Tripoli, Liban | AFP | vendredi 01/06/2018 - Fusils-harpons en main, ils parcourent les fonds marins et voient la mer Méditerranée se vider de ses poissons. Alors ils ont décidé d'agir: dans le nord du Liban, des pêcheurs sous-marins s'engagent pour promouvoir une pêche raisonnée et mieux réglementée.
Il est 05H00 sur le port de Qalamoun, non loin de la ville côtière de Tripoli. Rachid Zock et deux amis ont enfilé leur combinaison de couleur verte et marron, camouflage pour les fonds rocheux, leurs palmes et leur masque, et filent vers le large avec leurs fusils-harpons.
Aujourd'hui, comme souvent, la pêche s'annonce compliquée.
"J'ai débuté la chasse sous-marine à sept ans. Il y avait plein de poissons de toutes formes et de toutes tailles. Mais ça n'a cessé de se réduire", explique M. Zock, un moniteur d'apnée et de chasse sous-marine âgé de 38 ans.
Au large de Qalamoun, il flotte avec deux camarades, les yeux rivés vers le fond. L'un plonge en apnée, les deux autres restent à la surface pour s'assurer qu'il ne lui arrive rien. Deux minutes passent. Il remonte, bredouille. Un deuxième plonge. Puis le troisième. Au bout d'une heure, toujours rien. Ils changent d'endroit. Et terminent leur partie de pêche quatre heures plus tard avec pour seul butin un mérou, gros poisson marron scintillant.
Sur le port, tous dressent le même constat: en raison des abus commis depuis des décennies --pêches de juvéniles, utilisation de la dynamite, surpêche--, la mer se vide de ses poissons.
"Je plonge tous les jours depuis 12 ans pour placer des cages sous l'eau. J'obtenais 40 kg de poisson par jour en 2016, mais j'en ai attrapé seulement la moitié l'année suivante", témoigne Fayçal Tawokji, un pêcheur de 25 ans.
- Initiative commune en Méditerranée -
Environ 90% des stocks de poissons étudiés sont surexploités en Méditerranée, selon une étude publiée début 2017 par la Commission européenne.
Pour y remédier, une initiative a été lancée au printemps 2017, MedFish4ever, avec des pays non membres de l'UE, à l'issue d'une conférence à Malte consacrée à la pêche. Elle porte notamment sur la lutte contre la pêche illicite et non réglementée et sur l'adoption de mesures de conservation fiables.
Mais le Liban, un pays qui comptait 7.000 pêcheurs en 2014 et où la pêche n'a qu'un poids infime dans l'économie (0,2% du PIB en 2010), ne s'est pas associé à cette initiative.
Par ailleurs, la loi libanaise règlemente théoriquement depuis 2010 la taille des mailles des filets --pour éviter la prise de poissons trop jeunes-- et interdit notamment la pêche à la dynamite. Mais elle n'est pas toujours appliquée.
Pour "diffuser une culture de protection des poissons" et préserver ainsi les ressources marines, M. Zock et d'autres amateurs ont décidé de promouvoir l'apnée et la chasse sous-marine, moins destructrice selon eux.
- "Régénérer la vie" -
C'est ainsi qu'a vu le jour l'association Freedive Lebanon, dont les membres ont tous une licence de pêche sous-marine, qui interdit de pratiquer avec un appareil respiratoire ou durant la nuit, limitant ainsi les prises.
"J'ai commencé tout seul mais on a atteint les 90 membres fin 2017", annonce fièrement M. Zock.
Étonnamment, l'inspiration lui est venue en 2006 lors du conflit entre la milice chiite libanaise du Hezbollah et Israël, explique-t-il. "Les pêcheurs sont restés chez eux pendant un mois" en raison de la guerre. "A leur retour, le nombre de poissons avait augmenté. J'ai été étonné par la capacité de la mer à régénérer la vie."
Rachid Zock et les membres de Freedive Lebanon tentent de convaincre les pêcheurs de pratiquer leur métier différemment. Ils vont à leur rencontre, mènent des formations dans les ports, les sensibilisent par téléphone.
"On essaie de leur expliquer qu'il ne faut pas pêcher certaines espèces durant le frai (reproduction, ndlr), mais en privilégier d'autres. Mais certains veulent attraper le maximum de poissons le plus vite possible, sans se préoccuper des conséquences", soupire-t-il.
- "Pêcheurs électeurs" -
A terme pourtant, la surexploitation menace les milliers de pêcheurs du Liban, qui risquent de se retrouver sans emploi face à la diminution des stocks.
Malgré cela, les abus sont nombreux, comme le reconnaît Hassan Mallat, un pêcheur à la retraite qui déplore une "pêche excessive et inadaptée".
"Certains pêcheurs resserrent délibérément les mailles de leurs filets pour attraper plus de poissons" dont des juvéniles, les "empêchant de grandir et de se reproduire", explique le septuagénaire.
Pour Abdelkader Alameddine, maire de Mina, dans le district de Tripoli, les mauvaises pratiques d'une minorité nuisent au gagne-pain de tous les pêcheurs.
Et la municipalité n'a qu'un "rôle indirect" pour l'empêcher, plaide-t-il. Tout ce qu'elle peut faire, "c'est transmettre des recommandations aux institutions étatiques concernées sur la base des plaintes des pêcheurs", dit-il.
Mais la volonté politique manque souvent pour entraîner un réel changement: "Les hommes politiques couvrent ceux qui ne respectent pas la loi, parce que ces pêcheurs sont aussi des électeurs", peste M. Zock, appelant les ONG à "venir aider".
Hassan Mallat renchérit: "Le gouvernement ne veut pas demander aux pêcheurs de s'arrêter de travailler durant quatre mois pour que la vie marine se régénère. Et il ne garantit pas de prix pour le poisson", ce qui permettrait pourtant aux pêcheurs d'avoir un revenu décent sans avoir recours à la surpêche.
A 50 ans, Khaled Salloum pêche et ne s'en cache pas: son filet n'est pas aux normes. Mais si le gouvernement se montre plus strict, il promet: "Je serai le premier à brûler mon filet pour en prendre un réglementaire".
Il est 05H00 sur le port de Qalamoun, non loin de la ville côtière de Tripoli. Rachid Zock et deux amis ont enfilé leur combinaison de couleur verte et marron, camouflage pour les fonds rocheux, leurs palmes et leur masque, et filent vers le large avec leurs fusils-harpons.
Aujourd'hui, comme souvent, la pêche s'annonce compliquée.
"J'ai débuté la chasse sous-marine à sept ans. Il y avait plein de poissons de toutes formes et de toutes tailles. Mais ça n'a cessé de se réduire", explique M. Zock, un moniteur d'apnée et de chasse sous-marine âgé de 38 ans.
Au large de Qalamoun, il flotte avec deux camarades, les yeux rivés vers le fond. L'un plonge en apnée, les deux autres restent à la surface pour s'assurer qu'il ne lui arrive rien. Deux minutes passent. Il remonte, bredouille. Un deuxième plonge. Puis le troisième. Au bout d'une heure, toujours rien. Ils changent d'endroit. Et terminent leur partie de pêche quatre heures plus tard avec pour seul butin un mérou, gros poisson marron scintillant.
Sur le port, tous dressent le même constat: en raison des abus commis depuis des décennies --pêches de juvéniles, utilisation de la dynamite, surpêche--, la mer se vide de ses poissons.
"Je plonge tous les jours depuis 12 ans pour placer des cages sous l'eau. J'obtenais 40 kg de poisson par jour en 2016, mais j'en ai attrapé seulement la moitié l'année suivante", témoigne Fayçal Tawokji, un pêcheur de 25 ans.
- Initiative commune en Méditerranée -
Environ 90% des stocks de poissons étudiés sont surexploités en Méditerranée, selon une étude publiée début 2017 par la Commission européenne.
Pour y remédier, une initiative a été lancée au printemps 2017, MedFish4ever, avec des pays non membres de l'UE, à l'issue d'une conférence à Malte consacrée à la pêche. Elle porte notamment sur la lutte contre la pêche illicite et non réglementée et sur l'adoption de mesures de conservation fiables.
Mais le Liban, un pays qui comptait 7.000 pêcheurs en 2014 et où la pêche n'a qu'un poids infime dans l'économie (0,2% du PIB en 2010), ne s'est pas associé à cette initiative.
Par ailleurs, la loi libanaise règlemente théoriquement depuis 2010 la taille des mailles des filets --pour éviter la prise de poissons trop jeunes-- et interdit notamment la pêche à la dynamite. Mais elle n'est pas toujours appliquée.
Pour "diffuser une culture de protection des poissons" et préserver ainsi les ressources marines, M. Zock et d'autres amateurs ont décidé de promouvoir l'apnée et la chasse sous-marine, moins destructrice selon eux.
- "Régénérer la vie" -
C'est ainsi qu'a vu le jour l'association Freedive Lebanon, dont les membres ont tous une licence de pêche sous-marine, qui interdit de pratiquer avec un appareil respiratoire ou durant la nuit, limitant ainsi les prises.
"J'ai commencé tout seul mais on a atteint les 90 membres fin 2017", annonce fièrement M. Zock.
Étonnamment, l'inspiration lui est venue en 2006 lors du conflit entre la milice chiite libanaise du Hezbollah et Israël, explique-t-il. "Les pêcheurs sont restés chez eux pendant un mois" en raison de la guerre. "A leur retour, le nombre de poissons avait augmenté. J'ai été étonné par la capacité de la mer à régénérer la vie."
Rachid Zock et les membres de Freedive Lebanon tentent de convaincre les pêcheurs de pratiquer leur métier différemment. Ils vont à leur rencontre, mènent des formations dans les ports, les sensibilisent par téléphone.
"On essaie de leur expliquer qu'il ne faut pas pêcher certaines espèces durant le frai (reproduction, ndlr), mais en privilégier d'autres. Mais certains veulent attraper le maximum de poissons le plus vite possible, sans se préoccuper des conséquences", soupire-t-il.
- "Pêcheurs électeurs" -
A terme pourtant, la surexploitation menace les milliers de pêcheurs du Liban, qui risquent de se retrouver sans emploi face à la diminution des stocks.
Malgré cela, les abus sont nombreux, comme le reconnaît Hassan Mallat, un pêcheur à la retraite qui déplore une "pêche excessive et inadaptée".
"Certains pêcheurs resserrent délibérément les mailles de leurs filets pour attraper plus de poissons" dont des juvéniles, les "empêchant de grandir et de se reproduire", explique le septuagénaire.
Pour Abdelkader Alameddine, maire de Mina, dans le district de Tripoli, les mauvaises pratiques d'une minorité nuisent au gagne-pain de tous les pêcheurs.
Et la municipalité n'a qu'un "rôle indirect" pour l'empêcher, plaide-t-il. Tout ce qu'elle peut faire, "c'est transmettre des recommandations aux institutions étatiques concernées sur la base des plaintes des pêcheurs", dit-il.
Mais la volonté politique manque souvent pour entraîner un réel changement: "Les hommes politiques couvrent ceux qui ne respectent pas la loi, parce que ces pêcheurs sont aussi des électeurs", peste M. Zock, appelant les ONG à "venir aider".
Hassan Mallat renchérit: "Le gouvernement ne veut pas demander aux pêcheurs de s'arrêter de travailler durant quatre mois pour que la vie marine se régénère. Et il ne garantit pas de prix pour le poisson", ce qui permettrait pourtant aux pêcheurs d'avoir un revenu décent sans avoir recours à la surpêche.
A 50 ans, Khaled Salloum pêche et ne s'en cache pas: son filet n'est pas aux normes. Mais si le gouvernement se montre plus strict, il promet: "Je serai le premier à brûler mon filet pour en prendre un réglementaire".