Annick Girardin : "il va m'être difficile de vous quitter"


PAPEETE, 25 janvier 2018 - L'intervention de la ministre des Outre-mer lors du cocktail dînatoire organisé en son honneur jeudi soir à la Présidence.

Monsieur le Président de la Polynésie française,
Monsieur le Haut-commissaire de la République en Polynésie française,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames et messieurs,

Ces 5 jours passés en Polynésie française auront été placés sous le signe du terrain, des rencontres et des échanges avec les acteurs locaux.
Le programme était dense, cela va sans dire, mais ô combien riche d’enseignements. Je suis convaincue que votre territoire est profondément tourné vers l’avenir, vers cet outre-mer des solutions que je ne cesse de défendre lors de mes interventions.
Je tenais en premier lieu à remercier ceux qui ont contribué au bon déroulement de cette visite : les équipes du Haut-commissariat et celles du gouvernement de Polynésie française, ainsi que l’ensemble de celles et ceux qui m’ont reçu, présentés leur projet, fait part de leurs difficultés aussi.
Je veux avoir un mot en particulier pour les nombreux maires que j’ai rencontrés et qui effectuent un travail formidable.
Je remercie également les acteurs du monde économique et de la société civile que j’ai pu croiser notamment les associations luttant contre les violences faites aux femmes.
Ce déplacement a été évidemment marqué par la découverte de territoires isolés et fragiles. J’y ai été reçue avec une générosité et une authenticité qui ont conquis mon cœur. L’image de ces enfants, des Marquises, des Tuamotu, de Papeete, de cette belle jeunesse Polynésienne, restera à jamais gravée dans ma mémoire.
Ils me donnent une force supplémentaire et m’incitent à vous redire, ici, ce soir, alors que s’achève mon périple polynésien tout le bonheur et le plaisir que j’ai éprouvés d’être parmi vous durant cinq jours pleins et passionnants. En parcourant ce merveilleux territoire, même très incomplètement, on prend la mesure concrète de son immensité.
La Polynésie française doit composer avec une insularité qui est parfois double, voire triple. Mais, et c’est votre force, on ressent que cette adversité naturelle a renforcé le lien social, ce lien social que vous mettez dans toutes choses et qui n’est jamais rompu. C’est une richesse immatérielle et humaine qu’il nous faut impérativement préserver.
Dans les archipels que j’ai eu la chance de visiter faute, d’avoir le temps de tous les découvrir, j’ai rencontré des Polynésiennes et des Polynésiens responsables, attentifs à la solidarité des familles, impliqués dans leur communauté pour construire ensemble et en relation avec le "Pays" et l’État, le futur de leur territoire. Ce futur se construit par la culture, l’éducation, l’innovation, tout en ayant soin d’intégrer dans tous les projets et les intentions les enjeux de développement durable, d’adaptation aux risques naturels et aux dérèglements climatiques.
La Polynésie développe des schémas directeurs qui posent les bases de stratégies de long terme, stratégies que j’encourage et dont vous avez eu l’initiative, Monsieur le président. Ainsi, le Fenua est résolument ancrée dans le 21e siècle et démontre sa capacité à répondre à la nouvelle donne que nous devons bâtir entre l’Etat et les territoires, comme le rappelait récemment le Président de la République.


Cette nouvelle donne repose d’abord sur une responsabilité partagée qui s’incarne dans le plus grand défi de demain : celui du changement climatique.
Un défi en commun, qui nous concerne tous. Nous avons pu visiter aujourd’hui l’abri de survie d’Arutua.
Voilà une démonstration concrète des mesures de protection et d’adaptation de la Polynésie française face au changement climatique. Si les outre-mer sont aux avant-postes des risques climatiques, ils sont aussi les mieux placés pour être précurseurs des innovations et des solutions. Les 17 objectifs de développement durable, pour lesquels la France s’est engagée en 2015, doivent être atteints à l’horizon 2030. Les territoires ultramarins sont en mesure d’y parvenir avant l’hexagone. J’y crois, bien que chacun ait ses spécificités, ses atouts et ses contraintes.
L’Archipel des Tuamotu avec ses îles basses est effectivement le plus exposé aux risques de submersion. L’intensité des épisodes cycloniques, amenés à se reproduire dans des périodes aux échéances de plus en plus courtes, est inscrite dans tous les scénarios environnementaux. Le nier serait se voiler la face.
C’est pourquoi l’Etat et le gouvernement de Polynésie française collaborent sur le sujet. Nous l’avons longuement évoqué ce matin. Et je vous incite à mobiliser les financements disponibles, notamment l’équivalent fonds vert.
La Polynésie française est par ailleurs en mesure d’être le pivot de la coopération régionale en matière d’adaptation au changement climatique.
Vous le savez, l’Océan Pacifique est la plus vaste des aires marines du globe. Sa bonne santé est primordiale à la vie de tous, en Océanie et ailleurs. Sa sauvegarde et son exploitation raisonnée sont prioritaires. Les enjeux sont immenses.
Au côté de l’Etat, la Polynésie française doit continuer à être l’avocat inlassable de la protection de l’Océan, de ses ressources et des savoirs qu’il renferme. Sa participation comme membre de plein droit au Forum du Pacifique a été une avancée majeure. Demain, ce sera sans doute le cas pour l’Initiative internationale pour les récifs coralliens. D’ailleurs le territoire dispose d’ores et déjà de chercheurs, que l’Etat soutient et accompagne, et dont l’expertise est mondialement reconnue.
Dans les enceintes régionales, de nombreuses actions sont engagées pour lutter contre les phénomènes d’origines anthropiques : je pense à la maîtrise de l’urbanisation littorale, à la gestion des déchets, à l’interdiction des sacs plastiques ou encore la protection des espèces animales.
Ces enceintes de coopération régionale sont aussi des espaces pour la promotion des énergies renouvelables. Je connais les objectifs ambitieux du Pays dans ce domaine. Vous êtes, faut-il le rappeler, deux fois plus avancés que la métropole sur la conversion aux énergies renouvelables. Avec l’hydroélectricité abondante sur le territoire, sans compter l’énergie photovoltaïque, la mer et le vent, la Polynésie française peut profiter de ces atouts pour être un chef de file.
En outre, avec la technologie du SWAC, parfaitement maîtrisée sur le territoire, je dirai même presque exclusivement maîtrisée en Polynésie française, la collectivité pourrait devenir un pôle d’excellence international.
J’ai d’ailleurs retenu que l’un des projets des assises est justement d’examiner le potentiel de création de ce pôle d’excellence, en fédérant les entreprises, les organismes de recherche ainsi que les collectivités françaises ultra-marines et internationales.
Notre monde globalisé s’invente aussi dans le Pacifique. Pour preuve, le projet que vous avez, ici, d’une aire marine gérée. Ce concept innovant pourrait d’ailleurs s’étendre à de nouveaux espaces, je pense à la gouvernance de la haute mer, à l’heure même où s’engagent des négociations internationales pour un nouvel accord sur la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité marine dans des zones qui vont au-delà des juridictions nationales.

La poursuite des objectifs de développement durable, et leur intégration dans notre diplomatie régionale, est donc un axe très actuel de la relation entre l'Etat et la Polynésie française. Il sera structurant dans les années à venir.
J’y suis d’autant plus attachée que ces enjeux sont développés dans l’Accord de l’Elysée.
Cet accord, il me semble important d'y revenir, a constitué une étape décisive dans la refondation de la relation entre l’Etat et le Pays.
Il est d'abord une série d'engagements que nous nous attachons à mettre en œuvre main dans la main, l'Etat et le Pays. J’ai demandé qu’à l’occasion de l’anniversaire de l’accord, en mars prochain, le comité de suivi soit réuni. Ce sera l’occasion d’un premier point d’étape.
Le bilan est me semble-t-il très positif. Sur certains sujets, il reste du travail. Mais ne doutez pas de l’engagement quotidien de mon ministère pour faire avancer nos projets communs.
L'Accord de l'Elysée, c'est cependant bien plus qu'un agrégat de mesures. C'est un pas décisif, car symbolique, avec la reconnaissance du fait nucléaire dans toutes ses dimensions.
La fin des essais nucléaires s'était traduite dès 1996, car c'était l'urgence du moment pour la Polynésie française, par des accords financiers. Vingt ans après, la société polynésienne appelait d’autres réponses. L’État a fait un geste fort : la reconnaissance du fait nucléaire et de ses conséquences, sociales, environnementale et sanitaires. A présent, il doit se traduire en actes.
C’est pourquoi, j’ai souhaité qu’au cours de cette visite, nous ne perdions plus de temps et que soit installé le comité de projet chargé du futur institut d’archives. Sous ma présidence, il a désormais pris corps et va travailler en étant à l’écoute de tous les acteurs. A l’occasion de cette installation, j’ai rencontré les représentants des associations impliquées dans ce dossier. Nous avons pu faire un bilan, sans faux-semblants et sans tabou, et surtout parler d'avenir.
Je l’ai déjà dit : le budget du CIVEN a été mis à niveau et ses travaux ont repris. C’est essentiel.
La commission alliant parlementaires et experts prévue par la loi EROM est en passe de débuter ses réflexions. Je tiens à saluer la présence en son sein de trois parlementaires polynésiens.
J’ai également veillé à ce que les engagements pris concernant le soutien à l’oncologie soient tenus. Ce fut le cas en 2017. Ce sera le cas en 2018.
Et puis, pour que le projet d'institut prenne corps, un terrain de l’État et les bâtiments qu’il comporte a été réservé au cœur même de Papeete et en front de mer. L’institut sera donc aménagé sur cette emprise. La vente qui était prévue est gelée. Les conditions de dévolution seront définies lorsque les besoins liés au projet auront été définis.
Cet institut aura un rôle essentiel. Il devra permettre de consolider ce qu'a esquissé l'accord signé en 2017 : une mémoire partagée du fait nucléaire. Sur la base d'un passé assumé, nous pourrons continuer à bâtir l'avenir. Nous devons à la jeunesse une approche sereine et apaisée d’un passé qui, pour elle, fait partie d’une histoire déjà lointaine. Nous démontrerons avec cet institut que malgré la difficulté, et dans le cas qui nous occupe, la technicité du sujet, nous pouvons imaginer un lieu où chacun se retrouve, où toutes les mémoires individuelles convergent dans un tout collectif.
C’est un magnifique projet que nous allons engager avec l’appui de tous.


Des projets, monsieur le Président, nous en avons beaucoup en commun ! La Polynésie française de demain et d’après-demain n’est pas encore, mais elle nous occupe déjà beaucoup !
Je pense tout d'abord, au projet de loi organique que le Gouvernement déposera en 2018. Ce projet a déjà fait l’objet de nombreux travaux entre l’État et votre collectivité. Je tiens ici à redire à chacun l’état d’esprit qui est le mien.
La Polynésie française bénéficie, depuis peu, d’un retour à la stabilité institutionnelle après avoir souffert pendant une décennie d’alternances trop nombreuses, qui minaient la crédibilité des pouvoirs publics et amoindrissaient la large autonomie dont la collectivité bénéficie. Dire cela, ce n’est pas affirmer une préférence pour tel ou tel parti, c’est affirmer sa préférence pour une Polynésie française prospère, ce qu’elle ne saurait être en changeant de gouvernement deux fois par an.
Ayant fait l’objet d’ajustements répétés, le cadre statutaire parait aujourd’hui robuste. Il n’est pas question de le bouleverser. Pour autant, bientôt quinze années se sont écoulées depuis 2004, et beaucoup d’imperfection, mais aussi des détails de compréhension et de cohérence juridiques, semblent mériter des corrections ou des améliorations. C’est donc un toilettage du statut qui sera engagé en concertation étroite avec vous et sans remise en cause, bien sûr, des équilibres institutionnels qui sont propres à la Polynésie française et que le Gouvernement veut préserver.
A cet égard, permettez-moi un mot à l’attention des maires, qui sont nombreux parmi nous. J’ai rencontré de nombreux tavana sur le terrain. J’ai vu leur engagement, au plus proche de nos concitoyens et de leurs préoccupations. J’ai désormais une appréciation concrète de ce qu’ils représentent, pour leur population, lorsqu’on est sur des îles très éloignées de Tahiti. J’ai aussi rencontré leurs représentants au SPCPF. Je sais leurs attentes et je ne doute pas que dans le cadre d’un dialogue avec le Pays, nous parviendrons à définir une organisation équilibrée dans l’exercice des compétences.


Garantir l’avenir de la Polynésie française, c’est aussi ce que nous avons voulu avec la démarche des Assises dans laquelle, je vous en remercie Monsieur le Président, vous avez bien voulu vous engager très tôt à nos côtés.
Cet exercice, voulu par le Président de la République, est particulièrement avancé en Polynésie française. Comme j’ai eu l’occasion de le rappeler hier au Haut-commissariat, les Assises sont une mobilisation de toutes les forces vives ultramarines. C’est une démarche positive, fédératrice, axée sur l’avenir.
Le livre bleu outre-mer sera le socle des solutions à mettre en œuvre pour chacun des territoires lors de ce quinquennat.
Je salue une nouvelle fois le Comité local d’orientation ainsi que le Comité technique qui ont pris toute la mesure de l’exercice pour répondre aux priorités de développement exprimées par les Polynésiennes et les Polynésiens lors des multiples tables-rondes et réunions publiques organisées dans l’ensemble des archipels, sans oublier les contributions directes par la voie du numérique.
La feuille de route du territoire me sera bientôt transmise et je ne doute pas qu’elle sera en droite ligne des besoins exprimés par nos concitoyens. Nous en tirerons, je l’espère, les priorités des futurs instruments de contractualisation, en particulier un plan de convergence.
Les Assises sont une nouvelle démonstration des ambitions partagées par l’Etat et le Pays pour le développement économique, social, culturel et environnemental de la Polynésie française.
D’ailleurs, en matière économique, et je finirai par là, il faut souligner que l’économie polynésienne se porte mieux : les indicateurs macro-économiques confirment que le territoire consolide la croissance. Les perspectives sont positives, il s’agit maintenant de mieux les accompagner.
Nous le faisons en facilitant la mobilité des hommes d’affaires, des chercheurs, des jeunes talents. Un décret viendra d’ailleurs bientôt répondre à vos attentes sur ce point – le passeport talent - et compléter les dispositifs existants.
Nous le faisons en avançant sur les sujets fonciers. Il a bien sûr le tribunal foncier qui se met en place. Mais je tiens également à saluer l’engagement des parlementaires polynésiens sur la proposition de loi relative à l’indivision outre-mer, que l’Assemblée nationale vient de voter. J’ai tenu à ce que soit accordé un accompagnement attentif aux amendements qu’a défendus votre députée Maina SAGE et qui ont permis l’écriture d’un titre dédié à la Polynésie dans la loi.
Mais nous devons aussi, pour aider nos entreprises, accepter de regarder certaines réalités en face. L’accompagnement économique des outre-mer doit être modernisé. Nos entreprises ont besoin de dispositifs d’aides à l’exploitation et à l’investissement, focalisés sur les secteurs les plus prioritaires ou prometteurs. Nous devons simplifier, accentuer et stabiliser les dispositifs futurs. C’est l’objet de la revue des aides économiques que je pilote dans le cadre des Assises des Outre-mer. Toutes ces aides ne sont pas disponibles sur votre territoire, mais par exemple, la défiscalisation l’est. Et je crois que vous partagerez l’idée de rendre l’outil plus fluide et plus en phase avec le temps économique.
Je suis également convaincue que nos territoires peuvent accueillir des projets expérimentaux et innovants. C’est diffuser l’esprit de la « French Tech » outre-mer, permettant à des start-up d’émerger avec des offres adaptées à leur environnement géographique proche.
Pour cela, il faut développer le numérique. C’est votre ambition, Monsieur le Président, et je la partage. L’État soutient les projets de câbles avec le FEI et la défiscalisation. Mais au regard de l’enjeu, et disons-le, parce que vous avez su nous convaincre, nous souhaitons faire plus. C’est pourquoi, à ma demande, le Premier ministre a sollicité une intervention technique et financière de l’Agence du numérique en Polynésie.
L’enjeu est de tout cela, c’est le rayonnement des territoires et la conquête de nouveaux marchés. Je crois en l’outre-mer des solutions et c’est aussi toute l’ambition des Assises des outre-mer.

Mesdames et messieurs,
Voilà ce que je souhaitais vous dire pour conclure cette visite officielle en Polynésie française.
Projet de loi, innovation, coopération régionale, développement durable, relance économique. Je pense avoir là posé tous les jalons qui rendent d’ores et déjà nécessaire ma prochaine visite ! C’est que, je ne vous le cache pas, il va m’être difficile de vous quitter.
Je vous remercie encore une fois pour votre accueil.
Vive la Polynésie française,
Vive la République,
Et vive la France !

Rédigé par JPV le Jeudi 25 Janvier 2018 à 22:27 | Lu 2846 fois