JEFF PACHOUD / AFP
Paris, France | AFP | lundi 14/10/2024 - Des évêques redoutant le scandale, un abbé Pierre "grand malade" et échappant à tout contrôle: les archives de l'Eglise dévoilent comment, à la fin des années 1950, la hiérarchie épiscopale a gardé le silence sur un comportement jugé "problématique" mais jamais nommé.
C'est un dossier cartonné de quelques centimètres d'épaisseur que chercheurs et journalistes peuvent consulter au siège des archives de l’Église catholique, à Issy-les-Moulineaux, près de Paris.
Devant l'émotion provoquée par les révélations d'agressions sexuelles commises par l'abbé Pierre, la Conférence des évêques de France (CEF) a ouvert mi-septembre l'accès aux documents, sans attendre le délai de 75 ans après sa mort en 2007.
Les 216 pièces du dossier, mêlant courriers dactylographiés et lettres manuscrites, complètent ce que le président de la CEF Eric de Moulins-Beaufort affirmait le 16 septembre: "Quelques évêques au moins" étaient au courant "dès 1955-1957" du "comportement grave" de l'abbé Pierre "à l'égard des femmes".
Nulle part toutefois, dans ces archives, la nature exacte des actes n'est précisée. Les courriers parlent d'"accidents", de "misères morales", de "faits répréhensibles", "d'état anormal"...
Difficile de comprendre si ces périphrases cachent des liaisons consenties, mais proscrites par l'Eglise, ou des agressions sexuelles, comme l'en accusent une vingtaine de femmes, dont certaines mineures au moment des faits.
Le document le plus explicite, une lettre du 13 novembre 1964 émanant peut-être du secrétaire général de l'épiscopat, résume l'affaire en parlant de "grand malade mental" faisant l'objet de "perte de tout contrôle de soi, notamment après des livres à succès" et assure que "de jeunes filles en ont été marquées pour la vie".
L'abbé Pierre, de son vrai nom Henri Grouès, a agi "sans qu'il soit possible de le prendre en flagrant délit", ajoute ce document photocopié et quasi-illisible.
- "Inquiétude" -
Depuis les révélations du cabinet Egaé cet été, la question du silence des institutions est centrale.
Dans le dossier apparaissent les directeurs successifs du secrétariat de l'épiscopat: Jean-Marie Villot (1950-1960), Julien Gouet (1960-1966), ainsi que plusieurs évêques, notamment celui de Grenoble, André-Jacques Fougerat, dont dépendait l'abbé Pierre.
Certains ont bien conscience de l'enjeu: "Il ne faut pas se dissimuler que tout cela pourra un jour ou l’autre être connu et que l’opinion serait bien surprise alors de voir que la hiérarchie catholique a maintenu sa confiance à l’abbé Pierre", écrit Jean-Marie Villot au cardinal Pierre Gerlier, archevêque de Lyon, en janvier 1958.
Car la crainte du scandale est récurrente, doublée d'une inquiétude face à l'envergure médiatique de l'abbé Pierre, résistant pendant la guerre, élu député de Meurthe-et-Moselle à la Libération, et auréolé de son action pour les sans-logis pendant l'hiver 1954.
En mars 1958, l'Assemblée des cardinaux et archevêques (ACA) fait part de "son inquiétude de voir tant de journalistes l'approcher". "Est-il opportun que sa personne soit ainsi étalée, grandie ?", s'interroge en 1959 l'évêque de Besançon, incrédule.
Emmaüs, fondé par l'abbé Pierre, apparaît pour sa part profondément divisé.
Un administrateur de l'association, Pierre Join-Lambert, expose en juin 1959 son "inquiétude" de voir l’abbé reçu par le général de Gaulle.
"Tous les chantages possibles sont à prévoir", explique-t-il, en relatant une assemblée générale d'Emmaüs où "certains ont protesté contre sa présence", réunion émaillée "d'incidents très pénibles avec pleurs".
- "Traitement de choc" -
Le dossier dépeint aussi un homme "dont les entreprises échappent totalement au contrôle de la hiérarchie" (mars 1958), qui "tente d'échapper à la discipline médicale" (août 1958).
Henri Grouès a été interné fin 1957 dans une clinique psychiatrique près de Genève (Suisse) où il a subi "un traitement de choc".
Préoccupé par sa sortie, le secrétaire général adjoint de l'épiscopat réfléchit, si l'abbé est "inguérissable", à lui trouver "une clinique ou un asile qui l'abrite jusqu'à la fin de ses jours"; ou s'il guérit à l'orienter "vers un ministère de dévouement silencieux, au sein d’un pays sous-alimenté, dans un hôpital de brousse, dans un village de lépreux".
L'abbé finit par sortir de clinique en 1958. Malgré les inquiétudes en interne sur sa reprise d'activité, il prévoit des voyages au Liban, en Inde...
Au fil des ans, diverses "limites" lui sont opposées: surveillance par un accompagnateur ("socius"), interdiction de confesser, de prendre la parole en public...
Jusqu'où l'information s'est-elle alors diffusée ? Le pape François a affirmé mi-septembre que le Vatican était au courant, au moins depuis sa mort en 2007, des accusations de violences sexuelles.
En janvier 1959, pourtant, la nonciature apostolique écrit à Jean-Marie Villot pour faire passer le message que "le Saint-Siège ordonne à M. l’Abbé Pierre de suspendre immédiatement le voyage qu’il a l'intention d’effectuer au Canada".
D'autres documents existent aussi au diocèse de Grenoble, qui a lui aussi ouvert ses archives.
Deux lettres font également état d'un "dossier" entre les mains du parti communiste. Interrogé par l'AFP, le PCF assure "ne pas en avoir trace": "On a cherché partout, on n'a rien trouvé".
C'est un dossier cartonné de quelques centimètres d'épaisseur que chercheurs et journalistes peuvent consulter au siège des archives de l’Église catholique, à Issy-les-Moulineaux, près de Paris.
Devant l'émotion provoquée par les révélations d'agressions sexuelles commises par l'abbé Pierre, la Conférence des évêques de France (CEF) a ouvert mi-septembre l'accès aux documents, sans attendre le délai de 75 ans après sa mort en 2007.
Les 216 pièces du dossier, mêlant courriers dactylographiés et lettres manuscrites, complètent ce que le président de la CEF Eric de Moulins-Beaufort affirmait le 16 septembre: "Quelques évêques au moins" étaient au courant "dès 1955-1957" du "comportement grave" de l'abbé Pierre "à l'égard des femmes".
Nulle part toutefois, dans ces archives, la nature exacte des actes n'est précisée. Les courriers parlent d'"accidents", de "misères morales", de "faits répréhensibles", "d'état anormal"...
Difficile de comprendre si ces périphrases cachent des liaisons consenties, mais proscrites par l'Eglise, ou des agressions sexuelles, comme l'en accusent une vingtaine de femmes, dont certaines mineures au moment des faits.
Le document le plus explicite, une lettre du 13 novembre 1964 émanant peut-être du secrétaire général de l'épiscopat, résume l'affaire en parlant de "grand malade mental" faisant l'objet de "perte de tout contrôle de soi, notamment après des livres à succès" et assure que "de jeunes filles en ont été marquées pour la vie".
L'abbé Pierre, de son vrai nom Henri Grouès, a agi "sans qu'il soit possible de le prendre en flagrant délit", ajoute ce document photocopié et quasi-illisible.
- "Inquiétude" -
Depuis les révélations du cabinet Egaé cet été, la question du silence des institutions est centrale.
Dans le dossier apparaissent les directeurs successifs du secrétariat de l'épiscopat: Jean-Marie Villot (1950-1960), Julien Gouet (1960-1966), ainsi que plusieurs évêques, notamment celui de Grenoble, André-Jacques Fougerat, dont dépendait l'abbé Pierre.
Certains ont bien conscience de l'enjeu: "Il ne faut pas se dissimuler que tout cela pourra un jour ou l’autre être connu et que l’opinion serait bien surprise alors de voir que la hiérarchie catholique a maintenu sa confiance à l’abbé Pierre", écrit Jean-Marie Villot au cardinal Pierre Gerlier, archevêque de Lyon, en janvier 1958.
Car la crainte du scandale est récurrente, doublée d'une inquiétude face à l'envergure médiatique de l'abbé Pierre, résistant pendant la guerre, élu député de Meurthe-et-Moselle à la Libération, et auréolé de son action pour les sans-logis pendant l'hiver 1954.
En mars 1958, l'Assemblée des cardinaux et archevêques (ACA) fait part de "son inquiétude de voir tant de journalistes l'approcher". "Est-il opportun que sa personne soit ainsi étalée, grandie ?", s'interroge en 1959 l'évêque de Besançon, incrédule.
Emmaüs, fondé par l'abbé Pierre, apparaît pour sa part profondément divisé.
Un administrateur de l'association, Pierre Join-Lambert, expose en juin 1959 son "inquiétude" de voir l’abbé reçu par le général de Gaulle.
"Tous les chantages possibles sont à prévoir", explique-t-il, en relatant une assemblée générale d'Emmaüs où "certains ont protesté contre sa présence", réunion émaillée "d'incidents très pénibles avec pleurs".
- "Traitement de choc" -
Le dossier dépeint aussi un homme "dont les entreprises échappent totalement au contrôle de la hiérarchie" (mars 1958), qui "tente d'échapper à la discipline médicale" (août 1958).
Henri Grouès a été interné fin 1957 dans une clinique psychiatrique près de Genève (Suisse) où il a subi "un traitement de choc".
Préoccupé par sa sortie, le secrétaire général adjoint de l'épiscopat réfléchit, si l'abbé est "inguérissable", à lui trouver "une clinique ou un asile qui l'abrite jusqu'à la fin de ses jours"; ou s'il guérit à l'orienter "vers un ministère de dévouement silencieux, au sein d’un pays sous-alimenté, dans un hôpital de brousse, dans un village de lépreux".
L'abbé finit par sortir de clinique en 1958. Malgré les inquiétudes en interne sur sa reprise d'activité, il prévoit des voyages au Liban, en Inde...
Au fil des ans, diverses "limites" lui sont opposées: surveillance par un accompagnateur ("socius"), interdiction de confesser, de prendre la parole en public...
Jusqu'où l'information s'est-elle alors diffusée ? Le pape François a affirmé mi-septembre que le Vatican était au courant, au moins depuis sa mort en 2007, des accusations de violences sexuelles.
En janvier 1959, pourtant, la nonciature apostolique écrit à Jean-Marie Villot pour faire passer le message que "le Saint-Siège ordonne à M. l’Abbé Pierre de suspendre immédiatement le voyage qu’il a l'intention d’effectuer au Canada".
D'autres documents existent aussi au diocèse de Grenoble, qui a lui aussi ouvert ses archives.
Deux lettres font également état d'un "dossier" entre les mains du parti communiste. Interrogé par l'AFP, le PCF assure "ne pas en avoir trace": "On a cherché partout, on n'a rien trouvé".