Affaire Pouvana'a a Oopa : Enfin la vérité ?


La famille attend beaucoup de ce nouvel examen du dossier Pouvana'a. "C’est l’innocence de grand-père que l’on veut prouver", soulignait il y a quelques mois Sandro Stephenson, l’arrière-petit-fils du "metua".
PAPEETE, le 2 juillet 2018. La chambre criminelle de révision des condamnations pénales doit examiner ce jeudi à Paris l'affaire Pouvana'a a Oopa à l'aune des nouveaux éléments mis au jour par l'historien Jean-Marc Régnault. Si cette juridiction estime que la justice n'aurait pas condamné en 1959 le metua en ayant connaissance de ces faits, Pouvana'a ne serait alors plus reconnu d'avoir voulu provoquer l'incendie de Papeete en 1958.

"Si en 1959, jurés et magistrats avaient eu connaissance de ces faits nouveaux auraient-ils condamné Pouvana'a a Oopa?" C'est la question à laquelle la chambre criminelle de révision des condamnations pénales devra répondre après avoir examiné les nouveaux éléments mis au jour par Jean-Marc Regnault. L'historien a pu consulter les archives de l'époque qui ont été déclassés en 2012 par le président Nicolas Sarkozy.

Accusé d’avoir voulu provoquer l'incendie de Papeete en 1958 par fourniture de moyen, aide et assistance, détention d'armes à feu et de munitions sans autorisation, le député Pouvana'a avait été condamné en octobre 1959 à 36000 Fcfp d'amende, huit ans de prison et 15 ans d'exil puis déchu de son mandat de député en 1960. Il a clamé son innocence jusqu’à sa mort, en 1977.

Pour Jean-Marc Regnault, le procès Pouvana'a en 1959 fut dicté par la raison d’Etat alors que Paris avait pris la décision de déplacer le centre d’expérimentations nucléaires français d'Algérie en Polynésie. L'historien a exposé cette thèse dans l'ouvrage Pouvana’a et De Gaulle, la candeur et la grandeur.

Le référendum de 1958
Il revient notamment sur le contexte de l'époque et sur les enjeux du référendum du 28 septembre 1958. Charles de Gaulle demandait aux Français de ratifier le projet de Constitution, qui posait les fondements de la Cinquième République. Dans les colonies françaises, le référendum vise également à la création de la Communauté française. Pour les citoyens des TOM, la question qui était implicitement demandée lors de ce référendum était : "Voulez-vous rester Français?"


"Avant le référendum, les adversaires de Pouvana'a, forts, semble-t-il de l'appui que leur donnerait le nouveau gouvernement central, préparaient l'éviction de Pouvana'a et de son poste de vice-président. (…) Pour eux si le référendum était positif, il importait de préparer l'après référendum et de demander une réforme profonde de la loi cadre afin que désormais l'exécutif local ne fût plus entre les mains de Pouvana'a", note Jean-Marc Regnault dans son ouvrage.

Pouvana'a décide de prôner le "Non" pour le référendum. "Votez non afin qu'on nous respecte et qu'on s'occupe aussi de nous", pouvait-on lire sur un tract signé par Pouvana'a a Oopa. "Il n'est pas sûr que Pouvana'a avait pris conscience qu'en prônant le Non, il se heurterait à de Gaulle et s'engagerait dans un processus qu'il ne maîtriserait pas". Le 28 septembre 1958, la Polynésie vote "Oui" à 64 .42%.

La tension perdure
Au lendemain du référendum, l'atmosphère est tendue. "Les esprits s'échauffaient parce que les adversaires de Pouvana'a voulaient profiter de l'échec de celui-ci au référendum pour s'en débarrasser définitivement et parce que les amis du Metua ne pouvaient rester inertes face aux dangers possibles", écrit Jean-Marc Regnault.

Les autorités souhaitent écarter Pouvana'a a Oopa. "Il restera un élément d'autant plus dangereux qu'il est antifrançais et capable de tous les mensonges dans sa propagande", "écrit le capitaine Bouvet au lendemain du référendum. Le 7 octobre 1958, la réunion du Conseil de Cabinet se termine par ces phrases : "impossibilité de maintenir en place un Vice-président se comportant comme il le fait, mais […] il est impossible d’attendre le délai [légal]".

Incendie le 11 octobre 1958
Ecarté de ses fonctions de vice-président du gouvernement, Pouvana'a est poussé à la faute. Moins d'un mois après le référendum, le 11 octobre 1958, trois bouteilles d'essence entourées de chiffons imbibés d'essence, préalablement allumés, sont lancés dans la nuit dans la maison en bois du commandant de réserve et président de l'association des Français libres, demeurant Avenue du Commandant Chessé, à Papeete. L'une des bouteilles s'étant brisée sur une terrasse, a provoqué un début d'incendie sérieux. L'incendie a pu être maîtrisé avant qu'il ne s'étende.

Jean-Marc Regnault rappelle alors que "ce serait à 7h30 que le mandat d'amener fut délivré par le procureur". L'historien rappelle en effet avec justesse "qu'en tant que député, Pouvana'a jouissait de l'immunité parlementaire et que pour procéder à son arrestation, il fallait invoquer le flagrant délit. L'ordre d'incendier la ville et les rares tentatives lancées contre des biens servirent à justifier cette procédure".

Condamné à huit ans de réclusion criminelle (à accomplir en métropole) et quinze ans d’interdiction de séjour. Pendant son absence, le CEP s’installe. "L'éviction de Pouvana'a a-t-elle un rapport avec l'installation du Centre d'expérimentation du Pacifique?", s'interroge l'historien. Le dépouillement des archives militaires le suggère fortement. Dans un chapitre, il relève que le projet d'installations expérimentales en Polynésie était déjà envisagé.
Quelques jours avant l'ouverture du procès de Pouvan'a a Oopa en 1959, Jacques Soustelle, ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des DOM-TOM et … de l'énergie atomique, vient au fenua. "L'éviction de Pouvana'a doit aussi se lire dans l'optique de préparer la Polynésie à recevoir le CEP. Il ne fallait ni d'un leader susceptible de galvaniser les populations contre les essais, ni d'une autonomie qui aurait pu donner des appuis institutionnels à cette contestation", fait remarquer Jean-Marc Regnault.

Ce jeudi, la chambre criminelle de révision de la Cour de cassation regardera donc les faits d'octobre 1958 à la lueur des nouveaux éléments mis en évidence. "S'ils répondent 'non, ils ne l'auraient pas condamné', alors la Cour 'déchargera la mémoire du mort, selon la formule consacrée", note Jean-Marc Regnault dans le numéro 383 de Tahiti Pacifique. "Pouvana'a ne serait plus coupable des faits qui lui sont reprochés". Mais l'historien relève : "La prudence s'impose car il y a deux parties dans le dossier. La cour reconnaitra sans doute le fait établi de la raison d'Etat contre Pouvana'a. Ce serait une première victoire. Ensuite, il faudrait qu'elle reconnaisse que l'accusation d'avoir donné l'ordre d'incendier la ville était infondée. Si le dossier que nous avons construit est mal étayé aux yeux de la Cour, celle-ci pourra considérer que le député n'était pas 'obligé' de donner cet ordre. Il resterait alors à retravailler sur de nouveaux documents qui s'ouvriraient et apporter des faits nouveaux." Le jugement définit devrait être rendu d'ici quelques semaines après l'examen de ce jeudi.



Les dates à retenir

En février 2016, lors de sa visite officielle en Polynésie française, pour rendre hommage au metua le président François Hollande avait déposé une gerbe sur la tombe de Pouvana'a a Oopa avant de se recueillir un instant au cimetière de l'Uranie.
Octobre 1959 : procès de Pouvana'a qui est condamné à huit ans de réclusion et 15 ans d'interdiction de séjour
A partir de juillet 1961 : Pouvana'a assigné à résidence dans diverses maisons de retraites protestantes
23 février 1966 : remise du reste de la peine, mais interdiction de séjour en Polynésie fixée à 15 ans est maintenue et même étendue à l'ensemble des territoires français du Pacifique
8 novembre 1968 : grâce présidentielle qui met fin à l'interdiction de séjour dans le Pacifique
30 novembre 1968 : retour de Pouvan'a au fenua
Juillet 1969 : amnistie de la condamnation
26 septembre 1971 : Pouvana'a élu sénateur
10 janvier 1977 : décès de Pouvana'a
10 mai 1982 inauguration du buste de Pouvana'a, place Tarahoi
1986-1987 : création d'un comité de révision du procès de 1959
Octobre 1988 : les descendants de Pouvana'a déposent une requête en révision
18 novembre 1993 : la Cour de cassation rejette la requête en révision
3 février 2012 : le président de la République déclare ouvrir les archives concernant Pouvana'a
15 février 2013 : vœu de l'assemblée de la Polynésie française demandant la révision du procès (unanimité)
20 juin 2014 la garde des Sceaux saisit la commission de révision des condamnations pénales
22 février 2016 : le président de la République s'incline devant la tombe de Pouvana'a

Dates extraites de Pouvana'a et De Gaulle, la candeur et la grandeur de Jean-Marc Regnault


Rédigé par Mélanie Thomas le Lundi 2 Juillet 2018 à 17:00 | Lu 4700 fois