Ni le robinet à purée, ni la pilule-steak n’avaient jamais été inventés : les années 2000 s’étaient avérées plus ordinaires qu’on le présumait au siècle dernier. Heureusement, grâce à l’audace d’un jeune garçon prénommé Ioteve, 2050 avait tenu ses promesses.
Quand il naquit en 2025, nous étions au pied du mur. C’était l’avènement de l’huile de palme et du sirop de glucose-fructose sous blister bariolé, le tout savamment conçu pour nous rendre accro. On mangeait des E240 et des choses en -ates, des ingrédients inconnus aux noms incongrus. Et quand on en tombait malade, on parlait “d’effet cocktail”.
Il faut le dire, nos papilles s’ennuyaient un peu, pendant les années snacks-soda, cantonnant les merveilleux produits de nos fa΄a΄apu aux recettes traditionnelles des tupuna qui devaient mijoter toute la matinée. Résultat, dans le meilleur des cas, on mangeait local le dimanche après la messe.
Jadis, à la cantine, les crudités proposées aux enfants finissaient souvent dans l’estomac des cochons. Mais depuis, le vent avait tourné.
Dans un objectif de santé publique, la brigade polynésienne du goût avait réformé les menus : à l’école, on pouvait déguster un trio de papaye verte, potiron et carottes râpées à l’émulsion de combava, miel et vinaigre de banane des Marquises. Les assiettes revenaient vides, au grand désespoir des cochons.
La brigade était dirigée par Ioteve, qu’on avait découvert, médusés face à nos postes de télévision, lorsqu’il avait gagné en direct un concours de cuisine international au Japon. C’était un jeune prodige, fan inconditionnel de la gastronomie moléculaire de l’Espagnol Ferran Adrià et qui avait ouvert une table de renommée internationale à Tahaa.
Achalandé par les produits d’exception venus de tous les archipels, Ioteve se refusait à cuisiner des produits importés. Pourtant sa cuisine faisait voyager : on évoquait les Raromatai par-delà les océans. À Tahiti, chacun rêvait de goûter à son carpaccio de varo à la vanille de Tahaa, servi sous un nuage fumant, parsemé de fleurs comestibles et de billes de gingembre.
Lors d’un dîner mémorable de 2050, Ioteve avait reçu des diplomates étrangers dans un laboratoire de chimie. Ses commis, d’ordinaire enthousiastes, estimaient cette fois qu’il était allé trop loin. Pendant des heures, ils avaient taillé en julienne, blanchi, déglacé, mariné sous les ordres du Chef, la boule au ventre.
En poussant la porte, les convives avaient cru à une plaisanterie. Ils étaient prêts à tourner les talons quand des sphères au parfum de moringa leur furent servies sous haute tension. À la première cuillerée, les saveurs avaient explosé en bouche. Les aromates avaient fondu sur une viande persillée d’une tendreté incroyable.
Rompant le silence, un dignitaire australien au sourire pincé avait alors bafouillé : « C’est un coup de maître ! », puis la tablée avait ri aux éclats, conquise par l’audace du jeune Chef. Ce jour-là, on renomma le restaurant qui inspirait désormais tout le fenua.
Autrice : Sandra Forlini
Quand il naquit en 2025, nous étions au pied du mur. C’était l’avènement de l’huile de palme et du sirop de glucose-fructose sous blister bariolé, le tout savamment conçu pour nous rendre accro. On mangeait des E240 et des choses en -ates, des ingrédients inconnus aux noms incongrus. Et quand on en tombait malade, on parlait “d’effet cocktail”.
Il faut le dire, nos papilles s’ennuyaient un peu, pendant les années snacks-soda, cantonnant les merveilleux produits de nos fa΄a΄apu aux recettes traditionnelles des tupuna qui devaient mijoter toute la matinée. Résultat, dans le meilleur des cas, on mangeait local le dimanche après la messe.
Jadis, à la cantine, les crudités proposées aux enfants finissaient souvent dans l’estomac des cochons. Mais depuis, le vent avait tourné.
Dans un objectif de santé publique, la brigade polynésienne du goût avait réformé les menus : à l’école, on pouvait déguster un trio de papaye verte, potiron et carottes râpées à l’émulsion de combava, miel et vinaigre de banane des Marquises. Les assiettes revenaient vides, au grand désespoir des cochons.
La brigade était dirigée par Ioteve, qu’on avait découvert, médusés face à nos postes de télévision, lorsqu’il avait gagné en direct un concours de cuisine international au Japon. C’était un jeune prodige, fan inconditionnel de la gastronomie moléculaire de l’Espagnol Ferran Adrià et qui avait ouvert une table de renommée internationale à Tahaa.
Achalandé par les produits d’exception venus de tous les archipels, Ioteve se refusait à cuisiner des produits importés. Pourtant sa cuisine faisait voyager : on évoquait les Raromatai par-delà les océans. À Tahiti, chacun rêvait de goûter à son carpaccio de varo à la vanille de Tahaa, servi sous un nuage fumant, parsemé de fleurs comestibles et de billes de gingembre.
Lors d’un dîner mémorable de 2050, Ioteve avait reçu des diplomates étrangers dans un laboratoire de chimie. Ses commis, d’ordinaire enthousiastes, estimaient cette fois qu’il était allé trop loin. Pendant des heures, ils avaient taillé en julienne, blanchi, déglacé, mariné sous les ordres du Chef, la boule au ventre.
En poussant la porte, les convives avaient cru à une plaisanterie. Ils étaient prêts à tourner les talons quand des sphères au parfum de moringa leur furent servies sous haute tension. À la première cuillerée, les saveurs avaient explosé en bouche. Les aromates avaient fondu sur une viande persillée d’une tendreté incroyable.
Rompant le silence, un dignitaire australien au sourire pincé avait alors bafouillé : « C’est un coup de maître ! », puis la tablée avait ri aux éclats, conquise par l’audace du jeune Chef. Ce jour-là, on renomma le restaurant qui inspirait désormais tout le fenua.
Autrice : Sandra Forlini