Baleines : Leur chenal de bataille


Un plus grand nombre de duos baleine/baleineaux a été observé en 2019
Tahiti, le 11 février 2020 - L'édition 2020 de la Vigie Sanctuaire continue sur sa lancée positive. Elle servira de jalon pour proposer au Pays des solutions "plus cohérentes" en matière d'environnement et de conservation des cétacés.

L'association Oceania a fait le bilan 2019 de son projet Vigie Sanctuaire. Il s'agit de surveiller des grands mammifères marins, comme les baleines à bosse, depuis les navires qui voguent entre Tahiti et Moorea, pour "anticiper et limiter les collisions", a expliqué la directrice de l'association, Charlotte Esposito.
 
Cette entreprise est partie du constat selon lequel la fréquentation de la route maritime entre Tahiti et Moorea avait bondi ces dernières années. Les baleines à bosse migrent dans nos eaux entre juillet et novembre et se retrouvent confrontées à ce trafic en expansion. "Il est donc devenu nécessaire de surveiller ces grands cétacés pour proposer, en cas d'une localisation proche des navires, des solutions pour éviter la collision". Pour ce faire, des observateurs des mammifères marins (MMO) sont embarqués sur l'Aremiti 6 ainsi que sur le Terevau, pour donner des indications au capitaine. Tahia Mere, l'une de ces MMO, explique : "On garde les yeux fixés sur l'horizon toute la journée. Si une baleine se présente, je dois avertir le capitaine immédiatement en précisant bien sa localisation et le nombre d'individus. Je dois aussi l'informer du comportement des individus, c'est-à-dire s'ils sont agités ou s'ils sont en train de se reposer… A partir de là, on voit si une manœuvre d'évitement doit être déclenchée."
 
Les capitaines des navires sont habitués à ce type de mesure. Quand cela se révèle nécessaire, ils réduisent la vitesse du navire ou envisagent un nouveau cap à suivre. En fonction de la proximité de l'animal, trois codes sont mis en place : le code vert si la baleine est à plus de 200 mètres, le code jaune si elle est à plus de 100 mètres et le code rouge si elle est à moins de 100 mètres.
 
Rappelons que les baleines sont des cétacés à fanons. Elles sont donc dépourvues de système d'écholocation pour localiser des proies ou des obstacles. C'est pour cela qu'elles sont incapables de détecter des navires et que c'est à eux de manœuvrer pour les éviter.
 

Un bilan 2019 "plutôt positif"

Tahia Mere reste "les yeux fixés sur l'horizon" jusqu'à ce que le Soleil se couche
En 2019, la Vigie Sanctuaire a pris ses marques. Pour sa deuxième édition, les équipes ont dénombré 739 heures d'observation, avec 23 997 km parcourus. Si ces chiffres dépassent largement ceux de la première édition de 2018, en revanche, le nombre de collisions potentielles a bien diminué. En 2019, seuls 49 cas ont été signalés, contre 96 l'année passée. De manière générale, la zone portuaire est le lieu de risque de collision le plus important. La directrice de l'association explique que "du fait de l'espace, la manœuvrabilité du navire est plus difficile et il est d'autant plus compliqué de changer de cap et de réduire la vitesse". Cependant, aucune collision réelle n'a été relevée durant cette année.

Perspectives pour 2020

Pour 2020, l'association souhaite augmenter le nombre de MMO. Un nouveau poste stratégique sera peaufiné, puisqu'en 2019, un observateur était chargé de surveiller les passes. Après plusieurs mois de surveillance, il est devenu évident qu'il fallait "optimiser son temps". "L'observateur chargé de la passe surveille cet endroit toute la journée, parfois même sans qu'il n'y ait quoi que ce soit. On a donc compris qu'il fallait optimiser son temps en lui faisant couvrir un périmètre plus large. Il pourra donc prévenir les navires s'approchant de l'entrée de la passe de la situation", détaille la directrice.

INTERVIEW : Charlotte Esposito, directrice de l'association Oceania

"Nous souhaitons proposer une liste
de recommandations au gouvernement"


Vous souhaitez proposer une liste de recommandations au Pays. Avez-vous une esquisse de cette liste ?

"Effectivement. Nous souhaitons proposer une liste de recommandations pour pouvoir prendre de vraies décisions, ensemble, sur cet espace maritime. Le trajet, lui, ne changerait pas. Il y a des endroits dans le monde où on déroute les navires, nous, ce n'est pas du tout une option qu'on envisage. Les navires continueront comme ils le font maintenant, simplement on s'attend à avoir des dispositions qui seront mises systématiquement lors des saisons des baleines à bosse, comme le fait d'embarquer un observateur à bord des navires. Ensuite, nous souhaiterions une diminution de la vitesse sur les endroits les plus problématiques, comme la zone portuaire de Papeete et plus particulièrement l'entrée de passe. Quand on a des bateaux qui entrent en passe en moyenne à 30 nœuds, on voit bien qu'il y a moyen de diminuer la vitesse."

 

Dans votre bilan, vous souhaitez trouver un équilibre entre les activités économiques et la conservation des cétacés. Comment pensez-vous pouvoir agir dans ce domaine ?

"Nous avons deux grands axes. Nous voulons profiter de la présence existante sur l'eau pour pouvoir ajouter une notion d'éducation et d'étude en embarquant des observateurs des mammifères marins (MMO). On peut aussi imaginer qu'à l'avenir, dans des bateaux de croisière qui affluent dans nos eaux, il y ait des personnes chargées de sensibiliser le grand public à bord et d'assurer des prises de données au quotidien. Ensuite, nous voulons montrer en quoi l'environnement n'est plus un loisir. On parle d'objectifs et de challenges qui influeront sur le futur de nos populations. On souhaite renforcer le lien entre l'Homme et la nature, et impulser des créations d'emploi. Nous voulons montrer qu'on peut tous intégrer une préoccupation liée à l'environnement."

 

En ce qui concerne le tourisme de croisière justement, comment agit-il sur votre secteur d'activité ?

"Le tourisme de croisière est un pleine expansion, et évidemment, il y a plein de points positifs. Mais on pense que ce développement peut se faire de manière plus cohérente et en accord avec l'environnement. Les grosses menaces en ce qui nous concerne, c'est bien sûr les collisions, mais aussi les nuisances sonores. Quand un bateau de croisière est à l'arrêt, les nuisances sonores sont très importantes. Les cétacés sont de grands spécialistes acoustiques, ils l'utilisent pour leur communication. Le fait d'avoir un brouhaha permanent autour d'eux peut causer des changements de comportement. C'est pourquoi on voudrait s'assurer que des précautions seront prises pour que quand un de ces navires entrera dans nos baies, les choses soient faites de manière plus cohérente."


Rédigé par Ariitaimai Amary le Mardi 11 Février 2020 à 16:55 | Lu 2472 fois