min Aung Hlaing, paria à l'international depuis les exactions de l'armée contre les Rohingyas et proche de la retraite, a aussi renversé Aung San Suu Kyi par ambition politique, d'après ces experts.

Cette dernière a été inculpée pour avoir enfreint une obscure règle commerciale. 

Fille d'un héros de l'indépendance assassiné, elle est adulée dans son pays depuis qu'elle a pris la tête de l'opposition démocratique face à la junte en 1988, passant 15 années en résidence surveillée. 

Son image s'était en revanche beaucoup écornée à l'international, de nombreuses voix ayant dénoncé sa passivité dans la crise des Rohingyas.

Les militaires ont instauré l'état d'urgence pour un an et promis des élections à l'issue de cette période.

le Vendredi 5 Février 2021 à 05:23 | Lu 199 fois