Adoption en Polynésie: Le « tamari’i fa’a’amu », entre rites et modernisation


La tradition polynésienne de l'adoption existait déjà bien avant l’arrivée des européens. Quelques cinq siècles plus tôt, les familles qui ne pouvaient pas assurer l’avenir de leur enfant, le confiaient en adoption « FA'A'AMU (faire manger) » à d’autres familles proches, puis aux amis. Ce phénomène était encore plus marquant dans les archipels, comme aux îles sous le vent où l’usage consistait à promettre un enfant avant sa naissance. Mais au fil du temps, les règles ont changé et les habitudes aussi. Les lois occidentales sont arrivées et se sont imposées à la tradition, ce qui a changé le comportement des uns et des autres.

Le « fa’a’amu » fait partie de la vie du polynésien depuis des siècles. Pour preuve, des récits mythologiques où l’on retrouve l’adoption d’un prince mi-homme, mi-dieu sur le mont Temehani, à Raiatea (îles sous-le-vent). Nombreuses sont les légendes qui mettent en avant ce côté spécifique du triangle polynésien. Au henua ‘enana, on raconte l’histoire d’un jeune guerrier de l’île de Ua Pou lequel aurait été adopté par une vieille dame nommée Taheta (d’autres disent qu’il s’agirait plutôt d’un grand-père). Une indication précieuse est donnée ici pour une compréhension générale du phénomène. On y parle « d’une grand-mère » et non pas de « sa grand-mère », ce qui revient donc à dire que le système tendait peu à peu vers une forme d’adoption plus élargie, dépassant le cercle des « feti’i » (famille). Les amis pouvaient, eux aussi, adopter.
Dans la vie quotidienne d’antan, il n’était pas rare qu’après une bataille, les enfants des vaincus étaient souvent adoptés par le clan des vainqueurs. Des témoignages de navigateurs, de missionnaires ou autres visiteurs relatent des scènes d’adoption auxquels ils ont assisté. Si le côté traditionnel restait obligatoire, il n’en n’était pas de même pour le côté affectif. Les enfants fraîchement adoptés n’étaient pas forcément acceptés par leurs nouvelles tribus. Même pour ceux qui étaient recueillis par les familles royales elles-mêmes. Heureusement, ce comportement restait exceptionnel et isolé. La tendance était plutôt vers un bon accueil et un amour égal à celui donné aux membres « de sang » d’une même famille. L’avenir et le nouveau mode vie allait mettre en avant une autre classe d’ « adoptant »…les étrangers.

Des raisons et des conséquences

Chaque année, des nouveaux enfants et donc, de nouvelles opportunités d’adoptions. Oui, sauf qu’entre les quelques 60 années qui nous séparent de 1950 à aujourd’hui, le comportement a évolué, changé…des deux côtés.
Une étude menée par un pédiatre et anthropologue, Jean Vital de Monléon donne quelques raisons qui ont poussé les « nouveaux polynésiens » (faisant référence à l’arrivée du CEP) et d’un nouveau de vie à redéfinir les conditions dans lesquelles un enfant était « donné » ou pas. A qui ? Et comment ?
La première raison est la coopération familiale. C’est l’aspect qui se rapproche le plus de la tradition : la famille reste prioritaire. Il suffit d’une demande émanant d’un couple âgé ou stérile et l’affaire pouvait être conclue.
Vient ensuite, l’alternative à la planification familiale. Des horaires de travail contraignant, un travail prenant ou une activité soutenue laissant peu, voire pas de place à un enfant. Autant de facteurs qui freinent la possibilité de s’en occuper, engendrant ainsi la nécessité de confier définitivement leur enfant entre « d’autres mains ».
La raison conjugale est une des « nouveautés » dans l’envie de faire adopter son enfant. C’est un phénomène récent qui traduit la modernisation de la population polynésienne. En effet, une mère célibataire voulant refaire sa vie se heurte parfois au comportement de son nouveau compagnon. Ce dernier ne voulant pas forcément prendre en charge l’enfant d’un autre. Il sera, généralement, confié à des proches.
Mais voilà, comme toute machine bien huilée, un petit grain de sable vient parfois perturber le système. Les belles promesses sont vite oubliées. Tandis que de nombreux enfants partent rejoindre leurs nouvelles familles, certains parents biologiques font machine arrière. Ils avaient promis, mais voilà qu’ils ont changé d'avis. Outre les aspects économique et traditionnel, l’affectif joue un rôle important. Il supplante parfois les deux autres, au grand damne de ces familles métropolitaines qui attendent depuis des années, pour certaines. Quelles en sont les raisons ? Un couple de Mahina s’est confié à Tahiti-Infos. Sous couvert d’anonymat, *Tania, 28 ans parle sans retenue d’un système qu’elle juge incompréhensible.

Tania : « j’ai changé d’avis au dernier moment »

Il arrive parfois que des promesses ne soient pas tenues. Non pas par manque de parole ou d’un moment de folie. Non, mais certaines mamans qui donnent naissance à leur dernier enfant se désistent et ne le donnent plus. Tania* fait partie de ces mamans dont les sentiments ont pris le dessus. Elle nous donne ses raisons :

Tahiti Infos : Tania, pourquoi vous êtes-vous désistée au dernier moment ?
Tania : Je sais que j’ai promis à ce couple breton que j’allais leur donner mon bébé alors que j’étais enceinte, mais je ne savais pas que ce serait dur de renoncer à son enfant.
Tahiti Infos : Que voulez-vous dire ?
Tania : Au début, j’étais d’accord et il était question que je prévienne le couple de la naissance du bébé. Pendant tous les mois de ma grossesse, je n’avais pas changé d’avis.
Tahiti Infos : Mais alors, que s’est-il passé ?
Tania : Comme je n’avais pas de garçon. J’avais déjà 3 filles et je m’étais dit que c’était bon et que je ne pouvais plus assumer un autre enfant. C’était un accident. Mais trois jours avant que je n’accouche, mon mari m’a dissuadé de donner notre bébé. J’avoue que je n’ai pas mis longtemps à être convaincue. Tu imagines, c’était notre premier garçon .
Tahiti Infos : mais aviez-vous entamé une procédure légale de DEAP (ndlr : Délégation de l’Exercice de l’Autorité Parentale) avec les futurs parents ?
Tania : Non, pas vraiment. Ce couple était venu en vacances et ils m’ont été présentés par une tante de Pa’ea. Mais, comme je vous le disais au début, j’étais d’accord, et puis j’ai changé d’avis.

Tahiti Infos : Avez-vous pensé au couple ?

Tania : Oui, je m’en veux. Il ne faut pas croire que c’était facile pour moi. Et en plus, je ne comprends pas la loi. Je la trouve injuste.
Tahiti Infos : Pourquoi ?
Tania : je n’y comprends rien. C’est trop difficile pour moi de comprendre tous les papiers à fournir et moi je trouvais tout cela très lourd. C’est cela aussi qui m’a un peu découragé à donner mon enfant. Mais c’est plutôt l’amour que j’avais développé pour le petit qui a été plus fort que tout.
Tahiti Infos : Et si aviez encore un autre enfant ?
Tania : (sourire) Non ! Hors de question. Ce serait trop et en plus, je ne travaille pas. Comment pourrais-je les nourrir ? Mais vous savez quoi ?
Tahiti Infos : non, dîtes-nous.
Tania : Je sais que ce j’ai fait est mal, mais est-ce que c’est mauvais d’aimer ?
Tahiti Infos : enfin, peut-être voulez-vous donner un conseil aux futures mamans ?
Tania : Oui (baisse le regard)…Je voudrais leur dire de réfléchir. Avant de promettre, évaluez tous les aspects qui peuvent intervenir dans votre décision finale. Ne faîtes pas comme moi ! Ne dîtes pas oui pour faire plaisir. A ce moment-là, dîtes seulement non ! Voilà. Réfléchissez car c’est ce qui m’a manqué.

Interview effectué par TP.
*nom d’emprunt


Quelle procédure administrative d’adoption choisir ?

Tout d’abord, à préciser que tout le monde peut adopter. Célibataire ou couple sans enfants. La direction des affaires sociales est le partenaire pour tous ceux qui désirent adopter. Son rôle consiste à accompagner et de soutenir les parents biologiques dans toutes les démarches administratives. Son intervention permet également de rassurer, d’un point de vue légal, les candidats à l’adoption.

En Polynésie, le « fa’a’amu » entre proche de même famille, se distingue de l’adoption « pure » en faveur de futurs parents venant de l’étranger. En effet, l’adoption d’un enfant au sein d’une même famille se fait sans procédure. En contrepartie, les parents biologiques participent aux frais divers (nourriture, vêtements, frais scolaires).
En revanche, pour la seconde option, il existe là aussi des différences à prendre en compte. Pour un enfant de moins de 2 ans, une procédure de Délégation de l’Exercice de l’Autorité Parentale doit être engagée auprès du tribunal lequel saisira les Affaires sociales qui fera des enquêtes « sociales ». Aux deux ans de l’enfant, les parents adoptifs pourront entamer les démarches pour recueillir le consentement à l’adoption des parents de naissance, en vue d’obtenir un jugement d’adoption (simple ou plénière).
L’adoption simple permet à l’enfant de conserver sers droits de succession de ses parents d’origine. Il bénéficie également des mêmes droits de succession que les enfants biologiques des adoptants. Le nom des parents adoptifs s’ajoute à celui de l’enfant. De plus, il ne perd pas le contact avec sa famille d’origine.
Pour l’adoption plénière, les liens juridiques avec la famille d’origine disparaissent de plein droit. Dans sa famille d’origine, l’enfant a les mêmes droits qu’un enfant biologique. La règle la plus stricte dans ce deuxième cas est que ce type d’adoption est irrévocable. Le lien d’affiliation ne peut être remis en cause par quelque motif que ce soit.

Rédigé par TP le Lundi 7 Janvier 2013 à 17:06 | Lu 69395 fois