Tahiti, le 19 mars 2021 - Alors que le Conseil d’administration de la Mission Catholique (Camica) vient d'agir en “usucapion” pour acquérir par prescription sept atolls des Tuamotu, une ayant-droit “conteste formellement” la procédure et demande “la restitution de ces terres aux Paumotu”. De son côté, le père Joël Aumeran affirme avoir “régularisé” cette situation “selon la loi”.
Astrid Barnder Hoffman est particulièrement remontée. Ayant-droit de Michel Tane Brander, l'un des cinq associés dans la société civile immobilière (SCI) créée dans les années 1950 pour gérer les terres des îles Actéon aux Tuamotu, elle vient d'apprendre “par le plus grand des hasards” que le Conseil d’administration de la Mission Catholique (Camica) avait fait valoir “l'usucapion” des îles Actéon qui regroupent les sept atolls de Matureivavao, Tenarunga, Mahanga, Maria, Tenararo, Tematangi et Vanavana devant un notaire et avait fait enregistrer la procédure à la direction des affaires foncières (DAF). En droit foncier, l'usucapion –également appelée prescription acquisitive– permet de faire reconnaître la propriété d'une terre à une personne installée durablement sur place depuis plus de 30 ans.
“Cette usucapion s'est faite chez un notaire de la place de Papeete, sans que nous n'en sachions rien, avec le curé, l'évêque aussi je pense et une dizaine de personnes. Ils ont certifié que le Camica avait bien habité pendant 30 ans consécutivement sur ces îles alors que c'est complètement faux. Ils ont signé et ont fait enregistrer tout cela à la DAF. Je ne peux pas accepter cela”. Astrid Hoffmann demande “la restitution de ces terres aux Paumotu car elles appartiennent aux Paumotu. Il faut leur rendre ce qui leur est dû”. L'ayant-droit s'interroge par ailleurs sur ce que l'église va faire de ces terres. “Elle va faire du business ? Elle va vendre ces terres ? Ils vont se faire de l'argent sur le dos du nunaa Paumotu ?”. Astrid dit ne pas comprendre le comportement des administrateurs du Camica. “Ils sont censés être une autorité morale. Mais où est la morale dans tout cela ?”
Plusieurs tentatives
Dans les années 1950, une société civile immobilière (SCI) avait été mise en place par le père Victor Vallons associé à Paul Vairua, Michel Tane Brander, Henri Tekonea et David Teuira pour s'occuper des terres des sept atolls qui appartenaient au Pays et qui avaient finalement été rétrocédées à la SCI. “Nous avons les statuts et de quoi justifier l'existence de cette SCI qui n'a jamais été dissoute. A l'époque, le père Vallons a fait tout cela avec les Paumotu et je précise haut et fort que ce n'est pas le Camica qui a planté ces cocotiers. Ce sont bien les Paumotu qui l'ont fait”, s'époumone Astrid Hoffmann.
Selon elle, le père Victor “avait demandé à Riquet Marere, conseiller territorial de l'époque, de dissoudre cette SCI mais il ne l'a jamais fait”. Elle explique que ce conseiller a finalement confié les terres à l'État pour l'installation de stations météo. Au terme du contrat, l'État a voulu restituer ces terres au Camica. “Mais avant de le faire, il leur a demandé de justifier qu'ils étaient bien les propriétaires de ces terres-là. Et le Camica n'a jamais été en mesure de le justifier. Mon grand-père faisait partie de cette SCI, mais le curé qui est parti n'a pas de testament ou de titre de notoriété. Comment le Camica peut dire qu'il est propriétaire ? Ils ont hérité de quoi ? Ce sont des méthodes de colonialistes, on ne peut pas accepter cela”.
En 2015, la Commission de conciliation de la DAF, –obligatoire en matière foncière– avait été saisie par le Camica. A l'époque, le pays avait considéré que la demande de revendication de propriété par le Camica était “irrecevable” car le conseil d'administration de la mission catholique “n'apportait aucun élément relatif aux sociétés dissoutes. Il ne verse ni leurs statuts, ni leurs procès-verbaux, ni les listes de leurs sociétaires”. Le Camica a bien essayé de se présenter comme ayant-droit de feu père Victor Vallons, mais le pays a retoqué : “ces assertions sont péremptoires, infondées en droit, et ne font que suivre un raccourci opportun faisant fi des règles de succession et des contrats”. Enfin, concernant la demande d'action en usucapion de ces terres, le pays avait également considéré à l'époque que “les conditions de la prescription trentenaire (n'étaient) pas ici réunies au bénéfice du Camica” et que celui-ci “ne rapport(ait) nullement la preuve de l'occupation des terres litigieuses par lui-même.”
L'église se défend
Contacté, le vicaire général de l'église, père Joël Aumeran, assure que son objectif sur ces îles est “de donner du travail pour tout le monde”. “C'est le bien commun qui prime sur le bien individuel”. Il réfute le fait que l'acte d'usucapion devant notaire ainsi que l'enregistrement au niveau de la DAF aient été faits en “catimini”. “On a demandé de régulariser cela et c'est ce que j'ai fait selon la loi”. Les lois des hommes sont pénétrables. Le vicaire général dit regretter cette opposition d'une autre ayant-droit. “Il y a toujours dans les îles quelques-uns qui essaient de mettre des bâtons dans les roues pour que ça casse, surtout quand cela fonctionne bien. Et quand cela casse, il n'y a plus personne. On a tout nettoyé, rénové les entrepôts et maintenant que cela fonctionne on vient tout casser. Quand on va s'en aller, cela va redevenir des terres en friche et plus personne ne va s'en occuper”.
Le père Aumeran précise qu'il ne voulait pas prendre en main la gestion de ces îles et qu'il voulait surtout mettre en avant les Paumotu. “On a donné la gestion à deux Paumotu, mais cela n'a pas fonctionné. On m'a ensuite demandé de reprendre en main car il y avait trop de dettes, comme celles dues aux goélettes. Et j'étais obligé de reprendre”.
Fritch interpellé
L'élue Tavini Éliane Tevahitua a envoyé une question écrite au président du Pays Édouard Fritch sur ce sujet le 8 mars dernier. Elle considère que ces terres d'une valeur estimée à 200 millions de Fcfp “doivent être restituées à leurs propriétaires, au peuple premier de notre Pays, le peuple Paumotu”. Pour l'élue, la toponymie de ces atolls écrite spécifiquement “dans la langue de leurs occupants originels sont la preuve irréfutable que ces terres sont originellement la propriété exclusive du peuple Paumotu, premier occupant de cet archipel (...). Ce n’est que leur rendre justice, ce sont les mêmes descendants du peuple Paumotu qui plantèrent et exploitèrent lesdits motu, sous la férule du père Vallons dans la seconde moitié du XXe siècle”.
Contactée, l'élue se dit “choquée” par cette appropriation par les “administrateurs” du Camica. “Jésus a vécu dans une grande pauvreté, il a donné sa vie pour sauver le monde et je constate que ceux qui sont censés le servir ne sont pas comme lui (...). Est-ce qu'il aurait approuvé cela ?”.
Astrid Barnder Hoffman est particulièrement remontée. Ayant-droit de Michel Tane Brander, l'un des cinq associés dans la société civile immobilière (SCI) créée dans les années 1950 pour gérer les terres des îles Actéon aux Tuamotu, elle vient d'apprendre “par le plus grand des hasards” que le Conseil d’administration de la Mission Catholique (Camica) avait fait valoir “l'usucapion” des îles Actéon qui regroupent les sept atolls de Matureivavao, Tenarunga, Mahanga, Maria, Tenararo, Tematangi et Vanavana devant un notaire et avait fait enregistrer la procédure à la direction des affaires foncières (DAF). En droit foncier, l'usucapion –également appelée prescription acquisitive– permet de faire reconnaître la propriété d'une terre à une personne installée durablement sur place depuis plus de 30 ans.
“Cette usucapion s'est faite chez un notaire de la place de Papeete, sans que nous n'en sachions rien, avec le curé, l'évêque aussi je pense et une dizaine de personnes. Ils ont certifié que le Camica avait bien habité pendant 30 ans consécutivement sur ces îles alors que c'est complètement faux. Ils ont signé et ont fait enregistrer tout cela à la DAF. Je ne peux pas accepter cela”. Astrid Hoffmann demande “la restitution de ces terres aux Paumotu car elles appartiennent aux Paumotu. Il faut leur rendre ce qui leur est dû”. L'ayant-droit s'interroge par ailleurs sur ce que l'église va faire de ces terres. “Elle va faire du business ? Elle va vendre ces terres ? Ils vont se faire de l'argent sur le dos du nunaa Paumotu ?”. Astrid dit ne pas comprendre le comportement des administrateurs du Camica. “Ils sont censés être une autorité morale. Mais où est la morale dans tout cela ?”
Plusieurs tentatives
Dans les années 1950, une société civile immobilière (SCI) avait été mise en place par le père Victor Vallons associé à Paul Vairua, Michel Tane Brander, Henri Tekonea et David Teuira pour s'occuper des terres des sept atolls qui appartenaient au Pays et qui avaient finalement été rétrocédées à la SCI. “Nous avons les statuts et de quoi justifier l'existence de cette SCI qui n'a jamais été dissoute. A l'époque, le père Vallons a fait tout cela avec les Paumotu et je précise haut et fort que ce n'est pas le Camica qui a planté ces cocotiers. Ce sont bien les Paumotu qui l'ont fait”, s'époumone Astrid Hoffmann.
Selon elle, le père Victor “avait demandé à Riquet Marere, conseiller territorial de l'époque, de dissoudre cette SCI mais il ne l'a jamais fait”. Elle explique que ce conseiller a finalement confié les terres à l'État pour l'installation de stations météo. Au terme du contrat, l'État a voulu restituer ces terres au Camica. “Mais avant de le faire, il leur a demandé de justifier qu'ils étaient bien les propriétaires de ces terres-là. Et le Camica n'a jamais été en mesure de le justifier. Mon grand-père faisait partie de cette SCI, mais le curé qui est parti n'a pas de testament ou de titre de notoriété. Comment le Camica peut dire qu'il est propriétaire ? Ils ont hérité de quoi ? Ce sont des méthodes de colonialistes, on ne peut pas accepter cela”.
En 2015, la Commission de conciliation de la DAF, –obligatoire en matière foncière– avait été saisie par le Camica. A l'époque, le pays avait considéré que la demande de revendication de propriété par le Camica était “irrecevable” car le conseil d'administration de la mission catholique “n'apportait aucun élément relatif aux sociétés dissoutes. Il ne verse ni leurs statuts, ni leurs procès-verbaux, ni les listes de leurs sociétaires”. Le Camica a bien essayé de se présenter comme ayant-droit de feu père Victor Vallons, mais le pays a retoqué : “ces assertions sont péremptoires, infondées en droit, et ne font que suivre un raccourci opportun faisant fi des règles de succession et des contrats”. Enfin, concernant la demande d'action en usucapion de ces terres, le pays avait également considéré à l'époque que “les conditions de la prescription trentenaire (n'étaient) pas ici réunies au bénéfice du Camica” et que celui-ci “ne rapport(ait) nullement la preuve de l'occupation des terres litigieuses par lui-même.”
L'église se défend
Contacté, le vicaire général de l'église, père Joël Aumeran, assure que son objectif sur ces îles est “de donner du travail pour tout le monde”. “C'est le bien commun qui prime sur le bien individuel”. Il réfute le fait que l'acte d'usucapion devant notaire ainsi que l'enregistrement au niveau de la DAF aient été faits en “catimini”. “On a demandé de régulariser cela et c'est ce que j'ai fait selon la loi”. Les lois des hommes sont pénétrables. Le vicaire général dit regretter cette opposition d'une autre ayant-droit. “Il y a toujours dans les îles quelques-uns qui essaient de mettre des bâtons dans les roues pour que ça casse, surtout quand cela fonctionne bien. Et quand cela casse, il n'y a plus personne. On a tout nettoyé, rénové les entrepôts et maintenant que cela fonctionne on vient tout casser. Quand on va s'en aller, cela va redevenir des terres en friche et plus personne ne va s'en occuper”.
Le père Aumeran précise qu'il ne voulait pas prendre en main la gestion de ces îles et qu'il voulait surtout mettre en avant les Paumotu. “On a donné la gestion à deux Paumotu, mais cela n'a pas fonctionné. On m'a ensuite demandé de reprendre en main car il y avait trop de dettes, comme celles dues aux goélettes. Et j'étais obligé de reprendre”.
Fritch interpellé
L'élue Tavini Éliane Tevahitua a envoyé une question écrite au président du Pays Édouard Fritch sur ce sujet le 8 mars dernier. Elle considère que ces terres d'une valeur estimée à 200 millions de Fcfp “doivent être restituées à leurs propriétaires, au peuple premier de notre Pays, le peuple Paumotu”. Pour l'élue, la toponymie de ces atolls écrite spécifiquement “dans la langue de leurs occupants originels sont la preuve irréfutable que ces terres sont originellement la propriété exclusive du peuple Paumotu, premier occupant de cet archipel (...). Ce n’est que leur rendre justice, ce sont les mêmes descendants du peuple Paumotu qui plantèrent et exploitèrent lesdits motu, sous la férule du père Vallons dans la seconde moitié du XXe siècle”.
Contactée, l'élue se dit “choquée” par cette appropriation par les “administrateurs” du Camica. “Jésus a vécu dans une grande pauvreté, il a donné sa vie pour sauver le monde et je constate que ceux qui sont censés le servir ne sont pas comme lui (...). Est-ce qu'il aurait approuvé cela ?”.