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Association rāhui: Des bénévoles à bout face à l'incivisme


Crédit photo : Vetea Liao
Crédit photo : Vetea Liao
Tahiti, le 31 janvier 2025 - Face à l’incivisme croissant et au manque de moyens, les bénévoles des associations chargées de la surveillance des rāhui en Polynésie peinent à faire respecter les règles de protection des lagons. Certains subissent même des agressions violentes, illustrant la tension sur le terrain. Un paradoxe d’autant plus frappant qu’un récent sondage, dévoilé ce vendredi par le ministre de l'Environnement Taivini Teai, montre que 90% des Polynésiens soutiennent la création de zones marines protégées, témoignant d’une conscience écologique forte.

Les sentinelles des lagons polynésiens sont à bout de souffle. Livrés à eux-mêmes face à l'incivisme croissant, les bénévoles des associations de gestion des rāhui peinent à faire respecter des règles vitales pour la préservation des écosystèmes marins. "Les gens commencent à baisser les bras", confie Émile Vernier, membre de Te Marae Mo'a, la fédération qui regroupe les comités de gestion des rāhui et des zones de pêche réglementée (ZPR). "C'est un constat récent partagé par l'ensemble des membres."
 
Rāhui : des zones sous haute pression
 
Les rāhui, zones traditionnelles de gestion et de protection des lagons, sont parfois classés en ZPR ou en espaces naturels protégés selon le code de l'environnement. Leur objectif : lutter contre la surpêche pour permettre aux espèces de se reproduire et de prospérer. Autour de Tahiti, treize zones, couvrant 5 680 hectares—soit 40 % des lagons de l'île—sont concernées par ces mesures. Une superficie considérable, majoritairement surveillée par des associations rāhui, composées de bénévoles dépourvus de moyens de coercition.
 
Des bénévoles exposés à la violence
 
"Les rāhui, c'est pour que les poissons reviennent, mais aussi pour protéger les récifs. On manque cruellement de moyens, et la DRM (Direction des ressources marines) aussi. Nous ne pouvons même pas sanctionner. Ils (les pêcheurs, ndlr) se moquent de nous. Pêcher pour se nourrir, à la rigueur, mais pas pour vendre. En plus, ils tuent des poissons trop jeunes pour s'être reproduits", déplore Émile Vernier, amer. "Ils vont pêcher à 2 heures du matin, difficile de surveiller quand on dort".
 
 
La détérioration du climat de respect autour des rāhui ne se limite pas à l'incivilité. La mission de surveillance devient carrément dangereuse pour les bénévoles. "L'an dernier, un membre de l'association rāhui de Mahina s'est fait tabasser à la pointe Vénus par des jeunes. Il aurait pu être tué. C'est dangereux. Alors quoi, il faut qu'on s'arme aussi ? On n'est pas au Moyen Âge !", s'indigne-t-il.
 
Vers un renforcement des contrôles
 
Conscient de ces dérives, le Pays prévoit de renforcer le dispositif de contrôle. Tous les agents territoriaux devraient bientôt être habilités à constater des infractions environnementales. Les communes et leurs agents recevront des formations pour obtenir des pouvoirs similaires. Par ailleurs, des associations et des "personnes agréées" seront désignées comme relais de terrain pour la DRM, chargées de constater les infractions. Toutefois, la compétence pour infliger des amendes et engager des poursuites restera l'apanage du Pays.
 
Mais cette nouvelle législation, qui entrera en vigueur courant 2025, suffira-t-elle ? Émile Vernier plaide, lui, pour des outils technologiques : "La surveillance par drones et la vision thermique seraient efficaces. On y réfléchit, mais il faut que la gendarmerie et la police soient avec nous. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas."
 
Un paradoxe entre conscience écologique et réalité du terrain
 
Ce constat alarmant contraste avec les résultats du dernier sondage publié lors d'une conférence de presse de Taivini Teai, ministre de l'Environnement, ce vendredi. Réalisée en décembre 2024 par Alvea Consulting, l'enquête révèle une conscience écologique marquée : deux tiers des Polynésiens jugent l'océan en mauvaise santé et en dégradation continue. Plus frappant encore, 90 % des sondés soutiennent la création de nouveaux rāhui ou de zones protégées, et 82 % estiment que la moitié au moins des espaces marins devrait bénéficier d'une protection accrue. Plus encore, aux Australes et aux Marquises, l'adhésion est d'autant plus forte : 92 % des répondants soutiennent la création de grandes aires marines protégées (AMP), comme les projets Rāhui Nui no Tuhaa Pae (1 million de km²) et Te Tai Nui a Hau (430 000 km²). Ces initiatives s'inscrivent dans l'objectif mondial "30×30" des Nations unies, visant à protéger 30 % des océans d'ici 2030.
 
Le paradoxe est flagrant : l'adhésion massive des Polynésiens à la protection marine ne se traduit pas sur le terrain par un respect effectif des règles. La sensibilisation existe, mais l'application fait défaut. Ce fossé entre conscience collective et comportements individuels pourrait bien être le véritable défi à relever pour préserver durablement les lagons du Fenua.
 

Rédigé par Thibault Segalard le Samedi 1 Février 2025 à 06:30 | Lu 3239 fois