MORUROA, 13 février 2014 - Opération transparence, sur site ce jeudi. Vers 11 heures, on vient juste de débarquer d’un Casa de l’armée de l’air, sur "l’atoll du grand secret".
L’endroit est quasi désert, le ciel incertain. Une pluie menace, portée par un vent de nord-est. L’immense atoll de Moruroa loge aujourd’hui 35 militaires détachés zone Martine, PK 0, pour de courtes périodes d’un mois, quatre pour les cadres. Des soldats dont le combat se résume à lutter contre une végétation invasive, à réaliser périodiquement des relevés dans le cadre de la surveillance radiologique des lieux, à veiller aussi à ce que nul ne pénètre ce site classé Installation nucléaires intéressant la Défense (INID), à 1 250 kilomètres au sud-est de Tahiti.
Au pied de l'avion, d’un ton posé et rassurant, la contre-amiral Anne Cullerre déclare en préambule : "Les réponses que je vous ferai, je les ai apprises en venant à Moruroa : j’ai voulu avoir les réponses aux questions que tout un chacun se pose : qu’est ce que c’est ? Est-ce que c’est dangereux ? Est-ce que c’est un site de stockage de déchets nucléaires ? Y a-t-il une grosse vague qui va partir ? …".
"Imaginez-vous qu’ici", continue celle qui dirige le Commandement supérieur des forces armées en Polynésie française, "au moment des essais nucléaires, c’était une ville avec des milliers de personnes (…). Maintenant la nature a repris le dessus ; nos militaires (...) se baignent dans le lagon. Ils y voient des baleines, des raies … Donc voilà : la vie a repris le dessus".
Le dernier voyage de presse du genre, c’était en 2010.
Après 3 heures et demi de vol depuis Tahiti, au programme de celui-ci : un exposé de la situation de l’atoll suivi d’une visite des installations de surveillance qui doivent faire l’objet d’une rénovation à l’horizon 2017. Sur un programme tendu, la visite prévoit aussi, en camionnette, après avoir longé les 1 800 mètres de la piste d’aéroport : un arrêt sur la faille de la zone Camélia ; un panorama au sommet du bunker du site Denise ; et des explications devant le redoutable banc Colette, jonché de résidus de plutonium : quelques reliques gigantesques du temps des essais nucléaires, étalées sur une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de la zone vie.
> Lire aussi : Opération "action et vérité" de l'armée à Moruroa
Mais en toile de fond de ce tour, où règne bonne humeur et légèreté, il y a la volonté évidente de "dédramatiser" la douloureuse question de Moruroa.
L’endroit est quasi désert, le ciel incertain. Une pluie menace, portée par un vent de nord-est. L’immense atoll de Moruroa loge aujourd’hui 35 militaires détachés zone Martine, PK 0, pour de courtes périodes d’un mois, quatre pour les cadres. Des soldats dont le combat se résume à lutter contre une végétation invasive, à réaliser périodiquement des relevés dans le cadre de la surveillance radiologique des lieux, à veiller aussi à ce que nul ne pénètre ce site classé Installation nucléaires intéressant la Défense (INID), à 1 250 kilomètres au sud-est de Tahiti.
Au pied de l'avion, d’un ton posé et rassurant, la contre-amiral Anne Cullerre déclare en préambule : "Les réponses que je vous ferai, je les ai apprises en venant à Moruroa : j’ai voulu avoir les réponses aux questions que tout un chacun se pose : qu’est ce que c’est ? Est-ce que c’est dangereux ? Est-ce que c’est un site de stockage de déchets nucléaires ? Y a-t-il une grosse vague qui va partir ? …".
"Imaginez-vous qu’ici", continue celle qui dirige le Commandement supérieur des forces armées en Polynésie française, "au moment des essais nucléaires, c’était une ville avec des milliers de personnes (…). Maintenant la nature a repris le dessus ; nos militaires (...) se baignent dans le lagon. Ils y voient des baleines, des raies … Donc voilà : la vie a repris le dessus".
Le dernier voyage de presse du genre, c’était en 2010.
Après 3 heures et demi de vol depuis Tahiti, au programme de celui-ci : un exposé de la situation de l’atoll suivi d’une visite des installations de surveillance qui doivent faire l’objet d’une rénovation à l’horizon 2017. Sur un programme tendu, la visite prévoit aussi, en camionnette, après avoir longé les 1 800 mètres de la piste d’aéroport : un arrêt sur la faille de la zone Camélia ; un panorama au sommet du bunker du site Denise ; et des explications devant le redoutable banc Colette, jonché de résidus de plutonium : quelques reliques gigantesques du temps des essais nucléaires, étalées sur une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de la zone vie.
> Lire aussi : Opération "action et vérité" de l'armée à Moruroa
Mais en toile de fond de ce tour, où règne bonne humeur et légèreté, il y a la volonté évidente de "dédramatiser" la douloureuse question de Moruroa.
Quelle vocation donnez-vous à cette visite, sur le site de Moruroa ?
Anne Cullerre : C’est une visite pour montrer à la presse locale et nationale l’état de Moruroa (…). Puis également parler plus longuement de Telsite 2.
Parler de Moruroa aujourd’hui, c’est important ?
Anne Cullerre : Je pense que de toutes façons, on entendrait parler de Moruroa, parce que Moruroa c’est une partie de l’histoire de la Polynésie. Et puis il y a ce volet des essais nucléaires. Donc on en arrive aux conséquences des essais nucléaires. On entendrait de toutes façons parler de Moruroa.
Pour revenir à l’affaire de la loupe, il y a un système de surveillance mis en place depuis le début des années 80 pour justement donner un préavis aux militaires de Moruroa mais aussi aux habitants de Tureia qui pourraient subir un train de houle d’une hauteur de 1,5 à 2 mètres, si cette loupe venait à glisser dans l’océan. C’est donc la raison pour laquelle ce système que l’on appelle Telsite va être complètement rénové. (…) Un investissement par lequel nous allons très certainement aller au-delà de 50 millions d’euros, très certainement.
Justement, plusieurs études suggèrent la possibilité de l’effondrement de pans récifaux de l’atoll, suite à un affaiblissement de sa structure géologique consécutif aux essais souterrains. C’est un investissement urgent pour le ministère de la défense ?
Anne Cullerre : Non, non. Ce n’est pas un investissement d’urgence. C’est un projet de rénovation entrepris depuis 2010. On savait qu’il fallait rénover parce que certains capteurs, notamment les filaires en profondeur commencent à s’abîmer sérieusement parce qu’ils datent des années 80 quand même ! Donc non, c’est un projet qui dure, qui est ancien et à un moment donné il faut bien commencer.
Vous évoquez une houle de 2 mètres à Tureia, mais certaines estimations font état d’une houle plus importante.
Anne Cullerre : On parle d’une hauteur plus importante ici sur Moruroa. Effectivement la vague pourrait y être d’une hauteur de 20 mètres, quand même. Donc c’est dire que les militaires seraient directement en danger. C’est la raison pour laquelle il y a une alerte à 90 secondes pour les militaires puis une autre un peu plus grande pour les habitants de Tureia.
Vous nous avez présenté un exposé ce matin qui décrit la situation de Moruroa. Quel est votre discours avec une association comme Moruroa e tatou qui ne partage pas votre point de vue ?
Anne Cullerre : Je n’ai pas de dialogue avec Moruroa e tatou parce qu’ils ne sont jamais venus me poser la moindre question. Cela ne m’empêche pas d’avoir une opinion évidemment. Et sans vouloir remettre en cause l’action de cette association, je me pose parfois des questions sur les assertions qui peuvent être données et je me suis à chaque fois employée, quand je l‘ai pu, à remettre les choses dans un cadre de réalité.
C’est important pour vous de rassurer l’opinion publique sur la situation de Moruroa ?
Anne Cullerre : Je n’ai pas envie de rassurer, mais d’expliquer simplement ce que l’on fait ici. Je n’ai pas besoin de rassurer les gens. Encore une fois, il y a suffisamment de gens en Polynésie pour inquiéter la population. Moi je n’ai pas envie de rassurer mais de montrer : j’aurais plus de moyens militaires, je peux vous garantir que je ferais venir les gens ici ; je ferais venir des professeurs des collèges, des enfants d’école ; je ferais venir ceux qui s’inquiètent et qui me le demanderais : je les ferais venir ici. Mais je n’ai pas suffisamment de moyens pour le faire. Ils ne sont pas dédiés à cela. Moi, j’ai envie d’expliquer ce qu’est Moruroa, aujourd’hui.
Qu’est ce qui explique qu’il n’y ait pas plus de journalistes étrangers, aujourd’hui ?
Anne Cullerre : Nous avons invité des journalistes de Nouvelle Zélande et d’Australie qui reprennent régulièrement certaines informations des associations. Nous avons envoyé les invitations mais ils n’ont pas donné suite. Alors après, pourquoi ? Je ne sais pas.
Ce voyage est-il une coïncidence après le vœu exprimé il y a quelques semaines par l’ONU d’un rapport sur les conséquences des essais nucléaires en Polynésie ?
Anne Cullerre : Il n’y a absolument rien à voir. (…) Ce projet je l’ai depuis que je suis arrivée en Polynésie française ; malheureusement le potentiel de mes moyens aériens ne m’a pas permis de l’organiser avant. Nous avons fait beaucoup de missions d’évacuation sanitaire l’année dernière - près de 135, des missions en tous genres, de sauvetage, et cetera -, et ça a durement tiré sur les moyens aériens ; je n’ai pas pu faire ce voyage comme je le souhaitais.
Je pense qu’il faudrait le faire régulièrement, pour ceux qui le souhaitent. Encore une fois, si j’avais plus de moyens, comme je l’ai dit, j’emmènerais les journalistes mais également ceux en Polynésie qui souhaitent voir « in situ » et je pense notamment aux anciens travailleurs qui ne sont pas revenus depuis la fin des essais et qui seraient certainement très curieux de voir comment est Moruroa aujourd’hui.
Le lancement de la réhabilitation du système Telsite est-il également une coïncidence, suite à la demande onusienne et alors que des rapports expliquent depuis 2010 que le système est défectueux ?
Anne Cullerre : L’ONU est parfaitement en droit de s’intéresser à ce genre de problèmes. Ce qui nous intéresse, depuis la fin des essais – et même avant en ce qui concerne Telsite, mis en place dans les années 80 – est, d’une manière générale, avec tous les rapports annuels qui expliquent de manière parfaitement transparente, l’état des capteurs. Donc j’ai du mal à imaginer ce que l’on peut faire de plus dans ce domaine.
Pourquoi les personnels de la Défense basés sur l’atoll ne mangent-ils pas de poisson ?
Anne Cullerre : Parce que le poisson, ici, a la ciguatera. Et effectivement, on leur demande de ne pas manger de poisson, tout simplement. (…)
Ils n’ont pas le droit aux noix de coco, non plus ?
Anne Cullerre : (...rires...) Non plus. Les rapports annuels des tests de surveillance radiologique nous montrent que l’on peut les manger sans problème ; mais simplement on évite d’avoir des jeunes qui vont sous les cocotiers, parce qu’une noix de coco qui tombe sur la tête d’un soldat, ça fait un soldat mort.
Le sénateur Richard Tuheiava demande la rétrocession à la Polynésie française des atolls de Moruroa et Fangataufa. Qu’en pensez-vous ?
Anne Cullerre : Je ne me prononcerai pas sur le volet politique. Je suis militaire et c’est un domaine qui n’est pas le mien. Ce que je dis simplement c’est qu’à Moruroa – Fangataufa c’est difficile pour y aller – encore une fois, si j’avais plus de moyens, j’y amènerais du monde, beaucoup de monde. Je pense que ça vaut la peine d’être vu et surtout d’être gravé dans la mémoire des Polynésiens, parce qu’ils peuvent en être fiers.
Pensez-vous justement que le fait nucléaire mériterait d’être reconnu au plus haut niveau de l’Etat ?
Anne Cullerre : Une reconnaissance du fait nucléaire – c’est en discussion je crois, d’ailleurs : pourquoi pas ? Ne serait-ce qu’en mémoire de tous les gens, aussi bien Polynésiens que scientifiques ou militaires qui ont travaillé au sein de cette belle aventure. Oui, pourquoi ne pas reconnaître, non le fait nucléaire mais le fait qu’ils aient travaillé pour le succès de la France.
Et concernant les victimes des essais nucléaires ?
Anne Cullerre : Vous savez, je me pose les mêmes questions que les Polynésiens. Mais quand on parle de victimes, on dit les victimes des essais nucléaires – et mon intention n’est pas de lancer un débat –, simplement de quoi parle-t-on au juste ? Ce que je peux vous dire – et je ne suis pas une spécialiste du nucléaire – c’est que dans la liste des cancers radio-induits on trouve la plupart des cancers actuels. Donc, si on regarde le nombre de cancers en Polynésie française – et de nombreuses études ont été faites à ce sujet – le lien entre la maladie et l’activité du CEP (Centre d’Expérimentations du Pacifique, NDLR) n’est pas une évidence. Mais là, je sort de mon champ de compétences. (…) Je n’ai pas de réponse à donner, sur cette question.
Comment voyez-vous l’avenir de cet atoll ?
Anne Cullerre : Je vois une surveillance radiologique qui va perdurer de la manière la plus normale, parce que c’est un site de stockage de déchets nucléaires. Je pense que le système Telsite de surveillance géo-mécanique que l’on renouvelle va durer également, dans les 15-20 prochaines années. Ce qui m’interpelle c’est l’histoire : ce qui s’est passé ici, cette aventure, cet impact que les Polynésiens ont vécu : dans 15 ans, qu’en restera-t-il en terme de mémoire, pour la prochaine génération ?
Que faudrait-il qu’il en reste, selon vous ?
Anne Cullerre : Eh bien, on peut imaginer plusieurs idées. On a parlé de lieu de mémoire – je ne suis pas la première à en parler ; des études ont été réalisées –, et je ne parle pas d’un totem sur une place ! Je parle d’un vrai lieu de mémoire que tout le monde pourrait s’approprier : associations, Polynésiens comme scientifiques. Tout le monde y a sa place, tout le monde.
Anne Cullerre : C’est une visite pour montrer à la presse locale et nationale l’état de Moruroa (…). Puis également parler plus longuement de Telsite 2.
Parler de Moruroa aujourd’hui, c’est important ?
Anne Cullerre : Je pense que de toutes façons, on entendrait parler de Moruroa, parce que Moruroa c’est une partie de l’histoire de la Polynésie. Et puis il y a ce volet des essais nucléaires. Donc on en arrive aux conséquences des essais nucléaires. On entendrait de toutes façons parler de Moruroa.
Pour revenir à l’affaire de la loupe, il y a un système de surveillance mis en place depuis le début des années 80 pour justement donner un préavis aux militaires de Moruroa mais aussi aux habitants de Tureia qui pourraient subir un train de houle d’une hauteur de 1,5 à 2 mètres, si cette loupe venait à glisser dans l’océan. C’est donc la raison pour laquelle ce système que l’on appelle Telsite va être complètement rénové. (…) Un investissement par lequel nous allons très certainement aller au-delà de 50 millions d’euros, très certainement.
Justement, plusieurs études suggèrent la possibilité de l’effondrement de pans récifaux de l’atoll, suite à un affaiblissement de sa structure géologique consécutif aux essais souterrains. C’est un investissement urgent pour le ministère de la défense ?
Anne Cullerre : Non, non. Ce n’est pas un investissement d’urgence. C’est un projet de rénovation entrepris depuis 2010. On savait qu’il fallait rénover parce que certains capteurs, notamment les filaires en profondeur commencent à s’abîmer sérieusement parce qu’ils datent des années 80 quand même ! Donc non, c’est un projet qui dure, qui est ancien et à un moment donné il faut bien commencer.
Vous évoquez une houle de 2 mètres à Tureia, mais certaines estimations font état d’une houle plus importante.
Anne Cullerre : On parle d’une hauteur plus importante ici sur Moruroa. Effectivement la vague pourrait y être d’une hauteur de 20 mètres, quand même. Donc c’est dire que les militaires seraient directement en danger. C’est la raison pour laquelle il y a une alerte à 90 secondes pour les militaires puis une autre un peu plus grande pour les habitants de Tureia.
Vous nous avez présenté un exposé ce matin qui décrit la situation de Moruroa. Quel est votre discours avec une association comme Moruroa e tatou qui ne partage pas votre point de vue ?
Anne Cullerre : Je n’ai pas de dialogue avec Moruroa e tatou parce qu’ils ne sont jamais venus me poser la moindre question. Cela ne m’empêche pas d’avoir une opinion évidemment. Et sans vouloir remettre en cause l’action de cette association, je me pose parfois des questions sur les assertions qui peuvent être données et je me suis à chaque fois employée, quand je l‘ai pu, à remettre les choses dans un cadre de réalité.
C’est important pour vous de rassurer l’opinion publique sur la situation de Moruroa ?
Anne Cullerre : Je n’ai pas envie de rassurer, mais d’expliquer simplement ce que l’on fait ici. Je n’ai pas besoin de rassurer les gens. Encore une fois, il y a suffisamment de gens en Polynésie pour inquiéter la population. Moi je n’ai pas envie de rassurer mais de montrer : j’aurais plus de moyens militaires, je peux vous garantir que je ferais venir les gens ici ; je ferais venir des professeurs des collèges, des enfants d’école ; je ferais venir ceux qui s’inquiètent et qui me le demanderais : je les ferais venir ici. Mais je n’ai pas suffisamment de moyens pour le faire. Ils ne sont pas dédiés à cela. Moi, j’ai envie d’expliquer ce qu’est Moruroa, aujourd’hui.
Qu’est ce qui explique qu’il n’y ait pas plus de journalistes étrangers, aujourd’hui ?
Anne Cullerre : Nous avons invité des journalistes de Nouvelle Zélande et d’Australie qui reprennent régulièrement certaines informations des associations. Nous avons envoyé les invitations mais ils n’ont pas donné suite. Alors après, pourquoi ? Je ne sais pas.
Ce voyage est-il une coïncidence après le vœu exprimé il y a quelques semaines par l’ONU d’un rapport sur les conséquences des essais nucléaires en Polynésie ?
Anne Cullerre : Il n’y a absolument rien à voir. (…) Ce projet je l’ai depuis que je suis arrivée en Polynésie française ; malheureusement le potentiel de mes moyens aériens ne m’a pas permis de l’organiser avant. Nous avons fait beaucoup de missions d’évacuation sanitaire l’année dernière - près de 135, des missions en tous genres, de sauvetage, et cetera -, et ça a durement tiré sur les moyens aériens ; je n’ai pas pu faire ce voyage comme je le souhaitais.
Je pense qu’il faudrait le faire régulièrement, pour ceux qui le souhaitent. Encore une fois, si j’avais plus de moyens, comme je l’ai dit, j’emmènerais les journalistes mais également ceux en Polynésie qui souhaitent voir « in situ » et je pense notamment aux anciens travailleurs qui ne sont pas revenus depuis la fin des essais et qui seraient certainement très curieux de voir comment est Moruroa aujourd’hui.
Le lancement de la réhabilitation du système Telsite est-il également une coïncidence, suite à la demande onusienne et alors que des rapports expliquent depuis 2010 que le système est défectueux ?
Anne Cullerre : L’ONU est parfaitement en droit de s’intéresser à ce genre de problèmes. Ce qui nous intéresse, depuis la fin des essais – et même avant en ce qui concerne Telsite, mis en place dans les années 80 – est, d’une manière générale, avec tous les rapports annuels qui expliquent de manière parfaitement transparente, l’état des capteurs. Donc j’ai du mal à imaginer ce que l’on peut faire de plus dans ce domaine.
Pourquoi les personnels de la Défense basés sur l’atoll ne mangent-ils pas de poisson ?
Anne Cullerre : Parce que le poisson, ici, a la ciguatera. Et effectivement, on leur demande de ne pas manger de poisson, tout simplement. (…)
Ils n’ont pas le droit aux noix de coco, non plus ?
Anne Cullerre : (...rires...) Non plus. Les rapports annuels des tests de surveillance radiologique nous montrent que l’on peut les manger sans problème ; mais simplement on évite d’avoir des jeunes qui vont sous les cocotiers, parce qu’une noix de coco qui tombe sur la tête d’un soldat, ça fait un soldat mort.
Le sénateur Richard Tuheiava demande la rétrocession à la Polynésie française des atolls de Moruroa et Fangataufa. Qu’en pensez-vous ?
Anne Cullerre : Je ne me prononcerai pas sur le volet politique. Je suis militaire et c’est un domaine qui n’est pas le mien. Ce que je dis simplement c’est qu’à Moruroa – Fangataufa c’est difficile pour y aller – encore une fois, si j’avais plus de moyens, j’y amènerais du monde, beaucoup de monde. Je pense que ça vaut la peine d’être vu et surtout d’être gravé dans la mémoire des Polynésiens, parce qu’ils peuvent en être fiers.
Pensez-vous justement que le fait nucléaire mériterait d’être reconnu au plus haut niveau de l’Etat ?
Anne Cullerre : Une reconnaissance du fait nucléaire – c’est en discussion je crois, d’ailleurs : pourquoi pas ? Ne serait-ce qu’en mémoire de tous les gens, aussi bien Polynésiens que scientifiques ou militaires qui ont travaillé au sein de cette belle aventure. Oui, pourquoi ne pas reconnaître, non le fait nucléaire mais le fait qu’ils aient travaillé pour le succès de la France.
Et concernant les victimes des essais nucléaires ?
Anne Cullerre : Vous savez, je me pose les mêmes questions que les Polynésiens. Mais quand on parle de victimes, on dit les victimes des essais nucléaires – et mon intention n’est pas de lancer un débat –, simplement de quoi parle-t-on au juste ? Ce que je peux vous dire – et je ne suis pas une spécialiste du nucléaire – c’est que dans la liste des cancers radio-induits on trouve la plupart des cancers actuels. Donc, si on regarde le nombre de cancers en Polynésie française – et de nombreuses études ont été faites à ce sujet – le lien entre la maladie et l’activité du CEP (Centre d’Expérimentations du Pacifique, NDLR) n’est pas une évidence. Mais là, je sort de mon champ de compétences. (…) Je n’ai pas de réponse à donner, sur cette question.
Comment voyez-vous l’avenir de cet atoll ?
Anne Cullerre : Je vois une surveillance radiologique qui va perdurer de la manière la plus normale, parce que c’est un site de stockage de déchets nucléaires. Je pense que le système Telsite de surveillance géo-mécanique que l’on renouvelle va durer également, dans les 15-20 prochaines années. Ce qui m’interpelle c’est l’histoire : ce qui s’est passé ici, cette aventure, cet impact que les Polynésiens ont vécu : dans 15 ans, qu’en restera-t-il en terme de mémoire, pour la prochaine génération ?
Que faudrait-il qu’il en reste, selon vous ?
Anne Cullerre : Eh bien, on peut imaginer plusieurs idées. On a parlé de lieu de mémoire – je ne suis pas la première à en parler ; des études ont été réalisées –, et je ne parle pas d’un totem sur une place ! Je parle d’un vrai lieu de mémoire que tout le monde pourrait s’approprier : associations, Polynésiens comme scientifiques. Tout le monde y a sa place, tout le monde.