Aux Emirats, une COP28 de tous les records pour enfin parler des énergies fossiles


JOHN THYS / AFP
Paris, France | AFP | jeudi 22/11/2023 - Une COP28 à l'affluence inédite s'ouvre dans une semaine aux Emirats arabes unis, avec au menu deux grandes batailles autour de la finance et des énergies fossiles, dont l'utilisation massive pousse l'humanité vers de nouveaux précipices climatiques.

Le pape François et le roi Charles III sont attendus à Dubaï parmi une foule de chefs d'Etat, ministres, représentants d'ONG, industriels, lobbyistes, journalistes... : plus de 70.000 visiteurs accrédités, du jamais vu, sont attendus du 30 novembre au 12 décembre pour le grand rendez-vous de la communauté internationale pour discuter du climat sous l'égide de l'ONU.

La conférence sera lancée par une cérémonie d'ouverture le 30 novembre, suivie par deux journées de sommet au cours desquelles près de 140 chefs d'Etat et de gouvernement doivent s'exprimer, en prélude à une dizaine de jours de négociations. La date de fin de la COP reste théorique car des dépassements d'un ou deux jours sont monnaie courante.

Les pourparlers, sur fond de tensions internationales, se tiennent dans l'émirat pétrogazier de Dubaï, provocation pour certains défenseurs de l'environnement mais opportunité de parler enfin concrètement des énergies fossiles pour d'autres observateurs.

Le président de le COP28, Sultan Al Jaber, également patron de la compagnie pétrolière émiratie Adnoc, incarne ces contradictions.

"Les gens qui m'accusent de conflit d'intérêt ne connaissent pas mon parcours", a-t-il répondu à l'AFP en juillet, en rappelant qu'il fut le premier patron en 2006 de Masdar, devenu entretemps un géant des énergies renouvelables.

"Actions record" 

L'une des décisions les plus attendues de la COP28, à adopter formellement par consensus, doit tirer le premier "bilan" de l'accord de Paris sur le climat de 2015. 

Un rapport technique publié début septembre a fait sans surprise le constat d'une action très insuffisante et mis sur la table la question des énergies fossiles.

A charge aux près de 200 pays d'adopter une décision tirant les leçons de ce bilan technique, des dizaines de pays voulant qu'y figure un appel explicite à réduire les fossiles, ce qu'aucune COP n'a jamais réussi.

La récente déclaration commune de Washington et Pékin semble indiquer un mouvement de la Chine dans le sens d'un bilan ambitieux, tourné vers les efforts à accomplir - reste à savoir ce que feront l'Inde et d'autres pays en développement.

Les attentes sont immenses alors que le monde devrait connaître en 2023 son année la plus chaude jamais enregistrée, un dérèglement alimentant sécheresses, incendies, inondations et autres catastrophes.

Et les engagements actuels des pays placent le monde sur la trajectoire périlleuse d'un réchauffement de 2,5° à 2,9°C au cours du siècle, selon les calculs de l'ONU qui viennent d'être rendus publics. Un autre rapport onusien, mi-novembre, conclut que les engagements nationaux actuels mènent à 2% de baisse des émissions entre 2019 et 2030, au lieu des 43% préconisés pour limiter le réchauffement à 1,5°C par rapport à la période pré-industrielle.

Le secrétaire général de l'ONU, António Guterres, a prié les dirigeants de "redoubler d'efforts de façon spectaculaire, avec des ambitions record, des actions record et des réductions des émissions record". 

Sortie des fossiles?

Un certain nombre de questions épineuses seront donc abordées dans le décor clinquant de l'émirat, sur fond de divisions internationales sur l'Ukraine et de guerre entre Israël et le Hamas.

"Si je devais retenir deux choses phares de cette COP... C'est la question de la sortie des fossiles et celle des pertes et dommages", résume Lola Vallejo, directrice du programme climat de l'Iddri, un groupe de réflexion français.

Sur les énergies fossiles, principales responsables du changement climatique, le charbon n'avait été cité pour la première fois qu'en 2021 à la COP26 de Glasgow. Cette année, le sujet sera central mais les nuances seront importantes, par exemple sur un éventuel calendrier de sortie ou la place laissée aux technologies controversées de captage et de stockage du carbone.

Point important: les ONG demandent des engagements sur les fossiles dans une "décision formelle" de la COP, donc un texte contraignant sous l'égide de l'ONU.

"Divisions profondes"

Car la présidence émiratie va multiplier les "engagements" volontaires sur le triplement des énergies renouvelables d'ici 2030, sur le nucléaire, l'agriculture, la santé... Des textes sans la même valeur d'obligation que le texte onusien adopté par tous les pays en fin de COP.

"C'est une volonté générale de la présidence émirienne d'occuper les parties avec une flopée d'engagements volontaires", s'inquiète Catherine Abreu, fondatrice de l'ONG canadienne Destination Zero. "C'est assez inquiétant parce que c'est la COP du bilan mondial, donc de la responsabilité, et pas la COP des engagements volontaires".  

Autre sujet explosif: la création d'un fonds pour les "pertes et dommages" climatiques des pays vulnérables, dont la COP27 l'an dernier en Egypte avait fini par acter la création, au terme de vives tensions nord-sud.

Un fragile compromis a été trouvé début novembre pour loger le fonds provisoirement à la Banque mondiale. Mais des questions cruciales devront encore tranchées à Dubaï: combien d'argent, qui l'abondera, qui en bénéficiera...?

Des questions qui risquent de creuser les fractures, alors que le monde se divise par ailleurs sur la situation géopolitique.

Mais "on ne peut pas appuyer sur pause", rappelle Inger Andersen, directrice exécutive du Programme de l'ONU pour l'environnement.

le Jeudi 23 Novembre 2023 à 07:00 | Lu 711 fois