Ambrym est noire comme la peau de sa population mélanésienne, certes, mais elle est surtout noire par l’épaisseur de ses forêts comme par le lourd couvercle de nuages qui en recouvre le sommet bifide.
En langue ranon, on dit “ham rim” (mot à mot “il y a des ignames ici”). James Cook, en 1774, six ans après sa découverte par Bougainville, appela donc cette terre “Ambrym”. L’île est noire comme la peau de sa population mélanésienne, certes, mais elle est surtout noire par l’épaisseur de ses forêts comme par le lourd couvercle de nuages qui en recouvre le sommet bifide. 1 334 m au-dessus de nos têtes, quand on est sur la côte, les volcans jumeaux, siamois même, Marum et Benbow, qui ne forment qu’une masse énorme de basalte, n’en finissent pas de cracher de sombres fumées...
“Tu sais”, nous dit ce villageois rencontré à Fanla, “c’est pénible cette masse noire de nuages qui cache une partie du bleu du ciel sur la montagne, mais c’est mieux que quand la pluie les traverse. La pluie, quand elle tombe, se charge de l’acidité contenue dans ces gros nuages de cendres et toutes les feuilles des arbres et des plantes de nos jardins meurent, comme rongées. Alors les gros nuages, tant qu’ils restent en l’air, là-haut, bien loin, ça me va”. Logique imparable.
Dieu merci, s’il pleut très souvent à Ambrym, la pluie ne traverse pas souvent les nuages noirs campés sur les deux cratères. Mais gare au vent qui amènerait ces pluies acides si redoutées, autant que la colère des deux volcans en éruption continue depuis le 23 mai 2008.
Pour les 7 500 habitants de l’île, ce qu’ils appellent, au singulier, “le volcan” est un site sacré. Mais ils savent aussi que des visiteurs étrangers viennent régulièrement pour approcher les cratères et les photographier. Dans le respect de la kastom, la coutume, des hommes jeunes et en bonne santé conduisent au sommet ces curieux touristes, qui, par mesure de sécurité comme par respect des sites tabu ne peuvent pas aller n’importe où, n’importe comment. Les esprits ne le tolèreraient pas et un guide doit toujours les accompagner.
Nous ne sommes pas venus séjourner à Ambrym pour monter voir les gueules de feu, mais plus simplement pour y découvrir une population dont la vie semble tourner autour de la kastom ; celle-ci s’exprime par un ensemble de codes complexes auquel un visiteur n’a pas accès, mais aussi par des manifestations bien plus visibles : les tambours géants, les fougères sculptées et la “romdance”, une manifestation annuelle organisée par des chefs, au terme de laquelle ils pourront monter en grade au sein de cette si omniprésente kastom...
“Tu sais”, nous dit ce villageois rencontré à Fanla, “c’est pénible cette masse noire de nuages qui cache une partie du bleu du ciel sur la montagne, mais c’est mieux que quand la pluie les traverse. La pluie, quand elle tombe, se charge de l’acidité contenue dans ces gros nuages de cendres et toutes les feuilles des arbres et des plantes de nos jardins meurent, comme rongées. Alors les gros nuages, tant qu’ils restent en l’air, là-haut, bien loin, ça me va”. Logique imparable.
Dieu merci, s’il pleut très souvent à Ambrym, la pluie ne traverse pas souvent les nuages noirs campés sur les deux cratères. Mais gare au vent qui amènerait ces pluies acides si redoutées, autant que la colère des deux volcans en éruption continue depuis le 23 mai 2008.
Pour les 7 500 habitants de l’île, ce qu’ils appellent, au singulier, “le volcan” est un site sacré. Mais ils savent aussi que des visiteurs étrangers viennent régulièrement pour approcher les cratères et les photographier. Dans le respect de la kastom, la coutume, des hommes jeunes et en bonne santé conduisent au sommet ces curieux touristes, qui, par mesure de sécurité comme par respect des sites tabu ne peuvent pas aller n’importe où, n’importe comment. Les esprits ne le tolèreraient pas et un guide doit toujours les accompagner.
Nous ne sommes pas venus séjourner à Ambrym pour monter voir les gueules de feu, mais plus simplement pour y découvrir une population dont la vie semble tourner autour de la kastom ; celle-ci s’exprime par un ensemble de codes complexes auquel un visiteur n’a pas accès, mais aussi par des manifestations bien plus visibles : les tambours géants, les fougères sculptées et la “romdance”, une manifestation annuelle organisée par des chefs, au terme de laquelle ils pourront monter en grade au sein de cette si omniprésente kastom...
A Ambrym, les forêts parlent
Les tambours sont souvent plantés au cœur des villages, mais on en trouve aussi en pleine forêt, installés là pour des raisons bien précises permettant à la population de communiquer, la “5G” locale...
À Ambrym, on écoute encore la forêt qui “parle”. Bienvenue au pays des tambours géants, les kastom tamtam, régis par un univers opaque de règles (celles de la “coutume”), tant pour leur fabrication que pour leur utilisation. Dans chaque village perdu de l'île noire, plusieurs de ces immenses tambours se dressent ici et là. Ils n'ont pas encore été remplacés par les téléphones portables ou Internet et c’est tant mieux…
Dans le tronc d'un arbre à pain
Pourquoi les sculpteurs ont-ils été atteints de gigantisme à Ambrym ? Nul ne sait. Aujourd'hui, la barre est placée très haut, avec des sculptures grandes comme une maison de deux étages. À Ambrym, ce sont les chefs tribaux qui décident généralement de l'impérieuse nécessité qu'il y a d'abattre un grand arbre à pain pour le transformer en “téléphone de forêt”.
Là-bas, les maiore n'ont pas été sélectionnés et domestiqués comme c'est le cas en Polynésie française. Tous les arbres produisent des fruits renfermant de nombreuses graines. C'est avec le bois de cet arbre que les tambours sont sculptés. Et pas par n'importe qui. D'abord, il n'y a que les gens d'Ambrym qui ont le droit de les sculpter et personne, au Vanuatu, n'oserait braver l'interdit.
Une hiérarchie de sculpteurs
À Ambrym même, il existe toute une hiérarchie complexe de droits qui donne à tel ou tel sculpteur l'autorisation de ciseler des tambours à un visage, à deux, à trois, à quatre ou même à cinq pour les très grands chefs.
Ce sont ces tambours qui dépassent six mètres de haut : imaginez un toere géant, surmonté par cinq visages aux motifs strictement identiques, allant simplement en diminuant. L'effet esthétique est magnifique, le design remarquable, preuve, s'il en fallait encore une, que les “arts premiers” sont des filons enfermant parfois de somptueuses pépites.
Une fois sculptés, les tambours sont fichés en terre dans des lieux bien précis, sachant que leur utilisation sera extrêmement réglementée elle aussi. Un tambour est frappé par un chef ; tout le monde connaît le son des tambours de chaque village et le sens des messages, car il ne s’agit pas de faire du bruit pour le plaisir. Quand c'est le grand tambour qui est frappé, celui à cinq visages, c'est que le grand chef a quelque chose d'important à faire savoir à la communauté.
Attention, visiteurs !
De même, quand des visiteurs arrivent dans les villages de montagne, sont-ils souvent annoncés par une première rafale de sons étouffés. Il faut alors s'arrêter, le temps (une demi-heure, parfois plus) qu'une autre rafale venue d’en haut indique à votre guide que, cette fois, la voie est ouverte et que l'on peut donc s'introduire dans le périmètre de la tribu.
Enfin il y a les autres tambours, ceux que l'on fait pour les touristes ; soit des tout petits, rigolos, aux sonorités un rien aiguës, soit des gros (deux ou trois mètres de haut), mais difficiles à vendre, car intransportables (un beau tambour pèse plus de 200 kg, ce qui n’est pas simple à caser dans ses bagages).
“Si tu le veux, je te le vends 17 000 Fcfp”, nous annonce Hang Hang, sculpteur de tambours à deux visages, en nous présentant une pièce de deux mètres que nous ne parvenons même pas à bouger.
Le prix est dérisoire, mais il y a ensuite le transport, l'expédition, le fret bateau, les formalités… De quoi décourager le plus farouche amateur de raretés. Ce sera pour une autre fois… Et puis, à Tahiti, à l'ère du Vini et d'Internet, qui nous écouterait ?
Dans le tronc d'un arbre à pain
Pourquoi les sculpteurs ont-ils été atteints de gigantisme à Ambrym ? Nul ne sait. Aujourd'hui, la barre est placée très haut, avec des sculptures grandes comme une maison de deux étages. À Ambrym, ce sont les chefs tribaux qui décident généralement de l'impérieuse nécessité qu'il y a d'abattre un grand arbre à pain pour le transformer en “téléphone de forêt”.
Là-bas, les maiore n'ont pas été sélectionnés et domestiqués comme c'est le cas en Polynésie française. Tous les arbres produisent des fruits renfermant de nombreuses graines. C'est avec le bois de cet arbre que les tambours sont sculptés. Et pas par n'importe qui. D'abord, il n'y a que les gens d'Ambrym qui ont le droit de les sculpter et personne, au Vanuatu, n'oserait braver l'interdit.
Une hiérarchie de sculpteurs
À Ambrym même, il existe toute une hiérarchie complexe de droits qui donne à tel ou tel sculpteur l'autorisation de ciseler des tambours à un visage, à deux, à trois, à quatre ou même à cinq pour les très grands chefs.
Ce sont ces tambours qui dépassent six mètres de haut : imaginez un toere géant, surmonté par cinq visages aux motifs strictement identiques, allant simplement en diminuant. L'effet esthétique est magnifique, le design remarquable, preuve, s'il en fallait encore une, que les “arts premiers” sont des filons enfermant parfois de somptueuses pépites.
Une fois sculptés, les tambours sont fichés en terre dans des lieux bien précis, sachant que leur utilisation sera extrêmement réglementée elle aussi. Un tambour est frappé par un chef ; tout le monde connaît le son des tambours de chaque village et le sens des messages, car il ne s’agit pas de faire du bruit pour le plaisir. Quand c'est le grand tambour qui est frappé, celui à cinq visages, c'est que le grand chef a quelque chose d'important à faire savoir à la communauté.
Attention, visiteurs !
De même, quand des visiteurs arrivent dans les villages de montagne, sont-ils souvent annoncés par une première rafale de sons étouffés. Il faut alors s'arrêter, le temps (une demi-heure, parfois plus) qu'une autre rafale venue d’en haut indique à votre guide que, cette fois, la voie est ouverte et que l'on peut donc s'introduire dans le périmètre de la tribu.
Enfin il y a les autres tambours, ceux que l'on fait pour les touristes ; soit des tout petits, rigolos, aux sonorités un rien aiguës, soit des gros (deux ou trois mètres de haut), mais difficiles à vendre, car intransportables (un beau tambour pèse plus de 200 kg, ce qui n’est pas simple à caser dans ses bagages).
“Si tu le veux, je te le vends 17 000 Fcfp”, nous annonce Hang Hang, sculpteur de tambours à deux visages, en nous présentant une pièce de deux mètres que nous ne parvenons même pas à bouger.
Le prix est dérisoire, mais il y a ensuite le transport, l'expédition, le fret bateau, les formalités… De quoi décourager le plus farouche amateur de raretés. Ce sera pour une autre fois… Et puis, à Tahiti, à l'ère du Vini et d'Internet, qui nous écouterait ?
A Ambrym, la Rom Dance envoûte
Les danseurs ne sont pas lâchés de suite sur le nasara et devant le public. Ils doivent d’abord danser pour et avec les chefs.
Ils ont surgi d'on ne sait trop où. Voilà des jours et des jours qu'ils se préparaient. Les guerriers du village tribal de Fanla, au nord de l'île d'Ambrym, sont entrés dans une longue transe. Ils ne sont déjà plus eux-mêmes, ils sont l'incarnation d'esprits…
Culture contre religion
A partir du minuscule aérodrome de Craig Cove, faute de route, le bateau, quand on trouve une barque motorisée, ou la marche, interminable, permettent de s'enfoncer dans l'île, vers les villages coutumiers de la région de Lolihor. Là-bas, le temps a pris le train en marche arrière : les petites communautés humaines perdues dans la forêt s'organisent plus que jamais autour de la kastom. Petits et grands chefs tentent, avec un certain succès, de maintenir les traditions ancestrales ; certes, l'influence des pasteurs presbytériens se manifeste sur la côte, mais si les femmes ne dansent plus par leur faute, les hommes, eux, continuent à porter fièrement le namba (étui pénien) et se réunissent avec ferveur sur le nasara, la place sacrée du village, où sont érigées les grandes fougères sculptées et les majestueux tambours.
Bien sûr, on ne sacrifie plus d'ennemis à la fin des cérémonies, mais les rangs des cochons en sortent très éclaircis.
Très peu de touristes
Rares sont encore les touristes qui peuvent assister à ces réjouissances : la plus belle, la plus magique, la plus renommée est la célèbre Rom Dance. Les visiteurs disposent en effet de très peu de possibilités d'hébergement, sauf à venir directement en voilier de Nouvelle-Calédonie. C'est dire que quand un festival comme celui de Fanla réunit quarante personnes d'origine étrangère, c'est déjà un grand succès. Ça l'est d'autant plus que chaque touriste, pour les deux jours de fête, doit acquitter un droit pour assister aux spectacles et partager les déjeuners.
Quand on sait qu'un seul gros cochon (on va en sacrifier beaucoup en 48h) coûte déjà 40 000 Fcfp environ, on comprend que la Rom Dance demeure un événement exceptionnel dans ces villages ; le ticket d'entrée, finalement, ne s'en trouve que plus justifié.
Esprits de la forêt
La légende dit que le costume étrange de la Rom Dance avait été offert par une femme à un homme qu'elle voulait séduire. L'homme a gardé le costume, pas la femme ; depuis, les chefs s’échangent le savoir lié à la Rom Dance, ce qui permet aux uns et aux autres de gravir des échelons dans la hiérarchie coutumière.
Dix-sept guerriers, lorsque nous en avons été spectateur, obéissaient aux sons lancinant des grands tambours et aux chants des chefs. Dix-sept guerriers anonymes sous leurs masques époustouflant de couleurs, alors que leurs corps disparaissaient sous de bruissantes cascades de feuilles de bananiers. Le temps de la danse, ils perdent leur identité pour devenir des esprits. Leur prestation est à la fois “primitive” et très élaborée ; ils dessinent, en se déplaçant, de grands signes invisibles sur le sable noir de la place cernée par le public venu de tous les villages alentour. Ils dansent jusqu'à s'en étourdirent et disparaissent subitement, partant dans le secret des halliers brûler leurs costumes, pour éviter que des esprits ne viennent hanter les vivants.
Sale temps pour les cochons
Sur place, ne restent que les chefs, qui font étalage de leur puissance, par cochons interposés. La valse des coups de massue commence. Cris, hurlements, sang qui gicle, il en est ainsi depuis la nuit des temps. Les premiers peuplements de l'archipel du Vanuatu font état de l'arrivée, depuis l'Asie, du peuple Lapita 3 200 ans avant Jésus-Christ. C'est dire qu'il ne fait pas bon être un cochon dans le coin depuis beau temps. Leurs dents recourbées, impressionnantes, ornent les poignets, les torses, les bras et les chevilles des plus grands caciques.
La Rom Dance a lieu une fois par an, en principe mi-juillet, si un chef réunit l'argent pour obtenir le privilège de l'organiser et de s'en faire expliquer les secrets. Les grands tambours seront alors frappés pour renseigner la forêt sur tout et sur tous. À Ambrym, pas besoin de télé, de radio, de satellite, d'ordinateur ou de téléphone portable. Dans la jungle, il est facile de savoir…
Culture contre religion
A partir du minuscule aérodrome de Craig Cove, faute de route, le bateau, quand on trouve une barque motorisée, ou la marche, interminable, permettent de s'enfoncer dans l'île, vers les villages coutumiers de la région de Lolihor. Là-bas, le temps a pris le train en marche arrière : les petites communautés humaines perdues dans la forêt s'organisent plus que jamais autour de la kastom. Petits et grands chefs tentent, avec un certain succès, de maintenir les traditions ancestrales ; certes, l'influence des pasteurs presbytériens se manifeste sur la côte, mais si les femmes ne dansent plus par leur faute, les hommes, eux, continuent à porter fièrement le namba (étui pénien) et se réunissent avec ferveur sur le nasara, la place sacrée du village, où sont érigées les grandes fougères sculptées et les majestueux tambours.
Bien sûr, on ne sacrifie plus d'ennemis à la fin des cérémonies, mais les rangs des cochons en sortent très éclaircis.
Très peu de touristes
Rares sont encore les touristes qui peuvent assister à ces réjouissances : la plus belle, la plus magique, la plus renommée est la célèbre Rom Dance. Les visiteurs disposent en effet de très peu de possibilités d'hébergement, sauf à venir directement en voilier de Nouvelle-Calédonie. C'est dire que quand un festival comme celui de Fanla réunit quarante personnes d'origine étrangère, c'est déjà un grand succès. Ça l'est d'autant plus que chaque touriste, pour les deux jours de fête, doit acquitter un droit pour assister aux spectacles et partager les déjeuners.
Quand on sait qu'un seul gros cochon (on va en sacrifier beaucoup en 48h) coûte déjà 40 000 Fcfp environ, on comprend que la Rom Dance demeure un événement exceptionnel dans ces villages ; le ticket d'entrée, finalement, ne s'en trouve que plus justifié.
Esprits de la forêt
La légende dit que le costume étrange de la Rom Dance avait été offert par une femme à un homme qu'elle voulait séduire. L'homme a gardé le costume, pas la femme ; depuis, les chefs s’échangent le savoir lié à la Rom Dance, ce qui permet aux uns et aux autres de gravir des échelons dans la hiérarchie coutumière.
Dix-sept guerriers, lorsque nous en avons été spectateur, obéissaient aux sons lancinant des grands tambours et aux chants des chefs. Dix-sept guerriers anonymes sous leurs masques époustouflant de couleurs, alors que leurs corps disparaissaient sous de bruissantes cascades de feuilles de bananiers. Le temps de la danse, ils perdent leur identité pour devenir des esprits. Leur prestation est à la fois “primitive” et très élaborée ; ils dessinent, en se déplaçant, de grands signes invisibles sur le sable noir de la place cernée par le public venu de tous les villages alentour. Ils dansent jusqu'à s'en étourdirent et disparaissent subitement, partant dans le secret des halliers brûler leurs costumes, pour éviter que des esprits ne viennent hanter les vivants.
Sale temps pour les cochons
Sur place, ne restent que les chefs, qui font étalage de leur puissance, par cochons interposés. La valse des coups de massue commence. Cris, hurlements, sang qui gicle, il en est ainsi depuis la nuit des temps. Les premiers peuplements de l'archipel du Vanuatu font état de l'arrivée, depuis l'Asie, du peuple Lapita 3 200 ans avant Jésus-Christ. C'est dire qu'il ne fait pas bon être un cochon dans le coin depuis beau temps. Leurs dents recourbées, impressionnantes, ornent les poignets, les torses, les bras et les chevilles des plus grands caciques.
La Rom Dance a lieu une fois par an, en principe mi-juillet, si un chef réunit l'argent pour obtenir le privilège de l'organiser et de s'en faire expliquer les secrets. Les grands tambours seront alors frappés pour renseigner la forêt sur tout et sur tous. À Ambrym, pas besoin de télé, de radio, de satellite, d'ordinateur ou de téléphone portable. Dans la jungle, il est facile de savoir…
A Ambrym, les fougères sont sacrées
Nous avons eu le droit de photographier les fougères, mais les chefs ont demandé à être photographiés devant elles avant toute chose.
La curiosité sans doute la plus étonnante de l’île d’Ambrym réside dans ses troncs de fougères arborescentes qui, coupés et retournés, permettent de créer da fantastiques figures omniprésentes dans les villages. Attention, on peut couper ces fougères dans tout le Vanuatu, mais seuls les sculpteurs d’Ambrym ont le droit de leur donner la forme qui est la leur.
Au passage et pour lever tout doute, pas facile d’en ramener dans ses bagages, d’abord compte tenu de leur volume (trois mètres très souvent), mais aussi et surtout compte tenu des formalités à remplir ; aux yeux de responsables de la CITES, qui protège les espèces menacées de la faune et de la flore, il est en effet strictement interdit de couper et de vendre des fougères arborescentes, sauf au Vanuatu, kastom oblige (ou plutôt permet). Leur exportation est donc plutôt compliquée et si l’on en trouve très facilement à Nouméa (comptez 30 000 à 50 000 Fcfp, voire plus, pour un beau spécimen), il n’en demeure pas moins que les formalités douanières pour faire entrer ce type de marchandise sont complexes, le contrôle phytosanitaire ne l’étant pas moins. Bref, profitez des fougères sculptées et parfois peintes d’Ambrym sur place et n’espérez pas trop en ramener une à Tahiti.
“Ne pas toucher, tabu !”
Le jour où nous avons été conviés à nous rendre au nasara de Fanla, pour découvrir ces fameuses fougères justement, les chefs, qui étaient sagement alignés presque au garde à vous, se sont faits expliquer le sens de notre démarche, à savoir témoigner dans notre pays de cet art. Prendre des photos ne les gênait pas mais ils y mirent deux conditions : ne pas toucher les fougères tabu et les prendre d’abord en photo eux-mêmes, devant les sculptures sacrées.
Il nous restait à obtenir une faveur de plus, suivre un sculpteur partant en forêt pour couper une de ces plantes datant de l’ère carbonifère (bien antérieure donc aux plantes à fleurs).
Le lendemain matin, dans une forêt trempée par les pluies de la nuit précédente, Hang Hang, le sculpteur, nous conduisit sur une sente de lui seul connue ; la pente n’était pas raide, mais glissante et après quelques centaines de mètres d’une progression acrobatique, nous parvînmes au pied d’une paroi un peu plus raide où se dressaient les troncs de fougères mesurant entre six et huit mètres de haut. La dentelle de leur feuillage ne laissait passer que très peu de lumière ; en quelques coups de machette bien appliquée, une grande fougère ne tarda pas à s’abattre. Le plus dur n’étant pas de couper le tronc ligneux mais bien de dégager la base de la plante en conservant le dense réseau de fibres formant ce que nous appellerons la racine. La pièce, gorgée d’eau, doit bien peser dans les cent cinquante kilos. “Je ne vais pas redescendre dans la vallée jusqu’au village en portant une telle masse ou en la traînant. J’en aurais pour des jours. Je vais entamer la sculpture, dégrossir la statue et la laisser sur place pour qu’elle perde une partie de son eau. Ce n’est qu’ensuite que je remonterai avec d’autres hommes pour l’amener sur le nasara où elle sera dressée ; je finirai alors le détail des sculptures et si les chefs le demandent, nous procéderont également à la mise en couleur de la fougère. Mais ça, ce n’est pas moi qui décide”.
De grands yeux étonnés
Déjà apparaissent sous les coups de machette de Hang Hang les grands yeux étonnés de la fougère. Une fois terminée, elle ne devrait pas dépasser deux mètres de hauteur. Elle sera donc réservée à un petit chef défunt. Car si nous avons bien compris la signification de ces sculptures tout à fait uniques, elles sont des représentations de petits et de grands chefs décédés...
Beaucoup d’autres fougères, nous expliquera le sculpteur en nous en montrant sur le chemin du retour “ne sont pas sacrées. On les coupe, on les sculpte et on les vend pour décorer des jardins d'hôtels ou des maisons de riches. À Port-Vila, mais aussi à Nouméa et même ailleurs. Mais les fougères qui sont sur les nasaras, c'est autre chose. Elles sont sacrées. Elles sont peintes de couleurs vives et ne sont pas à vendre. La punition des chefs serait terrible si on en vendait une. On n'a même pas le droit de les toucher ou de les approcher si on n'est pas chef dans la tribu. Tu devras toujours être prudent avant de prendre des photos, chaque fougère abrite un esprit”.
Symbole d'un chef disparu
À Fanla, assis non loin de ces sculptures géantes, un chef francophone nous confirmera qu'elles symbolisent un chef disparu, la grandeur de son œuvre durant sa vie lui donnant le droit de séjourner sous forme de fougère sculptée sur le nasara. Et encore, selon une procédure d'une extrême complexité, la sculpture, vaguement anthropomorphe, pouvant mesurer quatre-vingts centimètres ou dépasser trois mètres, être “brute” ou peinte avec une rare sophistication. C'est selon le prestige de l'ancêtre en question. Impossible d'en savoir plus et d'entrer dans le détail de rites inextricables de la kastom (la sacro-sainte coutume) qui règle la vie de tous à chaque instant du jour comme de la nuit.
L'œil sculpté est particulièrement accrocheur et donne aux statues un air étonné. Peintes, les fougères d'Ambrym sont sans aucun doute parmi les merveilles du Pacifique Sud. Mais pour les voir sur les enceintes sacrées, la route est longue…
Au passage et pour lever tout doute, pas facile d’en ramener dans ses bagages, d’abord compte tenu de leur volume (trois mètres très souvent), mais aussi et surtout compte tenu des formalités à remplir ; aux yeux de responsables de la CITES, qui protège les espèces menacées de la faune et de la flore, il est en effet strictement interdit de couper et de vendre des fougères arborescentes, sauf au Vanuatu, kastom oblige (ou plutôt permet). Leur exportation est donc plutôt compliquée et si l’on en trouve très facilement à Nouméa (comptez 30 000 à 50 000 Fcfp, voire plus, pour un beau spécimen), il n’en demeure pas moins que les formalités douanières pour faire entrer ce type de marchandise sont complexes, le contrôle phytosanitaire ne l’étant pas moins. Bref, profitez des fougères sculptées et parfois peintes d’Ambrym sur place et n’espérez pas trop en ramener une à Tahiti.
“Ne pas toucher, tabu !”
Le jour où nous avons été conviés à nous rendre au nasara de Fanla, pour découvrir ces fameuses fougères justement, les chefs, qui étaient sagement alignés presque au garde à vous, se sont faits expliquer le sens de notre démarche, à savoir témoigner dans notre pays de cet art. Prendre des photos ne les gênait pas mais ils y mirent deux conditions : ne pas toucher les fougères tabu et les prendre d’abord en photo eux-mêmes, devant les sculptures sacrées.
Il nous restait à obtenir une faveur de plus, suivre un sculpteur partant en forêt pour couper une de ces plantes datant de l’ère carbonifère (bien antérieure donc aux plantes à fleurs).
Le lendemain matin, dans une forêt trempée par les pluies de la nuit précédente, Hang Hang, le sculpteur, nous conduisit sur une sente de lui seul connue ; la pente n’était pas raide, mais glissante et après quelques centaines de mètres d’une progression acrobatique, nous parvînmes au pied d’une paroi un peu plus raide où se dressaient les troncs de fougères mesurant entre six et huit mètres de haut. La dentelle de leur feuillage ne laissait passer que très peu de lumière ; en quelques coups de machette bien appliquée, une grande fougère ne tarda pas à s’abattre. Le plus dur n’étant pas de couper le tronc ligneux mais bien de dégager la base de la plante en conservant le dense réseau de fibres formant ce que nous appellerons la racine. La pièce, gorgée d’eau, doit bien peser dans les cent cinquante kilos. “Je ne vais pas redescendre dans la vallée jusqu’au village en portant une telle masse ou en la traînant. J’en aurais pour des jours. Je vais entamer la sculpture, dégrossir la statue et la laisser sur place pour qu’elle perde une partie de son eau. Ce n’est qu’ensuite que je remonterai avec d’autres hommes pour l’amener sur le nasara où elle sera dressée ; je finirai alors le détail des sculptures et si les chefs le demandent, nous procéderont également à la mise en couleur de la fougère. Mais ça, ce n’est pas moi qui décide”.
De grands yeux étonnés
Déjà apparaissent sous les coups de machette de Hang Hang les grands yeux étonnés de la fougère. Une fois terminée, elle ne devrait pas dépasser deux mètres de hauteur. Elle sera donc réservée à un petit chef défunt. Car si nous avons bien compris la signification de ces sculptures tout à fait uniques, elles sont des représentations de petits et de grands chefs décédés...
Beaucoup d’autres fougères, nous expliquera le sculpteur en nous en montrant sur le chemin du retour “ne sont pas sacrées. On les coupe, on les sculpte et on les vend pour décorer des jardins d'hôtels ou des maisons de riches. À Port-Vila, mais aussi à Nouméa et même ailleurs. Mais les fougères qui sont sur les nasaras, c'est autre chose. Elles sont sacrées. Elles sont peintes de couleurs vives et ne sont pas à vendre. La punition des chefs serait terrible si on en vendait une. On n'a même pas le droit de les toucher ou de les approcher si on n'est pas chef dans la tribu. Tu devras toujours être prudent avant de prendre des photos, chaque fougère abrite un esprit”.
Symbole d'un chef disparu
À Fanla, assis non loin de ces sculptures géantes, un chef francophone nous confirmera qu'elles symbolisent un chef disparu, la grandeur de son œuvre durant sa vie lui donnant le droit de séjourner sous forme de fougère sculptée sur le nasara. Et encore, selon une procédure d'une extrême complexité, la sculpture, vaguement anthropomorphe, pouvant mesurer quatre-vingts centimètres ou dépasser trois mètres, être “brute” ou peinte avec une rare sophistication. C'est selon le prestige de l'ancêtre en question. Impossible d'en savoir plus et d'entrer dans le détail de rites inextricables de la kastom (la sacro-sainte coutume) qui règle la vie de tous à chaque instant du jour comme de la nuit.
L'œil sculpté est particulièrement accrocheur et donne aux statues un air étonné. Peintes, les fougères d'Ambrym sont sans aucun doute parmi les merveilles du Pacifique Sud. Mais pour les voir sur les enceintes sacrées, la route est longue…