Paris, France | AFP | vendredi 24/06/2016 - Jardins partagés sur des friches industrielles à Detroit ou sur d'anciens parkings en banlieue parisienne, culture hydroponique dans des tours high tech: l'agriculture urbaine a le vent en poupe, mais peut-elle véritablement nourrir les villes ?
En banlieue-est de Paris, aux Mureaux, ville plus connue pour sa violence urbaine que pour ses jardins, Maria-Louisa George, 60 ans, cultive fleurs et légumes depuis 2011 au pied de la cité Renault. Son jardin est un ancien parking réhabilité par son bailleur, l'immobilière 3F, qui a créé un potager communautaire de 500 mètres carrés.
"Bien sûr que c'est pour manger !, nous sommes dix familles sur ce jardin. C'est pour le plaisir, mais aussi pour se nourrir, nous récoltons beaucoup de légumes", dit-elle à l'AFP. Utile en temps de crise.
Les jardiniers sont souvent des femmes. Peu de jeunes. La mairie finance l'achat des semences. Du classique: pommes de terre, carottes, radis, salades. Ce qui n'empêche pas les jardinières d'apporter leurs propres graines d'oseille ou fèves africaines.
"J'habite la cité depuis 43 ans et c'est la première fois qu'on me propose une initiative comme ça", explique Maria-Louisa.
Le potager a retissé un lien social totalement déchiré dans la cité: "Jamais personne n'a volé nos légumes, on respecte notre jardin", se réjouit-elle. "Avant, personne ne me disait jamais bonjour, maintenant même les jeunes du quartier me saluent", sourit-elle, presque incrédule.
- 6 m2 à Strasbourg, 0,17 m2 à Bordeaux -
L'Ile-de-France, région la plus urbanisée de France, compte plus de 1.000 jardins partagés sur près de 900 hectares, tandis que les maraîchers disposent de 3.000 hectares dans la région, indique à l'AFP Thomas Ducros, de l'Inra (Institut national de la recherche agronomique).
Ailleurs en France, des disparités énormes existent entre villes. Strasbourg compte quelque 165 hectares de jardins partagés. Soit 6 mètres carrés par habitant en moyenne, selon un calcul réalisé par Daniel Cérézuelle, responsable scientifique de l'association Pades (Programme autoproduction et développement social).
A population comparable, Bordeaux ne peut compter que sur 4 hectares, "soit 0,17 mètre carré par habitant", selon lui.
"Il y a un problème de justice dans la distribution de ces équipements collectifs qui pénalise les plus fragiles", relève-t-il, en appelant à une "politique régionale" pour essayer de "penser le problème": En Ile-de-France, la carte des prévalences de cas d'obésité et de diabète, signe d'une mauvaise alimentation et souvent de pauvreté, "n'a aucun lien" avec la carte montrant la densité des jardins partagés, affirme-t-il.
Les chercheurs, qui ont longtemps étudié la fonction sociale, puis environnementale, des jardins urbains, interrogent aujourd'hui leur fonction alimentaire, ajoute Thomas Ducros de l'INRA. Sur ce sujet, la recherche a pris de l'avance aux Etats-Unis.
A Detroit, une expérience réussie fait figure d'exemple, montrée dans le documentaire à succès "Demain" de Cyril Dion et Mélanie Laurent, vu par plus d'un million de spectateurs en France.
Sur les ruines de l'industrie automobile, des friches sont dépolluées et transformées en potagers par un tissu associatif dense réunissant quelque 10.000 personnes, pour que des gens modestes aient accès à des fruits et légumes frais.
- Poulaillers à New York -
"Ce n'est pas notre objectif de nourrir toute la population", dit à l'AFP Tonja "Hanifa" Adjuman, qui dirige le "réseau de sécurité alimentaire de la communauté noire" de Detroit.
"Mais l'agriculture urbaine est l'un des moyens par lesquels nous enseignons l'auto-détermination aux Noirs de notre pays. Enseigner l'importance de faire pousser ses propres légumes, comprendre la chaîne alimentaire et le système de production des aliments" (...) peut être, selon elle, "une façon de cicatriser les plaies de l'esclavage", aussi basé sur l'exploitation de la terre, résume-t-elle.
Pour Karen Washington, militante newyorkaise des jardins partagés, qui a participé à un colloque récent sur le sujet à l'école d'agronomie Agro-Paris Tech, le principal objectif est éducatif: "savoir d'où vient la nourriture".
Dans les villes américaines, où diabète, hypertension et obésité font des ravages, l'agriculture urbaine est devenue vitale, selon elle.
"Les jardins qui marchent le mieux sont ceux qui sont lancés sur des terrains vagues par les habitants eux-mêmes" dit-elle, en évoquant les multiples batailles menées à New York pour "installer des poulaillers" ou lutter contre la promotion immobilière.
Tous ces mouvements ont été relayés et soutenus par Michelle Obama, l'épouse du président américain qui a installé un potager à la Maison Blanche.
- "végétalisation du bâti" -
En France, où 26 mètres carrés de terres agricoles disparaissent chaque seconde, les questions d'agriculture urbaine "ne sont pas du tout intégrées dans les politiques d'urbanisme, et devraient l'être", estime Jean-Noël Consalès, enseignant-chercheur à Aix Marseille en urbanisme et paysage.
Sur les toits de Paris, plusieurs cuisiniers ont déjà installé des mini-jardins pour alimenter leurs clients en herbes ou légumes frais. L'opération "Paris-culteurs" lancée par la mairie, a pour objectif d'offrir à la culture d'ici 2020, 100 hectares de "végétalisation du bâti", dont 30 dédiés à l'agriculture, pas forcément horizontaux.
Mais la haute technologie se mêle au débat. Des start-ups agricoles produisant du basilic en cave fleurissent à Washington ou à Berlin. L'architecture met aussi son grain de vert, proposant des tours high tech entièrement végétalisées. Avec un luxe d'installations hydroponiques, où récupération d'eau et économies d'énergie sont mises en valeur.
François Mancebo, chercheur en aménagement, urbanisme et développement durable à Reims, met en garde contre ce verdissement subit de l'immobilier dans un article récent intitulé "le côté obscur de l'agriculture urbaine" (http://www.thenatureofcities.com/2016/04/08/confronting-the-dark-side-of-urban-agriculture/.)
"Ces jardins intégrés sur plans n'ont la plupart du temps pour objet que de faire accepter au voisinage des projets immobiliers très denses, dit-il à l'AFP. "Et au final ces installations ont un coût d'entretien très élevé".
En banlieue-est de Paris, aux Mureaux, ville plus connue pour sa violence urbaine que pour ses jardins, Maria-Louisa George, 60 ans, cultive fleurs et légumes depuis 2011 au pied de la cité Renault. Son jardin est un ancien parking réhabilité par son bailleur, l'immobilière 3F, qui a créé un potager communautaire de 500 mètres carrés.
"Bien sûr que c'est pour manger !, nous sommes dix familles sur ce jardin. C'est pour le plaisir, mais aussi pour se nourrir, nous récoltons beaucoup de légumes", dit-elle à l'AFP. Utile en temps de crise.
Les jardiniers sont souvent des femmes. Peu de jeunes. La mairie finance l'achat des semences. Du classique: pommes de terre, carottes, radis, salades. Ce qui n'empêche pas les jardinières d'apporter leurs propres graines d'oseille ou fèves africaines.
"J'habite la cité depuis 43 ans et c'est la première fois qu'on me propose une initiative comme ça", explique Maria-Louisa.
Le potager a retissé un lien social totalement déchiré dans la cité: "Jamais personne n'a volé nos légumes, on respecte notre jardin", se réjouit-elle. "Avant, personne ne me disait jamais bonjour, maintenant même les jeunes du quartier me saluent", sourit-elle, presque incrédule.
- 6 m2 à Strasbourg, 0,17 m2 à Bordeaux -
L'Ile-de-France, région la plus urbanisée de France, compte plus de 1.000 jardins partagés sur près de 900 hectares, tandis que les maraîchers disposent de 3.000 hectares dans la région, indique à l'AFP Thomas Ducros, de l'Inra (Institut national de la recherche agronomique).
Ailleurs en France, des disparités énormes existent entre villes. Strasbourg compte quelque 165 hectares de jardins partagés. Soit 6 mètres carrés par habitant en moyenne, selon un calcul réalisé par Daniel Cérézuelle, responsable scientifique de l'association Pades (Programme autoproduction et développement social).
A population comparable, Bordeaux ne peut compter que sur 4 hectares, "soit 0,17 mètre carré par habitant", selon lui.
"Il y a un problème de justice dans la distribution de ces équipements collectifs qui pénalise les plus fragiles", relève-t-il, en appelant à une "politique régionale" pour essayer de "penser le problème": En Ile-de-France, la carte des prévalences de cas d'obésité et de diabète, signe d'une mauvaise alimentation et souvent de pauvreté, "n'a aucun lien" avec la carte montrant la densité des jardins partagés, affirme-t-il.
Les chercheurs, qui ont longtemps étudié la fonction sociale, puis environnementale, des jardins urbains, interrogent aujourd'hui leur fonction alimentaire, ajoute Thomas Ducros de l'INRA. Sur ce sujet, la recherche a pris de l'avance aux Etats-Unis.
A Detroit, une expérience réussie fait figure d'exemple, montrée dans le documentaire à succès "Demain" de Cyril Dion et Mélanie Laurent, vu par plus d'un million de spectateurs en France.
Sur les ruines de l'industrie automobile, des friches sont dépolluées et transformées en potagers par un tissu associatif dense réunissant quelque 10.000 personnes, pour que des gens modestes aient accès à des fruits et légumes frais.
- Poulaillers à New York -
"Ce n'est pas notre objectif de nourrir toute la population", dit à l'AFP Tonja "Hanifa" Adjuman, qui dirige le "réseau de sécurité alimentaire de la communauté noire" de Detroit.
"Mais l'agriculture urbaine est l'un des moyens par lesquels nous enseignons l'auto-détermination aux Noirs de notre pays. Enseigner l'importance de faire pousser ses propres légumes, comprendre la chaîne alimentaire et le système de production des aliments" (...) peut être, selon elle, "une façon de cicatriser les plaies de l'esclavage", aussi basé sur l'exploitation de la terre, résume-t-elle.
Pour Karen Washington, militante newyorkaise des jardins partagés, qui a participé à un colloque récent sur le sujet à l'école d'agronomie Agro-Paris Tech, le principal objectif est éducatif: "savoir d'où vient la nourriture".
Dans les villes américaines, où diabète, hypertension et obésité font des ravages, l'agriculture urbaine est devenue vitale, selon elle.
"Les jardins qui marchent le mieux sont ceux qui sont lancés sur des terrains vagues par les habitants eux-mêmes" dit-elle, en évoquant les multiples batailles menées à New York pour "installer des poulaillers" ou lutter contre la promotion immobilière.
Tous ces mouvements ont été relayés et soutenus par Michelle Obama, l'épouse du président américain qui a installé un potager à la Maison Blanche.
- "végétalisation du bâti" -
En France, où 26 mètres carrés de terres agricoles disparaissent chaque seconde, les questions d'agriculture urbaine "ne sont pas du tout intégrées dans les politiques d'urbanisme, et devraient l'être", estime Jean-Noël Consalès, enseignant-chercheur à Aix Marseille en urbanisme et paysage.
Sur les toits de Paris, plusieurs cuisiniers ont déjà installé des mini-jardins pour alimenter leurs clients en herbes ou légumes frais. L'opération "Paris-culteurs" lancée par la mairie, a pour objectif d'offrir à la culture d'ici 2020, 100 hectares de "végétalisation du bâti", dont 30 dédiés à l'agriculture, pas forcément horizontaux.
Mais la haute technologie se mêle au débat. Des start-ups agricoles produisant du basilic en cave fleurissent à Washington ou à Berlin. L'architecture met aussi son grain de vert, proposant des tours high tech entièrement végétalisées. Avec un luxe d'installations hydroponiques, où récupération d'eau et économies d'énergie sont mises en valeur.
François Mancebo, chercheur en aménagement, urbanisme et développement durable à Reims, met en garde contre ce verdissement subit de l'immobilier dans un article récent intitulé "le côté obscur de l'agriculture urbaine" (http://www.thenatureofcities.com/2016/04/08/confronting-the-dark-side-of-urban-agriculture/.)
"Ces jardins intégrés sur plans n'ont la plupart du temps pour objet que de faire accepter au voisinage des projets immobiliers très denses, dit-il à l'AFP. "Et au final ces installations ont un coût d'entretien très élevé".