Ahutoru, un Tahitien dans le Paris des Lumières


Véronique Dorbe-Larcade, agrégée, maîtresse de conférence et spécialiste d’histoire moderne, est l’autrice du livre Ahutoru ou l’envers du voyage de Bougainville à Tahiti.
TAHITI, le 16 mai 2023 - Véronique Dorbe-Larcade, agrégée, maîtresse de conférence et spécialiste d’histoire moderne, signe le livre Ahutoru ou l’envers du voyage de Bougainville à Tahiti qui vient de paraître chez Au Vent des îles. Il fait la lumière sur la vie de ce personnage “injustement méconnu” en revenant sur son parcours “extraordinaire” et en dévoilant toute son humanité.

Il est “extraordinaire”, c’est un homme “d’une force incroyable” qui a su traverser “tout ce qui devait l’anéantir”, dit Véronique Dorbe-Larcade à propos d’Ahutoru. Agrégée, maîtresse de conférence et spécialiste d’histoire moderne, elle lui consacre un ouvrage qui s’intitule Ahutoru ou l’envers du voyage de Bougainville à Tahiti, paru aux éditions Au vent des îles.

Personne ne sait à quoi Ahutoru pouvait ressembler : “On ne garde de lui aucun dessin, aucun portrait, aucune sorte d’image qui montrerait les traits de son visage ou son allure et qui en conserverait le souvenir", affirme l’autrice. Il ne parlait pas français : il ne s’est exprimé aux contacts des Européens que par gestes. Il a pourtant réussi à marquer l’histoire, son nom et son parcours ont traversé les âges. “Rétrospectivement et durablement, Ahutoru a compté. Il est même devenu une figure et un élément de la culture littéraire française.

Une année à Paris

La date de naissance exacte de Ahutoru n’est pas connue, il serait venu au monde vers 1750. Ses premières années de vie ne sont pas non plus documentées. Mais une chose est sûre, c’est le premier Polynésien à être allé en Europe.

Si l’histoire des “découvreurs” européens du Pacifique au XVIIIe siècle, en particulier celle de Bougainville, est bien connue, rien ou si peu n’a été dit au sujet du premier Polynésien qui effectua le voyage inverse. Ahutoru fut le premier à aller au-devant des Français lorsqu’ils débarquèrent à Tahiti en avril 1768 et il demanda à partir avec eux. Ce qu’il fit, de manière improvisée, et sans mesurer ce qu’impliquait sa décision. “Il en prit vraiment conscience plusieurs jours plus tard, quand il passa au large de Raiatea.” Ahutoru voulut s’y arrêter, Bougainville refusa. “Alors il comprit qu’il partait vers l’inconnu.”

Après plusieurs escales et un voyage long et éprouvant, Ahutoru découvrit Paris où il vécut du printemps 1769 jusqu’aux premiers mois de l’année 1770. “Son séjour en France mérite d’être qualifié de sinistre : il fut à la fois triste et désastreux.” Ahutoru prit ensuite le chemin du retour et vécut une année à l’île de France (Maurice) en attendant qu’un bateau puisse le ramener chez lui. Les expéditions vers le Pacifique en général et Tahiti en particulier n’existaient pas. Le Polynésien poursuivit sa route à bord du Mascarin commandé par le capitaine Marc Marion-Dufresne, mais il ne revit jamais sa terre natale. Il périt sur le Mascarin le 6 novembre 1771, victime de la variole (petite vérole).

À partir des écrits de Bougainville, d’autres navigateurs et scientifiques, d’écrivains ou de journalistes qui le croisèrent, Véronique Dorbe-Larcade reconstitue les étapes de ses voyages aller et retour, et émet des hypothèses sur ce qu’a pu penser et ressentir cet aventurier polynésien dans cette France des Lumières. Le travail de recherche de Véronique Dorbe-Larcade se lit en filigrane. Chaque phrase semble être le fruit d’une étude méticuleuse. Le texte tout entier offre, comme dans un roman, une galerie de personnages. Marins, Tahitiens, Parisiens et bien sûr Bougainville et Ahutoru prennent corps et âmes. Le lecteur distingue bien des aspects des personnalités de chacun et découvre le quotidien du siècle des Lumières dans la capitale française.

“Rétablir la vérité du passé”

Selon l’autrice, Ahutoru “mérite d’être connu”. C’est un “héros” qui l’a obligée à un travail “de modestie”, à “une manière d’être exigeante” et à une certaine “intranquillité” car il ne reste aucun témoignage direct, aucun texte, aucune citation émanant directement de lui. “On ne le connaît qu’à travers ce que l’on dit de lui. De ce fait, il m’a fallu écrire de manière prudente et humble”, rapporte l’autrice. Selon elle, le personnage interpelle particulière aujourd’hui car “nous avons besoin de voir les choses autrement, de reconsidérer ce moment où l’Europe a découvert le Pacifique, non pas dans un souci de respect d’une mode à l’ouverture, à la différence, mais parce que nous ne pouvons plus faire autrement d’un point de vue déontologique. Il nous faut rétablir la vérité du passé.

Le travail qui a permis la rédaction du livre ainsi que la rédaction même de l’ouvrage sont à l’image d’une nouvelle approche de l’histoire. “Une approche par supposition, une imagination critique”, décrit Véronique Dorbe-Larcade. “Une méthode qui se rapproche un peu du travail d’enquêteurs, à savoir le rassemblement d’indices.” Elle insiste sur toute la place des émotions et des sensations qui s’imposent petit à petit dans la pratique “pour appréhender la vérité du passé”.

“L’histoire n’est pas finie”

Véronique Dorbe-Larcade s’est lancée dans un nouveau projet avec une collègue australienne originaire de l’île Maurice. Elle envisage de se rendre sur place pour voir les lieux qu’Ahutoru a fréquentés lors de son séjour, mais aussi pour contacter des descendants qui pourraient avoir conservé des correspondances par exemple. “L’histoire n’est pas finie."

Dédicace

L’autrice Véronique Dorbe-Larcade sera à Odyssey ce samedi 20 mai pour une séance de dédicaces de 9 heures à midi.

Rédigé par Delphine Barrais le Mardi 16 Mai 2023 à 18:25 | Lu 2306 fois