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Affaire Pouvana'a a Oopa : l'avocate générale demande l'annulation de la condamnation


PARIS, le 5 juillet 2018. A Paris, la chambre criminelle de la Cour de cassation a examiné la condamnation de Pouvana'a a Oopa en 1959 à huit ans de prison et 15 ans d’exil. L’avocate générale a constaté l’existence de faits nouveaux et s’est prononcé pour l’annulation de la condamnation. La décision sera rendue le 25 octobre.

La salle d’audience de la Cour de cassation, située dans l’ancien palais de justice de Paris, a vécu un moment historique, ce jeudi matin. 58 ans après son procès, la cour de révision se penchait sur la condamnation de Pouvanaa a Oopa, alors député de la Polynésie française. Le 11 octobre 1958, Pouvana'a est arrêté à son domicile. On l’accuse d’avoir incité ses partisans à brûler la ville de Papeete et de détenir des armes et des munitions chez lui sans autorisation. Après une amnistie en 1969, la famille du metua avait engagé une première tentative de révision dans les années 1990, mais qui n’avait pas abouti. En 2014, c’est Christiane Taubira, alors garde des Sceaux, qui a lancé une nouvelle procédure. L’enjeu de la matinée était de déterminer si cette nouvelle instruction a permis de révéler des « faits nouveaux » qui n’étaient pas connus à l’époque et qui auraient été susceptibles de modifier le jugement.

Emmanuel Piwnica, avocat près la Cour de cassation, a défendu brillamment le cas de Pouvana'a a Oopa. « La République s’est installée en Polynésie, elle s’y trouvait bien », commence-t-il. Il retrace l’histoire entre Tahiti et la France, les « comportements de colon arrogant, méprisant, condescendant » et ce « stéréotype insupportable de l’exotisme traditionnel ». Puis il défend Pouvana'a, « dont j’ai l’honneur aujourd’hui de représenter la mémoire ». Pour lui, c’était un homme « qui représentait une autonomie légitime et le faisait selon les voies légales ».

Rudy Bambridge, adversaire politique de Pouvana'a était aussi l’avocat qui représentait les parties civiles lors du procès de Pouvana'a a Oopa. Maître Piwnica le qualifie comme « l’homme à tout faire de la République ». Lors du référendum pour approuver la Constitution de la Ve République en 1958, Pouvanaa appelle à voter non. Le climat est tendu. « Pour Paris, ces troubles, c’est une bénédiction pour éliminer un adversaire sérieux, convenable et qui risque d’emporter la conviction ».

Puis l’avocat met en pièces l’instruction de ce dossier judiciaire : la procédure était « à ce point inéquitable », le procès a eu lieu « selon des modalités bien étranges », des gendarmes n’ont « pas faire preuve de loyauté, c’est une évidence ». En résumé, c’était « une parodie de justice, une caricature de procès détestable, honteuse pour la justice, en un mot, indigne ».

Les procès qui remontent jusqu’à la cour de révision sont très rares. Mais là, il est « rare de trouver autant de faits nouveaux dans un procès en révision », constate-t-il. D’autant que ces éléments nouveaux ne sont « pas seulement de nature à créer un doute, mais bien au contraire la preuve de son innocence ».

Pour maître Piwnica, c’est clair : « Pouvana'a n’a jamais donné l’ordre de mettre le feu à la ville », son arrestation « était organisée par l’autorité avant même la date des faits qui lui sont reprochés », les pressions du gouverneur étaient « continuelles » et la partialité du président de la cour d’assises était « totale ». Bref, « cette condamnation n’est rien d’autres que le fruit d’une basse condamnation politique exécutée de manière servile. » Logiquement, il demande l’annulation de la condamnation de Pouvana'a « au nom de l’intérêt supérieur de la justice ».

C’était ensuite au tour de l’avocate générale de s’exprimer. Elle aussi constate que le procès ne s’est pas déroulé correctement, c’est une « évidence juridique ». Mais elle insiste : « Nous devons nous en tenir aux faits. » Elle relève les légèretés de l’instruction, par exemple à propos de la possession d’armes, de leur nombre, de leur catégorie : « Je ne sais objectivement pas répondre à ces questions. »

Si Pouvana'a s’est peu exprimé durant l’instruction à l’époque, l’avocate générale constate que « même si ses réponses sont souvent contradictoires sinon incompréhensibles », « on ne saurait raisonnablement dire qu’il a reconnu les faits ». A propos des « possibles intimidations » et des pressions policières, « en soi nous ne pouvons pas accepter qu’une justice soit rendue alors que le principe de violence est admis : ce seul fait crée le doute sur la culpabilité. »
Pour elle, le dossier révèle des éléments « de nature à permettre le doute sur la culpabilité de Pouvana'a a Oopa, à mon sens ». En conclusion, elle estime qu’il « existe des faits nouveaux » et conclut à l’annulation de la condamnation de 1959. La décision sera rendue le 25 octobre.



« De là-haut, grand-père doit être satisfait »

Sandro Stephenson, arrière-petit-fils de Pouvanaa a Oopa
« Je pense à notre famille, à tous ceux qui avaient initié une tentative de révision dans les années 1990. Je pense beaucoup à eux parce que c’était un objectif de toute une vie. On a grandi dans cet esprit de travailler à la révision. Ce n’est pas encore fini, il reste la décision finale mais mon grand-père était un homme de foi, un homme qui avait un grand respect envers la justice. Il s’est toujours battu pour la justice. Aujourd’hui, il a eu raison de nous inculquer cette image de confiance envers la justice. Ce n’est pas un combat, c’est 40 ans d’insistance. Dans un combat, il y a toujours un gagnant et un perdant. Là, tout le monde est gagnant, le pays est gagnant, l’Etat aussi. On est en train de remettre les choses en place. Je pense à grand-père. Je pense que de là-haut il doit être satisfait de ce qui s’est passé aujourd’hui. »


"A aucun moment Pouvana'a n’a donné quelque ordre que ce soit de mettre le feu à la ville"

Emmanuel Piwnica avocat près la cour de cassation
« C’était une mascarade de procès, une caricature, une parodie de justice. C’était un moyen de mettre à l’écart un opposant politique que l’on trouvait gênant et on a malheureusement utilisé l’autorité judiciaire pour ce faire. Tout cela est une véritable mascarade et n’a eu d’autre but qu’un combat politique. C’était la naissance de la Ve République. Pouvana'a faisait partie des gens que l’on considérait comme dangereux. Pourquoi ? Parce que c’était quelqu’un de raisonnable, quelqu’un de réaliste, quelqu’un de convenable, qui s’exprimait selon les voies de droit légales. Comme il était considéré comme dangereux, on a profité de troubles, que l’on a suscité, pour le mettre à l’écart en le mettant en prison. C’est une technique classique : on crée des troubles, on fait un peu d’émeute, on dit qu’on va mettre le feu à la ville. On va chez Pouvana'a. Comme par hasard on trouve des armes .
Heureusement, il y a eu une grâce, puis une amnistie et une première demande de révision. Maintenant, il y a cette nouvelle demande de révision, où les suppléments d’instruction ont établi qu’à aucun moment Pouvana'a n’a donné quelque ordre que ce soit de mettre le feu à la ville. C’est aujourd’hui établi.
Que va-t-il se passer si la condamnation est annulée ?
La loi prévoit que si les intéressés sont encore en vie, on peut refaire le procès. Si l’intéressé, et c’est le cas, est mort, la cour de révision constate qu’il n’est pas coupable et elle décharge sa mémoire. Dans ce cas, la condamnation sera annulée et la mémoire de Pouvana'a a Oopa sera déchargée de cette condamnation. Cela signifie qu’il est mort innocent.

« C’est la fin d’une injustice coloniale »

Moetai Brotherson, député (GDR)
« Je suis ému parce que Pouvanaa, ce n’est pas un inconnu pour moi, c’est un compagnon de lutte de mon grand-père maternel, Jacques Tauraa, fondateur du RDPT avec lui. C’est l’histoire qui rencontre la justice, enfin. Ça fait du bien et ça fait mal à la fois. C’est la fin d’une injustice coloniale, il faut le dire. C’est l’histoire coloniale qui est jugée aujourd’hui. C’est assez rare que l’avocat général aille dans ce sens-là directement. Il faut le souligner et il faut s’en féliciter. »

« Un grand moment d’émotion pour toute la Polynésie »

Maina Sage, députée (UDI)
« C’est un grand moment d’émotion pour toute la Polynésie. Les conclusions sont très favorables à l’annulation. Entre le fait et le droit, il y a des évidences qui sont démontrées aujourd’hui au nom de la mémoire de Pouvana'a et au nom aussi de la justice. C’est ce que je retiendrai, je pense que tout le monde sortira grandi de l’annulation de cette condamnation. Je garde en mémoire ses paroles à la fin de sa vie : la France est une grande nation, je sais qu’un jour elle me rendra justice. J’espère que la justice sera à la hauteur de cette attente. »

Rédigé par Serge Massau, à Paris le Jeudi 5 Juillet 2018 à 03:54 | Lu 6718 fois