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Accaparement des terres: en France aussi?


PARIS, 28 mai 2014 (AFP) - Investisseurs chinois, russes, fonds de pension: de plus en plus de terres agricoles passent aux mains d'investisseurs et échappent aux agriculteurs français, faisant courir un risque pour la souveraineté alimentaire, s'alarment les Safer.

Les exemples ne manquent pas, selon l'autorité de régulation du foncier rural. L'arrivée des Chinois dans le Bordelais est le plus connu.

En trois ans, ils ont racheté 96 châteaux sur les 7.000 que compte le vignoble. Et de nombreux négociants en vin, français ou étrangers, se placent sur les vignobles pour assurer leurs approvisionnements en vin ou en raisin, relève Robert Levesque, directeur de Terres d'Europe Scafr, lors d'une conférence de presse.

Mais il n'y a pas que les bonnes bouteilles françaises qui suscitent la convoitise. Fin 2013, un fonds de pension belge a acquis 250 hectares de grandes cultures type blé ou betterave, à cheval sur le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie.

"On sait également que des Chinois s'intéressent à des terres arables puisqu'on a eu récemment un candidat pour une rétrocession Safer de 300 hectares", énumère Robert Levesque.

Dans l'élevage laitier, le projet très controversé de ferme géante des "Mille vaches" dans la Somme --qui oppose les défenseurs d'une agriculture industrielle à ceux prônant un modèle paysan et à taille humaine -- est mené par un entrepreneur du BTP. "Il a réussi à contrôler plusieurs exploitations sous forme de parts sociales et à comptabiliser un quota (de production) de 8,5 millions de litres de lait", explique Robert Levesque.

"La France fait partie des rares pays où il y a une stabilité de production, avec un régime politique, jusqu'à aujourd'hui, stable, ce qui fait que des investisseurs regardent avec intérêt", analyse Emmanuel Hyest, président de la Fédération nationale des Safer (Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural).

- L'exemple de la Roumanie -

Le problème est double pour lui. Ces investisseurs ne se contentent pas d'acquérir les terres et de les louer, ils les exploitent pour leur propre compte.

Cela menace l'agriculture familiale, et "l'autonomie alimentaire de notre pays" car il est bien possible, qu'un jour, ces investisseurs décident d'alimenter l'étranger avec les ressources agricoles françaises plutôt que d'approvisionner en priorité la France, s'inquiète Emmanuel Hyest.

Sur des projets franco-français comme la ferme des 1.000 vaches, ce n'est pas la taille de l'exploitation qui est problématique pour les Safer mais "le fait que ce soit un modèle financier" et pas un ou des agriculteurs derrière le projet.

Et le sujet est d'autant plus épineux que les Safer, censées être les garantes de la bonne répartition des terres agricoles françaises, n'ont aucun pouvoir d'intervention sur ces opérations financières.

Car ces transactions se font par transferts de parts sociales, en toute discrétion et les acquéreurs n'ont "pas besoin de demander des droits pour exploiter puisque on achète les parts sociales d'une société qui est déjà en exploitation".

Il y a donc pour Emmanuel Hyest un problème de "contrôle" et de "transparence". Ainsi, il demande que ces transferts soient déclarés, un peu comme pour les actionnaires des sociétés cotées qui sont obligés de déclarer à l'Autorité des marchés financiers (AMF) les franchissements de seuils dans leurs prises de participation.

Cela permettrait, le cas échéant, "des interventions appropriées" des Safer qui peuvent faire valoir un droit de préemption.

Elles réclament donc une modification de la loi d'avenir de l'agriculture, qui doit repasser dans les semaines qui viennent devant l'Assemblée nationale, après avoir été adoptée par le Sénat.

En première lecture, les parlementaires ont autorisé les Safer à faire valoir leur droit de préemption sur un transfert de 100% de parts sociales. Mais elles souhaiteraient pouvoir le faire à partir du moment où une majorité de parts changent de main (soit 51%).

"On parle d'accaparement des terres au niveau mondial mais le phénomène concerne un certain nombre de zones à l'intérieur même de l'Europe", met en garde Robert Levesque.

En Roumanie par exemple, trois exploitations comptent plus de 50.000 hectares et certaines sont détenues en partie par des capitaux américains ou des États du Golfe, relève-t-il.

san/ih/pad

Rédigé par () le Mercredi 28 Mai 2014 à 05:38 | Lu 997 fois