Au CHPF, "on a peur d'être submergé"


Tahiti, le 2 août 2021 – Avec 53 hospitalisations et déjà deux services de réanimations saturés en l'espace d'une quinzaine de jours depuis l'arrivée du Delta, le personnel du CHPF est surpris par la rapidité d'afflux des patients. Les médecins appellent tout un chacun à “faire front” pour que l'hôpital puisse encaisser cette deuxième vague : “Il faut nous aider à ne pas saturer les lits par tous les moyens disponibles sur l'échiquier local”. Avec en tête des leviers, la vaccination.
 
“Ce n'est pas tant l'effet volume de patients qui nous impacte dans un premier temps que la rapidité avec laquelle ils arrivent”. Les traits tirés par la fatigue, le président de la Commission médicale d'établissement au CHPF, Philippe Dupire n'en revient toujours pas de la montée en charge des malades en l'espace de dix jours. La découverte d'un premier malade porteur du Delta dix jours après son arrivée à l'aéroport de Tahiti-Faa'a avait déjà inquiété le personnel de l'hôpital. “Et puis ça s'est emballé avec le cluster de l'hospitel, on a découvert un patient le mardi vers midi, le lendemain on avait déjà 15 patients contaminés, et quelques jours plus tard, huit de plus" rapporte celui qui est aussi chef du service pharmacie à l'hôpital du Taaone.
 
“Les urgences ne s'arrêtent pas au Covid”
 
La différence avec la souche historique responsable de la première vague ? “Le variant Delta à une cinétique de transmission multipliée par 10, 20 voire 40”, répond le médecin. “On a peur d'être submergé par une quantité très importante de patients et très vite. C'est sans doute ce qui posera problèmes aux urgences”. Si le CHPF peut rebondir sur l'expérience de la première vague, la vitesse de propagation et de contagiosité est sans commune mesure. L'année dernière, il avait fallu attendre la mi-octobre pour atteindre le niveau d'occupation actuel de l'hôpital, avec un pic épidémique intervenu en novembre. Soit plus de trois mois après le cluster du Piment rouge, contre une quinzaine de jours depuis l'introduction du Delta par un irresponsable. “Les projections sont assez inquiétantes si on reste sur ce taux de contaminations”, alerte le chef du service des urgences, Tony Tekuataoa.

Pour autant, le CHPF se dit prêt, avec des capacités d'accueil ad hoc, à l'instar de la filière Covid qui a été maintenue. “Mais les urgences ne s'arrêtent pas au Covid, il ne faut pas perdre de vue que les autres patients ne doivent subir une perte de chance”, souligne le médecin. Or, depuis deux jours, deux modules de 15 lits d'hospitalisations sont déjà tous occupés. “On en a sanctuarisé un troisième. Nous sommes en train de réactiver tout ce qui avait été fait”, poursuit l'urgentiste. Dans ce contexte, l'anticipation est le maître mot. “Les patients non Covid qui étaient dans ces modules-là, il a bien fallu les mettre ailleurs”, renchérit Philippe Dupire.

“Les équipes souffrent”

Même précaution pour la réanimation qui compte quatre services de six lits (total de 24), auxquels s'ajoutent six lits de secours, des “petits modules” équipés pour prendre en charge du Covid “réanimatoire”. Alors que deux services de réanimation sont déjà occupés, le CHPF se dit prêt à en ouvrir un troisième. Mais cette fois, les médecins aimeraient épargner davantage les autres patients. “On souhaite leur donner un meilleur accès. On s'est un peu ajusté pour que les patients non Covid puissent continuer, pour le moment, à être pris en charge notamment pour les opérations urgentes”, justifie Philippe Dupire.

Mais pour assurer sur les tous les fronts, l'hôpital manque cruellement de ressources humaines. Le répit de quelques semaines a tout juste permis aux équipes de reprendre leur souffle. “On est obligé aujourd'hui de faire des rappels de congés pour que les soignants reviennent en Polynésie à leur poste”, poursuit le responsable. “Autant on est prêt sur l'adaptation des locaux, autant on est en difficulté avec le personnel”. Le CHPF fait d'ailleurs appel à toutes les “bonnes volontés”, médecins ou infirmiers, pour leur venir en aide. “Pour la réanimation Covid, il faut une infirmière pour deux patients, si on monte en puissance on aura vraiment besoin de renfort”. D'autant que cette épidémie a la particularité de durer. “Le zika ou le chikungunya ont duré trois à quatre mois. Il y a déjà eu des privations de vacances parce qu'il fallait des ressources humaines. Les équipes souffrent, c'est pour ça qu'il faut arriver à les protéger”, met en garde Tony Tekuataoa.
 
“Le Covid c'est l'affaire de tous (...) On est en guerre”
 Si les réserves sanitaires de l'État ont déjà été sollicitées par l'hôpital, les autres territoires ultramarins à l'instar de la Martinique ou de la Réunion étant eux-mêmes débordés par l'afflux de patients, la Polynésie arrive après sur la liste. “On y aura accès, il n'y a pas de doute, mais il faudra attendre un petit peu. Et même si on a une réponse, il faudra qu'on se débrouille dans l'immédiat. C'est la vitesse qui nous plombe”, résume le président de la commission médicale.  

C'est donc un appel à l'aide que les médecins du Taaone lancent. “Les soignants sont en première ligne mais ils ont besoin des efforts de tout le monde. Si on rame d'un côté et que les autres rament dans l'autre sens, on ne va pas s'en sortir” déplore Tony Tekuataoa. “Le Covid c'est l'affaire de tous, des autorités, des soignants, de la population : on est en guerre. Il faut que tout le monde fasse front pour qu'on puisse encaisser cette deuxième vague. Il faut nous aider à ne pas saturer l'hôpital par tous les moyens disponibles sur l'échiquier local”. En tête des leviers disponibles ? La vaccination sans aucun doute (lire encadré). Si le président de la commission médical note un sursaut du côté des injections, il déplore “une sorte d'opposition entre un individualisme forcené visant sa propre personne” et “une liberté de l'ensemble des citoyens” alors qu'un durcissement des restrictions semble inévitable au regard de la vitesse de propagation. “Il faut clairement aller vers la liberté de tous au prix d'une petite contrainte de vaccination”, plaide Philippe Dupire.

Le vaccin, c'est avant la détresse respiratoire

“Une fois que vous êtes en détresse respiratoire il est hors de question de parler de vaccin” assène le chef de service des urgences, Tony Tekuataoa. “Le vaccin c'est de la prévention, il faut le faire avant la phase clinique, quand on n'est pas malade”. Sans surprise, plus de 90% des patients hospitalisés en filière Covid ne sont pas vaccinés rappelle le CHPF. “Ces 90%, c'est ce qu'on appelle les non immunisés, il s'agit donc des non vaccinés ou des vaccinés incomplets, d'où l'importance d'aller au bout du processus de vaccination”, précise le médecin. Or, selon les derniers éléments de la recherche relayés par le conseil scientifique Covid-19, le vaccin Pfizer/BioNtech réduit le risque de symptômes de 88% et celui d'hospitalisations de 96%.
“Il y a vraiment une différence notoire entre les deux : le vaccin n'est pas codant, le virus oui”
“Quand on est vacciné on est moins infecté et donc on transmet moins, mais on empêche aussi la réplication du virus”, s'évertue à expliquer encore le président de la commission médicale, Philippe Dupire. “On absorbe moins de virus et donc la capacité de muter et de faire des variants. Ce qu'il faut comprendre c'est que quand on est infecté, c'est plusieurs milliards de virus qu'on reçoit d'un coup. Du virus avec des produits codants, du matériel génétique et sa membrane”. Le vaccin à ARN messager en revanche, c'est une “photocopie” d'un brin de code génétique du virus : la fameuse protéine Spike. C'est elle qui va déclencher la production d'anticorps et préparer l'organisme à reconnaître et neutraliser le Covid. Une fois le message délivré, l'ARN –molécule très fragile– s'autodétruit. D'où sa difficulté de conservation à -80 degrés. “Il y a vraiment une différence notoire entre les deux : le vaccin n'est pas codant, le virus oui”, résume le responsable. “Il reste encore des patients avec des facteurs de risque qui ne sont toujours pas vaccinés, c'est ceux-là qu'on est en train de récolter aujourd'hui, c'est eux qui vont en réanimation. C'est gens-là, il faut qu'ils se dépêchent de se vacciner”.

Des enfants et des femmes enceintes

Deux fois plus contagieux mais aussi plus virulent, le Delta n'épargne pas les plus jeunes. “Par expérience, on est en train de voir des gens de plus en plus jeunes”, rapporte le chef de service des Urgences, Tony Tekuataoa. Trois enfants de moins de 16 ans dont un douze ans ont été hospitalisés. “Ce variant contamine davantage les jeunes, y compris les enfants, contribuant à la propagation. Avec le variant, ils sont à la fois porteurs et vecteurs, voire malades”, ajoute Philippe Dupire.   
Mais on cite aussi le cas de deux femmes enceintes, dont le bébé était Covid+. “Ce qui veut dire que le virus traverse la barrière placentaire”, souligne le médecin. Les sociétés savantes d’obstétrique et de gynécologie ont d'ailleurs estimé que les bénéfices du vaccin dépassaient les risques potentiels, rapporte l’Inserm. La vaccination est ainsi recommandée quel que soit le moment de la grossesse.
 

Rédigé par Esther Cunéo le Lundi 2 Aout 2021 à 20:16 | Lu 6382 fois