Artisan créateur et démuni face à la copie


Rameny Buchin montre la compilation des nombreuses contrefaçons d’œuvres originales créées par son compagnon, Heremoana.
Tahiti, le 18 mars 2022 – Lassé d’être victime de contrefaçons, Heremoana Buchin, artisan nacrier, a saisi le service de l’artisanat pour obtenir l’aide de l’administration dans la protection de ses droits.
 
"On passe des heures à inventer des créations originales et on retrouve des modèles identiques au marché de Papeete ou sur Facebook", s’indigne Heremoana Buchin, artisan nacrier à Pirae. "Ils récupèrent les modèles sur les pages des gens connus et ils produisent des contrefaçons vendues moins chères. Quand tu es créateur et que tu vois tes collections copiées, c’est dur." Le phénomène n’est pas nouveau. Mais il s’est renforcé durant la pandémie. L’accroissement des promotions commerciales sur les réseaux sociaux, avec présentation de photos de créations originales, s’accompagne de la multiplication des copies. Au point que le créateur a décidé de tirer la sonnette d’alarme, très inquiet pour l’avenir de son activité, deux ans après avoir investi à grands frais dans un local commercial. "On parle de la nacre, mais c’est pareil pour le bois, la couture, le tatouage…"
 
Avec sa compagne, Rameny, il a saisi le service de l’artisanat pour dénoncer ce phénomène de plagia. Ils plaident en faveur de l’instauration en Polynésie d’une règlementation pour protéger la propriété intellectuelle des artisans créateurs. Impensable pour ce couple de petits entrepreneurs de procéder à des dépôts systématiques de leurs créations auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI). La procédure est longue et trop coûteuse. Ses créations trop nombreuses sont en outre sans cesse renouvelées.
 
Un levier avec la carte d’artisan
 
Reste le préjudice commercial que dit subir ce couple et face auquel la seule ligne de défense se joue devant les tribunaux. Un jugement de mai 2019 leur donne déjà raison, après qu’ils ont dénoncé l’activité d’un artisan auteur de contrefaçons flagrantes. Du côté du service de l’artisanat, on reconnait sans peine que "ces gens qui font des copies causent du tort à toute la profession". Mais pour Vaiana Giraud, la cheffe du service, la marge de manœuvre est étroite. "On se renseigne actuellement pour voir quel pourrait être notre périmètre d’intervention." La publication d’un guide pratique est d’ailleurs à l’étude pour aider les artisans victimes de contrefaçon dans leurs démarches. La cheffe du service avoue au demeurant, par manque d’effectif, ne pas être en mesure de procéder à des contrôles systématiques sur le terrain. En somme, pour l’instant comme elle le reconnait, défendre ses droits "reste une démarche à mener à titre personnel".
 
Une piste s’offre cependant à son administration avec la loi du Pays sur le statut d’artisan traditionnel, votée fin décembre dernier. Ce texte prévoit la délivrance d’une carte professionnelle pour exercer en conformité avec la règlementation. Il instaure aussi un système de bonnes pratiques auquel est conditionné l’octroi de ce titre professionnel. En cas de signalement étayé, le service de l’artisanat se réserve la possibilité d’engager une procédure de retrait de cette carte professionnelle, après avis de la commission consultative. Privé de cette qualité, les artisans ne pourront plus prétendre aux aides matérielles, fiscales, ni au circuit de formation prévus par la nouvelle règlementation. Mais, ils pourront continuer à exercer. 

Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Vendredi 18 Mars 2022 à 14:51 | Lu 3131 fois