Aéroport : source de malentendus entre le Pays et l'Etat


FAA'A, jeudi 16 janvier 2014. Le Pays aimerait pouvoir disposer pleinement et entièrement de l’aéroport international de Tahiti Faa’a pour asseoir son développement économique, mais cet équipement majeur, seule porte d’entrée massive des visiteurs et des résidents en Polynésie française, n’est pas de sa compétence.

Le Pays peut-il obtenir un transfert de l’aéroport à son profit ? Le gouvernement de Gaston Flosse avant même d’arriver aux affaires manifestait son intérêt à prendre en mains cet outil. Cette semaine encore, l’aéroport de Faa’a a été le premier site visité par les ingénieurs chinois de la CCECC. Le Pays ambitionne de transformer cette plateforme en véritable aéroport de standing international. Problème : il n’en est ni propriétaire, ni gestionnaire. Le territoire a manqué le coche de ce transfert des mains de l’Etat vers le Pays en 2004 lors de l’adoption de la loi relative aux libertés et responsabilités locales.

Il s’agit, dans cette loi de décentralisation, de procéder au transfert, en 2007, de 150 aérodromes d’Etat aux collectivités locales. La loi insiste sur le fait que cela doit leur permettre d’être les moteurs de leur développement économique. Dans cette loi sont exclus, via un décret d’application publié en 2005, certains aéroports. Notamment les entrées aériennes des départements français d’outremer, qui restent -avec une dizaine d’autres aéroports internationaux de l’Hexagone- aux mains de l’Etat. En 2005, Tahiti Faa’a ne figure pas dans le décret qui fixe ces exclusions visant notamment en outremer, la Martinique, la Guadeloupe, La Réunion et la Guyane. Mais en Polynésie française, les personnalités politiques du Pays ne prendront vraiment la mesure du fait que l’aéroport de Faa’a vient de leur échapper qu’en 2010. L’aéroport inauguré en 1961 par l’Etat est géré quasiment depuis le début de l’exploitation par la Sétil par le biais d’une convention de 30 ans qui court jusqu’en 1996, renouvelée ensuite par des concessions temporaires. La Sétil devient une Société d’économie mixte locale en 2001 dont le capital est majoritairement territorial. La Polynésie française en tant que collectivité maîtrise alors la gestion de l’aéroport.

Les choses se corsent brutalement en 2010. Le 27 mars 2010, l’Etat signe avec le groupe Egis et sa filiale Aéroport de Tahiti (ADT) une convention de concession d’une durée de 30 ans pour le développement, l’exploitation et la maintenance de l’aéroport de Tahiti Faa’a. Elle prend effet le 1er avril 2010. Ce changement notable dans la prise en mains de l’aéroport n’est que le corollaire du protocole de partenariat signé en janvier 2010 par Gaston Tong Sang, alors président du Pays et Dominique Bussereau, secrétaire d’Etat en charge des transports sur «l’avenir de l’aéroport de Tahiti Faa’a». On y lit noir sur blanc que «l’Etat, autorité concédante de l’aéroport de Tahiti Faa’a exerce les missions régaliennes relatives à la sécurité de l’aviation civile et entend assumer ses responsabilités dans le développement de cette infrastructure». Cette fois, on l’a bien compris, l’aéroport est bel et bien un domaine public de l’Etat.

Les recours administratifs que tente en 2010 Oscar Temaru, alors président de l’assemblée et maire de Faa’a, n’arriveront pas à faire tomber la concession ADT. Début 2010, la situation de l’aéroport de Tahiti Faa’a est exposée à l’assemblée nationale par le biais d’une question d’un député PS de Seine Saint Denis, mandaté par l’UPLD. Marie-Luce Penchard, alors ministre de l’outremer, élude la question d’un possible transfert de l’aéroport de Faa’a au Pays en application de la loi de décentralisation de 2004. Selon elle ce texte ne s’applique pas en Polynésie française. Elle insiste même dans sa réponse : «Il n'existe pas de collectivités d'outre-mer qui ne bénéficient d'un aéroport géré sous la responsabilité de l'État. Ce principe élémentaire est la garantie de la continuité territoriale et de la solidarité nationale. Il n'y a aucune raison de faire exception à ce principe au détriment de la Polynésie». Deux Collectivités d’outre-mer à l’autonomie élargie bénéficient cependant sans complexe depuis 2007 de la propriété et de la gestion de leur aéroport : Saint-Martin et Saint-Barthélemy, deux îles antillaises, que la guadeloupéenne Marie-Luce Penchard connait bien !

Pourtant, le champ d’application de la loi de décentralisation de 2004 avait fait l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel. Les requérants –des députés socialistes- avançaient que les catégories de collectivités éligibles au transfert des aéroports d’Etat- n’étaient pas précisées. «Mais si le législateur n'a pas désigné les collectivités éligibles, c'est qu'il a fait le choix de ne pas restreindre a priori à une ou plusieurs catégories la possibilité de gérer ces infrastructures» indique un commentaire de décision publié dans Les Cahiers du Conseil constitutionnel.

En juillet 2013, l’ultime recours déposé par Oscar Temaru sur la concession ADT est rejeté par la Cour administrative d’appel de Paris. L’aéroport est un domaine public de l’Etat qui n’a pas l’intention de s’en séparer. Le Haut-commissariat avance que les investissements prévus sur la plateforme, 2,4 milliards de Fcfp notamment pour la réfection de la piste, montrent une volonté de ne pas s’en séparer. Mais pour le gouvernement local ces travaux ne vont ni assez loin, ni assez vite.


Trois questions à Marcel Tuihani, porte parole du gouvernement polynésien


L’aéroport est de compétence de l’Etat. En invitant les ingénieurs chinois de la CCECC à visiter ce site, le Pays ne marche-t-il pas sur les plates-bandes de l’Etat ?

Marcel Tuihani : Non pas du tout. Le Président de la Polynésie française a été transparent à ce sujet durant la campagne et jusqu’à aujourd’hui. Il a sollicité les autorités pour pouvoir bénéficier de la rétrocession au Pays de cet aéroport. D’ailleurs le Président de la République, M. François Hollande a indiqué durant la campagne des Présidentielles qu’il était favorable à ce transfert (…) L’aéroport doit être un outil pour le développement de la Polynésie française, nous considérons que son architecture ne permet pas le développement durable de notre Pays.

En quoi l’architecture de l’aéroport présente-t-elle un handicap pour le développement durable du Pays ?

Marcel Tuihani : Je vous invite à aller visiter les autres aéroports de configuration identique à la nôtre, pour des collectivités de 270 000 habitants. Vous constaterez que les infrastructures aéroportuaires sont de qualité nettement supérieure. La piste nécessite bien évidement des travaux de remise aux normes : je suis entièrement d’accord avec la démarche de l’Etat. Nous considérons que l’architecture actuelle ne permet pas le développement durable de la Polynésie.

En quoi une rétrocession remédierait-elle à cela ?

Marcel Tuihani : Cela nous permettrait, dans une démarche de partenariat Public-Privé de trouver des investisseurs afin de développer la zone aéroportuaire.

Rédigé par Mireille Loubet le Jeudi 16 Janvier 2014 à 17:44 | Lu 5125 fois