Aranui, 40 ans d’une aventure familiale


Philipe Wong, à gauche et son oncle, Jul-Chom Wong, à droite, sont revenus, sur l’histoire familiale de la compagnie Aranui.
Tahiti, le 26 septembre 2024 - À l’occasion, ce vendredi, des 40 ans du cargo-mixte Aranui, Philipe Wong, le directeur de la compagnie et son oncle Jules Chom Wong reviennent pour Tahiti Infos, sur l’histoire familiale de la compagnie qui a su transformer un service de fret en grande difficulté financière en une expérience unique de voyage. De ses débuts modestes avec des caboteurs à l’introduction des premiers cargos-mixtes, jusqu’à l’arrivée imminente d’un nouveau navire, le Aranoa 7 sur la desserte des îles Australes, ils partagent souvenirs, défis et visions pour l’avenir.
 
L'Aranui fête ses 40 ans ce vendredi, avec une grande célébration prévue. Cependant, votre famille s'était engagée dans le transport maritime bien avant, n'est-ce pas ?
 
Philipe Wong : “Oui, c'est bien plus que quarante ans. En réalité, nous célébrons les quarante ans de l'activité de cargo-mixte avec l'Aranui, mais mon grand-père s'est lancé dans le transport maritime au milieu des années 50. Jusqu'au début des années 80, nous utilisions des goélettes pour faire du transport de marchandise uniquement. Puis, nous avons pris la décision de lancer le principe de cargo-mixte avec un navire déjà existant, qui s'appelait l'Aranui. L’aventure a débuté ainsi.”
 
Vous devez avoir une multitude de souvenirs avec les différents navires Aranui qui se sont succédé. Lequel vous a le plus marqué ?
 
Jules Chom Wong : “Ce qui me revient en mémoire, c'est que grâce à cette transition, nous avons pu sauver la compagnie de la faillite à l'époque. Abandonner les goélettes nous a permis de nous relancer.”
 
PW : “Pour ma part, le premier souvenir remonte un peu plus tard. Je suis né en 1972, et j'avais douze ans en 1984, lorsque nous avons lancé le premier cargo-mixte. J'étais adolescent. Ce qui m'a le plus marqué, c'est un voyage sur le Aranui 1. C'était mon premier périple vers les Marquises. À cette époque, tout était différent. Je me souviens particulièrement d'une excursion en 4x4 entre Taiohae et Taipivai. Les chemins étaient encore en terre, et il avait plu la veille. La conductrice maîtrisait parfaitement le véhicule malgré ça. C’est une image qui reste gravée dans ma mémoire.”
 

L'Aranui 1, accosté au port de Papeete dans les années 80.
Le trajet du bateau, tel qu'il a été établi en 1984, a dû évoluer au fil des ans, non ?
 
JCW : “Initialement, le cargo partait pour 25 jours et récoltait du coprah sur les îles, mais cela prenait du temps. Nous devions aller le chercher loin. Nous avons donc réduit la durée des croisières à deux semaines afin d'attirer plus de voyageurs.”
 
PW : “Cette réduction a permis aux passagers de ne pas s'éterniser sur les îles. Le coprah restait important, mais 25 jours, c'était trop long pour les passagers. Mais oui, en quarante ans, nous avons modifié de nombreuses fois l'itinéraire de l'Aranui. Nous avons visité 25 îles dans les cinq archipels, sans oublier les Îles Cook et Pitcairn.”
 
Vous me disiez qu'au début, en 1984, les services à bord étaient encore rudimentaires. Comment avez-vous géré cela et comment avez-vous innové pour atteindre le niveau de luxe que vous proposez aujourd'hui ?
 
JCW : “À l'époque, personne ne savait comment s'occuper des passagers. L'équipage n'était pas formé pour cela. Mais nous leur répétions toujours : “Gardez le sourire, soyez sincères et faites découvrir l'hospitalité polynésienne. Si vous faites cela, les passagers seront heureux.” En plus, peu parlaient l’anglais. Mais les gens se rappellent surtout de l'amabilité et de la gentillesse de l'équipage. Nous avons commencé simplement, et petit à petit, nous avons évolué.”
 

L'Aranui 3 et 5, à Papeete.
PW : “Nous nous sommes améliorés au fil du temps, en répondant à la demande croissante des clients, mais aussi en respectant les exigences de sécurité et de la réglementation maritime, qui ont rapidement évolué après nos débuts en 1984. Au début, nous faisions avec les moyens du bord. Mais avec le succès, les autorités nous ont rapidement demandé de nous conformer aux normes. Nous avons donc dû rapidement améliorer nos services à bord. En plus de gérer un navire, nous devions aussi assurer un service d’hôtellerie. Aujourd'hui, nous proposons des massages, des soins de bien-être et des sorties de pêche, entre autres.”
 
Combien de passagers et de fret avez-vous transporté en quarante ans d'existence ?

PW : “En moyenne, ces dernières années, nous accueillons entre 3 500 et 4 500 passagers et transportons 20 000 tonnes de marchandises sur 25 voyages par an. En quarante ans, nous estimons avoir transporté environ 700 000 tonnes de marchandises et 80 000 touristes.”

Dans les années 80-90, le modèle du cargo-mixte était une nécessité pour la compagnie. Est-ce toujours le cas aujourd'hui ? Pourrait-on un jour voir un navire Aranui transporter uniquement des passagers ?
 
JCW : “La raison est plus profonde que cela. L'équipage d'un cargo-mixte joue un rôle crucial pour les passagers. Même s'ils ne parlent pas toujours anglais, ils permettent aux touristes de découvrir l'hospitalité polynésienne et de comprendre la vie locale lors des échanges de marchandises. C'est cela, l'ADN de l'Aranui.”
 
PW : “J'ajouterais que dans l'industrie mondiale du voyage en mer, certains se vantent d'avoir le bateau le plus luxueux, le plus grand, le plus rapide... Mais aucun ne peut dire : “Mon bateau dessert les îles de Polynésie, ravitaille les populations locales, et permet aux passagers d'assister à des opérations commerciales tout en bénéficiant du confort de leur cabine. Peu de navires dans le monde combinent ces deux activités. De plus, sur un bateau, l'espace est restreint, et cette proximité avec l'équipage crée quelque chose de fort. Les passagers vivent des tranches de vie polynésiennes authentiques. Nos équipages eux-mêmes font découvrir les îles et leur histoire, ce qui n’est pas le cas ailleurs, lors d'autres croisière en Europe ou en Asie, où ces services sont souvent sous-traités. C'est ce qui nous rend uniques, et cela fait la différence auprès de notre clientèle, qui recherche des destinations hors du commun.”
 

Esquisse de l'Aranoa, qui sera mis en service par le groupe Aranui fin 2026 sur la desserte des Australes.
En 2026, votre nouveau navire, le Aranoa desservira les Australes, dans le même esprit que le Aranui avec les Marquises. Est-ce une volonté d'élargir l'activité du groupe et de faire découvrir davantage la Polynésie ?
 
PW : “La Polynésie regorge d'îles à découvrir. Nous nous inscrivons aussi dans la continuité du service public de desserte maritime interinsulaire. Les Australes avaient besoin d'un deuxième navire pour assurer un service régulier. Nous avons donc choisi cet archipel, avec ses paysages et son histoire riches. Le navire desservira systématiquement les cinq îles des Australes : Rimatara, Rurutu, Raivavae, Tubuai et Rapa. Rapa, en particulier, sera desservie à chaque voyage, car elle est actuellement approvisionnée une fois par mois, voire tous les deux mois. Nous souhaitons désenclaver cette île sur le plan du ravitaillement.”
 
À part le Aranoa, le groupe a-t-il d'autres projets en vue ?
 
PW : “Depuis la création de la société, nous avons toujours commandé un nouveau bateau pour remplacer l’ancien. Aujourd'hui, nous entrons dans une nouvelle phase avec l'exploitation d'un deuxième navire, le Aranoa. Quant à la prochaine étape, nous y réfléchissons et restons attentifs aux opportunités. Pourquoi ne pas imaginer un autre cargo-mixte pour desservir un nouvel archipel ?”
 

Rédigé par Thibault Segalard le Jeudi 26 Septembre 2024 à 16:25 | Lu 665 fois