Baisse des féminicides en 2023? La prudence des associations féministes


LOIC VENANCE / AFP
Paris, France | AFP | mercredi 03/01/2024 - Les associations féministes accueillent avec prudence la baisse de 20% des féminicides en 2023 avancée par le garde des Sceaux et rappellent que ces meurtres ne sont que la "partie émergée" des violences intrafamiliales.

Dans un entretien publié mardi par le quotidien Le Figaro, Eric Dupond-Moretti a donné le chiffre de 94 féminicides en 2023, contre 118 en 2022. Le garde des Sceaux y voit le signe que "l'engagement de la justice française pour endiguer les féminicides" porte "ses premiers fruits".

Un décompte accueilli mercredi avec prudence par les associations féministes, qui s'étonnent de voir un chiffre sur l'année 2023 publié début janvier, alors que des enquêtes sont encore en cours. 

Elles préfèrent attendre les chiffres officiels consolidés, que publie le ministère de l'Intérieur à l'été au plus tôt.

"A ce jour, nous avons recensé dans la presse 102 féminicides conjugaux en France en 2023. Plusieurs enquêtes pour mort suspecte sont toujours en cours. En attendant les chiffres officiels, M. Dupond-Moretti se permet de supprimer quelques victimes", a tweeté le collectif Féminicides par compagnon ou ex, qui craint un "coup de com" du gouvernement.

Ce collectif s'attache à comptabiliser les cas rapportés par la presse de femmes tuées dans un cadre conjugal. Pour 2022, il avait décompté 113 féminicides et l'Intérieur 118.

"Il y a aussi des victimes que nous découvrons bien plus tard, après une longue enquête: des meurtres déguisés en accident ou en suicide, des disparitions. Delphine Jubillar n'est pas considérée comme victime d'un féminicide", relève Julia, bénévole du Collectif.

D'autres soulignent, par ailleurs, que les suicides de victimes de violences ne sont pas statistiquement comptabilisés.

L'évaluation du danger

Un autre collectif, mené par NousToutes, évoque le chiffre de 134 "femmes tuées en raison de leur genre" en 2023, dont 97 dans un cadre conjugal. Les autres ont été tuées hors cadre conjugal (prostituées, victimes de viol...).

Cent quarante-six en 2019, 102 en 2020, 122 en 2021, 118 femmes tuées par un conjoint ou ex en 2022 selon les chiffres officiels: "Si la baisse était le résultat des politiques publiques, elle serait constante", relève prudemment Mine Günbay, présidente de la Fédération nationale Solidarités Femmes (FNSF). Elle souhaite une "étude d'impact des politiques publiques" pour établir l'efficacité des mesures prises depuis le Grenelle des violences conjugales en 2019.

Le nombre d'appels au 3919, la ligne destinée aux femmes victimes de violences conjugales (93.000 en 2022, quelque 98.000 en 2023) ne baisse pas, observe la FNSF qui la gère.

Les féminicides ne sont que la "partie émergée de l'iceberg" des violences intrafamiliales, relèvent les féministes. Les enfants covictimes des violences conjugales ne sont toujours pas suffisamment pris en compte.

"Les droits de visite et d'hébergement sont maintenus pour le mari violent: la mère doit rester en contact pour lui remettre les enfants et ne peut lui dissimuler son adresse", déclare à l'AFP l'experte féministe Françoise Brié.

"Les sanctions judiciaires sont insuffisantes: des peines de prison de quelques mois, avec sursis ou purgés sous bracelet électronique, pour des multirécidivistes. Le père revient à la maison et cela laisse penser aux enfants que battre sa femme est un comportement normal", estime Julia, du collectif Féminicides par compagnon ou ex.

"Comme le quintuple meurtre de Meaux en décembre (un mari a tué sa femme et ses quatre enfants), la question de l'évaluation du danger et des moyens reste posée, notamment pour le suivi socio-judiciaire des hommes violents et les obligations de soins", souligne Mme Brié.

Depuis le 1er janvier, chacun des 164 tribunaux français et des 36 cours d'appel est doté  d'un pôle spécialisé dans les violences intrafamiliales, afin de mieux coordonner l'action judiciaire entre le procureur qui poursuit les infractions, le juge pénal, le juge des enfants et le juge aux affaires familiales qui statue sur l'exercice de l'autorité parentale et les droits de visite et d'hébergement.

le Mercredi 3 Janvier 2024 à 07:18 | Lu 276 fois