Aménagement de la rivière Taharu'u : un mauvais exemple ?


Après le confortement d'une partie des berges en phase 1 des travaux, le chantier se concentre désormais dans la Taharu'u à la création d'un bassin dégraveur. Une expérimentation menée pour la première fois à Tahiti.
PAPARA, 17 mars 2016 - En avril 2014, le ministre de l'Équipement, Albert Solia était venu sur les rives de la Taharu'u pour détailler son plan d'aménagement de cette rivière de Papara qui devait préfigurer un travail plus général sur les cours d'eau de Tahiti. La Taharu'u devait devenir un site pilote. Deux ans plus tard, alors que la phase 2 des travaux a démarré, la méfiance gagne du terrain.

"Un comité de suivi ce n'est pas fait pour bloquer : ce doit être un médiateur, un tampon qui se place entre les riverains, les associations d'un côté ; le gouvernement et les entreprises qui travaillent comme maître d'ouvrage de l'autre". Cette déclaration a été prononcée, ce mercredi, par Bernard Roure. Ce conseiller municipal de Papara, en charge de l'environnement, a été choisi voici plusieurs semaines maintenant par divers interlocuteurs (associations, mairie de Papara entre autres) pour devenir le président du comité de suivi de Papara. Après diverses réunions préparatoires, ce comité de suivi n'attend plus qu'une délibération du conseil municipal de Papara pour exister officiellement : ce qui doit être fait le 31 mars prochain. Ce comité de suivi, dont les missions englobent tous les aspects environnementaux de la commune, devra "organiser la concertation, assurer le suivi des actions, organiser la communication et la sensibilisation, mettre en œuvre la participation du public" est-il noté dans la présentation effectuée il y a une dizaine de jours.

Même si ses centres d'intérêts sont multiples (gestion des déchets, eau, petite fourmi de feu…), le comité de suivi de Papara se créée, avant tout, parce que depuis deux ans la rivière Taharu'u est en chantier. Or sur place, régulièrement, les travaux se passent mal et la colère des riverains gronde. Menace d'interrompre les travaux, refus du droit de passage des engins et des camions de chantier sur certaines servitudes, l'ambiance peut être lourde parfois sur les berges de la Taharu'u. "Le problème c'est que depuis le début du chantier, l'entreprise fait un peu n'importe quoi. Sur la première tranche des travaux, il n'y a pas vraiment eu de concertation avec les premiers concernés : les habitants, qu'ils soient propriétaires, locataires, squatters ou indivisaires. Du coup, les projets qui arrivent du Pays passent systématiquement en force, c'est ce qui me choque d'autant que sur la Taharu'u les travaux sont prévus pour durer jusqu'en 2024. Le problème c'est la communication" poursuit Bernard Roure.

Quand il est en entretien avec Tahiti Infos, ce mercredi vers midi, Bernard Roure ne se doute pas que le gouvernement est en train, au même moment, de présenter son plan d'action rivières dont l'ambition paraît noble. Mais dans ce plan d'action, les comités de suivi communaux sont tout simplement écartés de la concertation directe avec le gouvernement. Ainsi, le comité de suivi de Papara n'est-il pas encore officialisé, qu'il se retrouve déjà au bord du chemin. Les riverains et les associations de défense de la rivière qui s'opposent, depuis deux ans, à certains des choix effectués pour l'aménagement de la rivière qui borde leurs propriétés, apprécieront.

"ON NE S'OPPOSE PAS A LA SECURISATION DES BERGES MAIS AUX EXTRACTIONS"

Des extractions avec les travaux en cours, nécessairement il y en a eu. 100 000 m3 de matériaux ont été déjà sortis et sont stockés sur la rive droite de la rivière. Avec l'élargissement du lit de la rivière pour construire un bassin dégraveur (voir en encadré), d'autres matériaux continuent d'être extraits. Des cailloux qui ont bien failli partir vers Faratea pour y être concassés. Mais la population et la municipalité s'y sont opposées. Extractions de matériaux, construction d'un bassin dégraveur : voilà ce qui fait grincer des dents aux riverains, particulièrement à ceux qui sont implantés le plus près des rives. Depuis 2008, date de sa création, le message de l'association Ia Ora Taharu'u ne change pas de registre sur ces questions-là. "Nous ne sommes contre l'aménagement de la rivière, le renforcement des berges et donc les travaux de sécurisation. On ne veut pas stopper les travaux, seulement, il ne faut pas que cela soit fait n'importe comment" témoignent des membres de l'association. Après les enrochements d'une partie des berges et l'élargissement du lit de la rivière, réalisés durant la phase 1 des travaux en 2014 et 2015, les maisons situées juste en aval, là où la rivière se resserre, ont été inondées lors des pluies du 21 février dernier. De l'eau qui est montée en une heure à peine, jusqu'aux genoux "comme il n'y en avait jamais eu". Désormais, en phase 2, les travaux se concentrent sur le bassin dégraveur, situé en amont et laissent donc ces maisons à la merci de nouvelles inondations. "On nous a présenté, il y a deux ans, un plan d'aménagement de la rivière qui semblait agréable et bien ficelé avec des berges revégétalisées, une promenade au fil de l'eau… Ce qu'on voit aujourd'hui, c'est que le véritable but était de construire ce bassin dégraveur pour continuer à extraire des matériaux de la rivière".

Bernard Roure, conseiller municipal de Papara en charge de l'environnement et des déchets dans la commune.
"Ce bassin dégraveur, ça fait peur"

Bernard Roure est conseiller municipal de Papara en charge de l'environnement et des déchets.

A écouter les riverains, les associations et même les élus de Papara aujourd'hui la création d'un bassin dégraveur dans le lit de la Taharu'u semble cristalliser la colère de tous. Qu'en pensez-vous ?

Bernard Roure : C'est vrai que ce bassin dégraveur inquiète : pour moi et même collectivement ici à la municipalité de Papara, on pense que ce n'est pas bon. Ce bassin sert à récupérer les cailloux qui arrivent de l'amont de la rivière. Or, ce bassin, il va falloir le vider régulièrement : une société sera mandatée tous les trois mois environ pour venir récupérer ces matériaux. Ça va faire une noria de camions régulièrement. Et puis si on enlève ces matériaux, ils n'iront plus nourrir la plage, il y a donc une vraie inquiétude. Un jour ou l'autre pour retenir le sable sur la plage, il faudra donc bétonner et ce sera un désastre. Les plus anciens riverains nous le disent : la plage a reculé au cours des années, ils le disent et je les crois.

Un bassin dégraveur, comment ça marche en fait ?

On ne sait pas grand-chose en fait. On sait qu'un seuil bétonné est en cours de construction, que le lit de la rivière a été fortement élargi à cet endroit pour y récupérer les cailloux d'un certain diamètre. Ensuite on nous parle de poteaux écartés les uns des autres de 2,50 mètres et placés en quinconce sur environ 110 mètres de largeur dans le lit de la rivière. J'ai demandé plusieurs fois : ces poteaux, quels sont leur rôles ? Personne n'a su jusqu'à présent m'expliquer le bien fondé de ces poteaux. Et puis vous imaginez la vue pour les riverains avec tous ces poteaux de 2,50 mètres de haut, plantés-là sous leurs yeux. Enfin, les travaux s'effectuent en ce moment sur ce bassin dégraveur au lieu de se concentrer d'abord à renforcer les berges. Le tavana dit : "d'abord on doit protéger la population" et ce n'est pas ce qui est fait actuellement. Ce bassin dégraveur, c'est avant tout un objet commercial !

Un documentaire amateur de l'association Ia Ora Taharu'u

Pas toujours facile de comprendre les travaux en cours dans la rivière et de les accepter. Les riverains, parfois inquiets, parfois en colère, se retrouvent régulièrement démunis face aux arguments développés par les techniciens du ministère de l'Equipement en réponse à leurs questions. Pour ne pas rester sur des incertitudes, des incompréhensions, une des membres de l'association Ia Ora Taharu'u a entrepris, en juillet 2015, un voyage en France pour aller rencontrer des spécialistes des aménagements et de la gestion des rivières.

Dans un petit film documentaire de sept minutes à peine, elle a intégré les interviews de trois de ces interlocuteurs : un géologue spécialiste en hydrologie, un ingénieur hydraulique et le président d'un syndicat intercommunal du Gave du Pau, depuis 20 ans. Ils y évoquent la conséquences des extractions sur les rivières qui ne sont plus autorisés en France.

En raison d'une demande qui s'est fortement accentuée au cours des dernières décennies, les prélèvements faits dans les rivières sont nettement plus importants que la possibilité pour le cours d'eau de se regénérer. "Il faudra quelques siècles pour compenser ce qui a été enlevé en 30 ans".

Rédigé par Mireille Loubet le Jeudi 17 Mars 2016 à 14:15 | Lu 2434 fois