Au cœur du trafic de cochons


Tahiti, le 21 décembre 2022 – Quatre ans après la mise en examen de deux anciens bouchers et deux ex-livreurs de la Charcuterie du Pacifique dans le cadre d'une série de vols de carcasses de cochons ayant causé 190 millions de perte à leur employeur, le procureur de la République a rendu, le 18 juillet dernier, son réquisitoire définitif. S'il demande le renvoi des quatre intéressés pour vols en réunion, ainsi que celui de neuf autres hommes pour “recel de vols”, le magistrat s'attarde également sur l'organisation de ce vaste trafic qui a duré de 2012 à 2018.

Le procureur de la République a rendu, le 18 juillet dernier, son réquisitoire définitif dans le cadre de l'affaire de vols massifs de carcasses de cochons commis par des employés de la Charcuterie du Pacifique au préjudice de cette dernière entre mai 2012 et novembre 2018. Dans ce dossier, le parquet a requis le renvoi en correctionnelle de deux anciens bouchers et deux ex-livreurs de la société pour “vols en réunion” et “association de malfaiteurs”. Il a également demandé le renvoi de neuf autres hommes quant à eux poursuivis pour recel de vols. Dans son réquisitoire définitif, auquel Tahiti Infos a eu accès, le procureur de la République expose l'impressionnante organisation de ce “marché parallèle de vente sous le manteau de carcasses détournées du flux officiel de l'industrie agro-alimentaire” qui aura duré six ans, et qui a permis aux intéressés de voler 190 millions à la Charcuterie du Pacifique.

Cette affaire, largement médiatisée lors de la mise en examen des personnes renvoyées en novembre 2018, avait démarré six mois plutôt lorsque le directeur de la Charcuterie du Pacifique avait porté plainte pour vol en bande organisée. Outre des “rumeurs” qui couraient “depuis un certain temps”, il lui avait en effet été signalé que, tel que le précise le procureur de la République dans son réquisitoire définitif, “des carcasses de porcs entières étaient détournées et revendues, réalisant un véritable commerce parallèle non déclaré”. Les vols, opérés par “les bouchers de concert avec les livreurs de l'abattoir de Papara”, portaient sur des carcasses de cochons mais aussi sur du “sang, des os et des abats”. Ainsi, “30% de la production commandée à l'abattoir de Papara étaient volés avant chaque arrivage” à l'usine de la charcuterie du Pacifique.
 
Organisation délinquante
 
A la suite de ce dépôt de plainte, le parquet avait ouvert une enquête préliminaire qui avait été confiée à la brigade de recherches de Faa'a. Au terme de plusieurs mois d'investigations, les enquêteurs avaient pu établir qu'un chef d'équipe de la boucherie, un autre boucher et deux livreurs de l'abattoir avaient organisé un véritable marché parallèle. Tel que le note le procureur dans son réquisitoire, il s'agissait d'une “organisation délinquante avec une distribution de rôles” bien définie. Les livreurs, “logisticiens”, vendaient les carcasses et récupéraient l'argent de la vente. Un boucher validait les bons de livraison à l'arrivée dans les locaux de la Charcuterie du Pacifique pour “maquiller la viande volée dans les listings” quand un autre boucher, “informaticien”, “maquillait les chiffres” relatifs aux carcasses achetées à l'abattoir sur les logiciels de gestion des stocks. Lors de la perquisition opérée chez l'un des deux bouchers impliqués, les gendarmes avaient saisi 3 millions en numéraire ainsi que “plusieurs centaines de kilos de viande de porc”.
 
Selon les enquêteurs du Groupe interministériel de recherches (GIR) de la gendarmerie, qui avaient participé à l'enquête, l'impact financier de ces vols massifs a atteint 190 millions de Fcfp entre 2010 et 2018. Dans son réquisitoire, le procureur de la République explique ce montant titanesque par la “régularité des vols commis à l'occasion de deux tournées de livraison hebdomadaires du mardi et jeudi”. Il relève en effet que les voleurs monnayaient une carcasse de porc à 25 000 Fcfp alors que cette dernière se vendait 80 000 Fcfp dans le commerce régulier.
 
Receleurs
 
Outre pour les deux bouchers et les deux livreurs, le renvoi en correctionnelle est également requis à l'encontre de neuf autres hommes poursuivis pour avoir recelé la viande. Tel que le rapporte le représentant du ministère public dans son réquisitoire, il est ressorti des investigations que les carcasses étaient achetées par “des clients qui devaient nécessairement se douter de l'origine frauduleuse de la marchandise dans la mesure où ces carcasses étaient vendues en dehors de tout magasin ou dépôt officiel” et ce, “en rupture de la chaîne draconienne en matière d'hygiène alimentaire, sans facture ni traçabilité”.
Entendus par les enquêteurs, les neuf receleurs présumés avaient, tout comme les deux bouchers et les deux livreurs, reconnu les faits. Certains avaient fait office d'intermédiaire en revendant les carcasses à d'autres clients, s'octroyant au passage une commission de 5 000 Fcfp. D'autres achetaient la viande et la transformait en pua ofe à 1 000 Fcfp l'unité. Ainsi, un receleur qui achetait cinq cochons par mois revendait 300 plats et dégageait un bénéfice mensuel de 135 000 Fcfp. L'un des receleurs poursuivis avait expliqué en garde à vue qu'il commandait “des carcasses pour plusieurs paroisses” ainsi que pour son compte personnel.
Le procureur de la République ayant rendu son réquisitoire définitif, il appartiendra désormais au juge d'instruction en charge de l'affaire de rendre son ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel. Il demeure cependant que le très lourd préjudice subi par la Charcuterie du Pacifique sera difficilement indemnisable.

Rédigé par Garance Colbert le Jeudi 22 Décembre 2022 à 16:50 | Lu 4264 fois