« Beaucoup de diplômés ne veulent pas revenir au Fenua après leurs études »


Taimana Ellacott est le président de la Fédération des associations des étudiants de Polynésie française (FAEPF). De retour en Polynésie pour un stage de quelques mois, cet étudiant en Master II de Management à Bordeaux a accepté de répondre aux questions de Tahiti Infos. Un entretien où l’on découvre que dans les AEPF, on ne fait tous les jours la fête : on se bat surtout pour l’avenir des étudiants polynésiens. Pour la première fois, la loi durcit les conditions d’obtention du « passeport mobilité/étude ». Contre ces nouvelles mesures qui pourraient décourager trop de jeunes de partir étudier, Taimana s’est fait force de propositions. Il nous explique lesquelles. Il nous parle aussi de l’avenir de la Polynésie, qu’il veut construire activement. Interview.

Vous avez rencontré les responsables de la Délégation générale de l'Outre-mer et de l’Agence de l’Outre-mer pour la mobilité mi-avril. Avez-vous eu les réponses aux questions que vous vous posiez ?

On n’y est pas allé à la recherche de réponses, mais avec des propositions, parce qu’on a bien étudié la loi avant d’y aller. On a cherché à savoir comment l’Etat pourrait prendre en compte nos spécificités locales, car nous ne sommes pas sur un pied d’égalité avec le reste de l’Outre-mer. On leur a sorti douze propositions, et certaines vont dans leur sens, c’est-à-dire qu’elles feront faire des économies à l’Etat. On propose ainsi de prendre en compte le mérite dès la première année, et non au bout de deux ans comme c’est le cas actuellement. L’idée, ce serait de retirer 50% des aides dès l’échec en première année. Cette mesure motiverait les étudiants à travailler, et la conséquence directe serait l’augmentation des taux de réussite. On leur a bien fait comprendre que faire réussir un seul étudiant, c’était déjà un gain énorme pour notre petit pays de 270 000 habitants !

Pour les non-boursiers, l’aide ne dépassera plus 50 % du prix du titre de voyage. Elle sera accordée seulement si le quotient familial du demandeur, c’est à dire le rapport entre les revenus annuels le nombre de parts de son foyer fiscal, est inférieur à 267 729 Fcfp/mois. Vous jugez ces critères trop stricts ?

Oui, ce quotient familial ne représente même pas deux fois le SMIG ! d’autre part le calcul des parts n’a pas été refait depuis 1991 : l’inflation n’a pas été prises en compte, ni l’augmentation du coût de la vie. On demande également à ce que soit pris en compte le taux d’endettement des foyers, surtout sur les prêts nobles : l’immobilier notamment. Ce qu’on veut, c’est que l’Etat se base sur un revenu réel et pas un revenu nominal. La solution pourrait être d’indexer le revenu nominal de 30%, ce qui correspond au taux d’endettement maximum, et qui permettrait de faire l’économie d’une loi fiscale. On a proposé également une commission de seconde chance. S’ils refusent de changer les critères, alors cette commission serait chargée d’étudier tous les cas rejettés en première instance. Elle serait composée des associations d’étudiants, de représentants du vice-rectorat, du Pays etc… et ne prendrait pas en compte que des critères économiques, mais également des critères sociaux. On ne demande pas toujours plus d’argent, comme a pu le faire la Polynésie par le passé : on demande juste l’égalité des chances en matière d’éducation. Les billets entre la Martinique et Paris, on en trouve à 400 euros. On ne peut pas en dire autant d’un billet entre la Polynésie et la métropole !

Pour bénéficier d’un passeport mobilité à 100%, le critère est d’être boursier d’Etat. C’est un problème ça aussi ?

Oui. Aujourd’hui c’est impossible physiquement de demander une bourse d’Etat lorsqu’on réside en Polynésie. Il y a actuellement 200 boursiers d’Etat, qui ont dû faire leur demande en métropole. Autrefois, avec un billet pris en charge à 100%, ce n’était pas un problème pour eux. Ça va en devenir un ! Il n’y a aucune structure qui permette de remplir son dossier en Polynésie. On propose l’ouverture d’une antenne du CROUS en Polynésie où l’on pourrait faire sa demande de bourse d’Etat. Et ce n’est pas la seule difficulté posée par l’éloignement. Le logement en fait partie. Faute d’antenne CROUS, les étudiants attendent d’être en métropole pour en trouver un. Souvent, ils viennent nous voir. Nous avons 5 foyers polynésiens, donc bien sûr nous les aidons, mais ce n’est pas à nous de prendre ce genre de choses en charge, c’est à l’Etat de le faire. Or sur place le CROUS met au moins un mois avant d’attribuer un logement ! S’il y avait un CROUS ici, il pourrait réserver des logements à l’avance. On nous a répondu qu’il faudrait dans ce cas ouvrir des antennes CROUS dans tous les DOM-TOM. Nous proposons une solution alternative, comme l’ouverture d’une antenne pour les PTOM du Pacifique.

Tu as senti quand même une volonté d’aplanir les inégalités entre les étudiants polynésiens et les autres ?

On a senti déjà qu’on nous écoutait. Ce n’était pas gagné d’avance : le rendez-vous était fixé à 7 heures du soir, et on nous a reçus en nous demandant de faire vite…mais nous sommes arrivés avec des dossiers, que nous leur avons remis, et ils étaient étonnés de voir à quel point nous avions préparé ce rendez-vous ! et finalement le rendez-vous a duré deux heures. Donc oui, j’espère qu’on sera entendu.

Et le pays, vous entend-il ? Vous avez rencontré Oscar Temaru vendredi dernier, a-t-il pris le problème à cœur ?

C’est par hasard que nous avons rencontré Oscar Temaru. En fait nous avions pris rendez-vous depuis un moment avec Edouard Fritch pour lui présenter nos cahiers de réflexion. Nous sommes un petit cercle d’étudiants qui faisons une somme de propositions pour l’avenir de la Polynésie, tout en restant apolitiques. Le seul effet positif de l’instabilité politique, c’est que tout le monde réfléchit à l’avenir de la Polynésie. Il y a donc beaucoup d’idées qui sont émises par les jeunes mais rien n’est jamais formalisé. Donc on a mis en place dans chaque AEPF un « responsable réflexion » chargé de noter toutes ces idées. Ensuite nous les condensons pour les rendre intelligibles. Le premier sujet, on l’a lancé un peu au hasard : c’est celui de la faillite de notre système de protection sociale généralisée. On a des étudiants qui sont en Suède, en Norvège, et qui nous ont parlé des réformes en cours dans ces pays là. Toutes ces idées figurent dans notre cahier de réflexion. Le deuxième cahier porte sur l’accompagnement des étudiants et sur les aides à la mobilité.

Et donc c’est en voulant présenter ces travaux à E. Fritch que vous avez rencontré O. Temaru. Comment s’est passée la rencontre ?

Oscar Temaru s’est greffé sur le déjeuner. Il nous a demandé si les étudiants polynésiens en métropole pensaient que c’était toujours au Pays de leur trouver un travail. On lui a dit que le vrai problème, c’était surtout que les étudiants ne voulaient plus rentrer ! Ils n’ont plus confiance à cause de l’instabilité. Et le pire c’est que ce sont les plus diplômés qui ne veulent pas revenir. Ceux qui ont fait HEC, l’ESSEC, médecine, et qui sont embauchés dans les plus grandes boîtes. Même ceux qui ont une bourse majorée ne veulent plus rentrer, et préfèrent rembourser ! Moi je leur dis que la Polynésie a besoin d’eux !

Combien d’étudiants en moyenne rentrent en Polynésie après leurs études en métropole ou à l’étranger ?

On n’en sait rien, on ne sait même pas le nombre exact des étudiants qui poursuivent leurs études hors de Polynésie. Ce n’est pas un chiffre difficile à avoir, mais apparemment il n’intéresse personne, puisqu'il n’a jamais été calculé. On sait que l’année dernière il y a eu 1 650 demandes de passeport mobilité, et on estime à 2 000 le nombre d’étudiants en tout. Pour obtenir plus d’informations sur les étudiants, on a proposé dans notre deuxième cahier de réflexion de faire remplir aux étudiants un formulaire dans l’avion. Ils y indiqueraient le cursus qu’ils vont suivre, et on calculerait leurs chances en fonction des taux de réussite dans la filière qu’ils ont choisi..

…Tout en sachant que c’est plus difficile pour un étudiant ultramarin que pour un autre, compte-tenu de l’acculturation.

Oui c’est sûr. Quand on arrive en métropole, on est loin de sa famille, de ses repères. Quand on raconte une blague, on est le seul à en rire! C’est pour lutter contre cette solitude que les AEPF existent. A Bordeaux, on organise des visites de la région, des châteaux, des caves à vin, pour que les étudiants polynésiens voient et puissent raconter à leur famille en rentrant. On a environ 600 adhérents, mais sur 2 000 étudiants, ce n’est toujours pas assez.

As-tu peur que l’an prochain il y ait moins d’étudiants polynésiens en métropole, du fait justement de ce durcissement des conditions d’obtention du passeport mobilité ?

Oui, j’en ai peur. J’ai peur aussi que s’il n’y a que 500 demandes de passeport mobilité, l’Etat utilise ce chiffre pour dire : vous voyez, l’an dernier ils étaient 1650, cette année ils sont 500, c’est la preuve que mille étudiants n’en avaient pas besoin. Or ce sera peut-être tout simplement parce que ces étudiants n’oseront pas demander, parce qu’ils savent qu’ils seront recalés. Ou bien parce qu’il faudra informer les parents de leur démarche dès le départ, pour obtenir tous les papiers nécessaires, et que cela les aura freiné. En effet, il faut savoir que souvent les parents ont peur que leurs enfants partent : certains les poussent à se trouver un travail tout de suite , ou à faire leurs études à l’UPF. Le poids financier les effraie aussi. C’est d’ailleurs pour ça que je vais proposer des réunions d'information dès la troisième, pour que les parents mettent de l’argent de côté, et se préparent à voir leurs enfants partir.

Vous êtes rentré pour faire un stage en Polynésie. Tous les étudiants auront-ils la chance de revenir au Fenua pendant les vacances ?

Certains m’ont déjà annoncé qu’ils ne rentreront pas, de peur de ne pas obtenir de passeport mobilité l’an prochain, et d’être bloqué ici. Moi j’ai la chance de repartir de toute façon pour faire une prépa ENA. J’avais envie de rester ici pour faire bouger les choses, mais j’ai encore beaucoup de choses à apprendre pour aider mon pays. J’ai un ami qui résume bien le problème en une phrase : la Polynésie compte beaucoup trop de poètes pour si peu d’écrivains. Et c’est vrai : il y a trop de gens qui croient tout savoir et qui font de belles phrases, mais personne n’écrit pour de vrai l’avenir de ce pays.

Rédigé par F K le Mardi 3 Mai 2011 à 16:47 | Lu 5840 fois