A la chasse aux pêcheurs illégaux à bord d'un bateau de guerre


Le Prairial a contrôlé plusieurs pêcheurs coréens en envoyant une équipe de visite à bord.
PAPEETE, le 26 novembre 2018 - Nos ressources marines sont-elles pillées par les pêcheurs asiatiques ? Beaucoup de Polynésiens en sont persuadés, alors même que les autorités affirment que pas un seul poisson polynésien n'est capturé par des bateaux étrangers. Pour le vérifier, un journaliste de Tahiti Infos s'est embarqué pendant 10 jours sur la frégate Prairial pour une mission de police des pêches. Voici le récit de ce que nous avons vu.

En Polynésie, nous sommes nombreux à être persuadés que les bateaux de pêche étrangers se servent dans notre zone économique exclusive (ZEE) comme dans un buffet à volonté. Nos pêcheurs voient des navires chinois croiser au large de nos îles. Les associations de protection de l'environnement publient des photos de cales de navires taiwanais ou coréens en escale à Papeete, pleins à ras-bord de thons, d'espadons, de mahi mahi, et crient au vol organisé de nos ressources...

Pourtant, les autorités affirment que la surveillance de notre espace maritime est sans failles et que pas un seul navire étranger n'oserait braver l'autorité française dans la ZEE polynésienne. Un message qui peine à être entendu. Même Tahiti Infos exprimait ses doutes sur l'efficacité de ces contrôles dans un article publié en 2017 à partir de données collectées par un organisme international...

L'équipe de visite, lourdement armée, agit comme un gendarme de la pêche. Elle contrôle les papiers des bateaux de pêche, mais surtout leurs cargaisons. Une fois à bord, les militaires s'assurent de la coopération de l'équipage pendant qu'un officier spécialement formé et assermenté conduit l'inspection.
Pour avoir un témoin neutre et objectif, la Marine nationale a donc accepté d'embarquer un journaliste pendant 10 jours sur la frégate de surveillance Prairial, à l'occasion d'une mission de police des pêches. Le bâtiment de guerre partait de Papeete le 16 novembre dernier, pour ratisser tout notre bout d'océan entre Tahiti et la limite nord de notre ZEE, aux Marquises, où nous avons quitté le navire le 25 novembre. À bord, nous avions un accès total à tout l'équipage, à toutes les zones non restreintes pour raison de sécurité ou de secret défense, et surtout à la passerelle de navigation. Nous avons aussi pu visiter, accompagnés, les zones restreintes du navire comme les salles des machines, le canon de 100 millimètres ou le Central Opérations, la salle de commandement opérationnelle (plus de détails sur la vie à bord, des portraits de l'équipage polynésien et les capacités militaires du Prairial dans une série d'articles qui sera publiée dans les jours qui viennent).

LE DÉSERT DE NOTRE ZEE


Cet hélicoptère Alouette III part en reconnaissance jusqu'à 40 miles nautique du Prairial, étendant considérablement la zone surveillée.
Le Prairial est spécifiquement conçu comme un navire de surveillance et de reconnaissance. Il est bardé de technologies militaires de détection navale. Le bâtiment est équipé d'un radar de veille air-surface DRBV 21 Mars, de radars de navigation et d'appontage, d'un intercepteur d'émissions VHF marines, d'un système d'identification ami/ennemi IFF MK 10, d'un sondeur Furuno FE 808 qui mesure la profondeur sous le bateau jusqu'à 1200 mètres de fond, d'un hélicoptère Alouette III qui peut voler en pleine mer jusqu'à 40 miles nautiques (74 kilomètres) du bateau, de moyens de communication avancés dont une liaison avec les satellites de surveillance, d'une équipe de visite de 12 personnes avec plusieurs commandos de marine... Et assez de puissance de feu pour réduire un bateau ennemi à l'état de débris flottants.

Autant dire que pas un seul bateau sur le trajet n'a échappé au regard de cette frégate de surveillance. Et pourtant, durant les trois jours de mer qui nous ont conduits de Papeete aux Marquises, nous n'avons pas croisé un seul bateau de pêche étranger. Une observation qui confirmait les données satellite et la surveillance aéronautique traitées à Papeete depuis le Centre de Conduite des Opérations Maritimes (CCOM).

La mission du Prairial s'est donc poursuivie en dehors de la ZEE polynésienne, jusque dans les eaux internationales. Aussi loin au large, les lois françaises ne sont plus applicables, mais ce n'est pas une zone totalement déréglementée, en particulier pour la pêche. Des traités internationaux imposent la protection de certaines espèces (comme les cétacés et certains requins) et le respect des quotas de pêche négociés entre tous les états du Pacifique, signataires de la Western and Central Pacific Fisheries Commission (WCPFC, ou Commission des pêches pour le Pacifique occidental et central, une organisation créée pour préserver et gérer le thon et d’autres stocks de poissons migrateurs dans notre océan).

DES CONTRÔLES DANS LES EAUX INTERNATIONALES

Dès que le Prairial est arrivé hors de notre ZEE, le désert s'est transformé en zone de pêche intense. Pas moins de neuf palangriers travaillaient le long de notre frontière économique à l'Est des Marquises. La nuit, depuis la passerelle, l'horizon jusqu'ici totalement noir s'est retrouvé illuminé par les flashs des feux de navigation des bateaux de pêche et par les feux de position de dizaines de bouées. Ces bouées servent à accrocher des palangres, des milliers d'hameçons suspendus pour capturer les pélagiques de passage dans les eaux très poissonneuses de la "tuna belt", particulièrement riches près des Marquises. Pour l'officier de quart de nuit, la tension avait sérieusement augmenté. Il fallait rester vigilant pour éviter d'emmêler les deux hélices du Prairial dans des lignes de pêche.

C'était également l'occasion d'observer les mouvements de ces bateaux de pêche industrielle, qui restent plusieurs années en mer. Une fois leurs palangres lâchées sur plusieurs kilomètres, ils reviennent sur leurs pas et récupèrent leurs lignes en un aller-retour impossible à confondre avec le comportement d'un bateau en transit (par exemple quand ces navires viennent à quai à Papeete pour un carénage et une escale bien méritée après des mois sans voir la terre). Ces bateaux ont l'obligation d'émettre leurs positions en continu avec des balises AIS et VMS, ce qui permet de surveiller en direct ces va-et-vient. Couper ces balises, en particulier avant d'entrer dans notre ZEE (s'il leur venait à l'idée de se livrer à une pêche illégale dans nos eaux), serait une très mauvaise idée pour le capitaine : leur position est suivie en permanence par le CCOM de Papeete, et leur disparition des cartes provoquerait l'envoi immédiat d'un avion en reconnaissance, au cas où le navire serait en difficulté. S'il est alors vu en train de pêcher, il s'expose à des amendes particulièrement salées et même à la saisie du bateau. Un dispositif de surveillance très solide, qui expliquerait qu'aucun cas de pêche illégale n'a été constaté dans notre ZEE depuis... 2007.

Les canons de 20 millimètres sont mis en service pendant les visites, avant tout pour leur effet dissuasif.
Malgré tout, ils peuvent toujours pêcher dans les eaux internationales, et ils ne s'en privent pas. Mais si la zone est internationale, la France est la puissance maritime chargée d'y faire respecter les traités de pêche. Donc, quand le prairial est arrivé sur zone, pendant la journée, des "opérations de visite" ont commencé. Pour ce faire, les bateaux de pêche ont d'abord été survolés par l'hélicoptère, interrogés par radio, puis ils ont été inspectés par une équipe spécialement formée pour cela. Pour ces visites, les mitraillettes 12.7 millimètres sont installées et les canons 20 millimètres sont découverts de façon bien visible, de quoi assurer une bonne coopération des équipages contrôlés. Une fois le contact établi, deux Zodiak sont mis à l'eau pour transporter une équipe de 12 personnes, avec leurs armes automatiques en bandoulières et leurs gilets pare-balles. Autant dire que les bateaux de pêche (coréens, en l'occurrence), n'ont pas opposé la moindre résistance à l'inspection de leurs navires. Dans cette équipe de visite, un officier spécialement formé à l'aspect réglementaire et assermenté par l'État français était chargé de vérifier les papiers des bateaux contrôlés, leurs licences de pêche et leur cargaison. En trois jours d'opération sur zone, cinq procès-verbaux pour des infractions administratives ont été dressés, à charge du pays du pavillon d'infliger des amendes, voire suspendre les autorisations de naviguer des contrevenants. Malgré tout, ces bateaux respectaient tous les quotas de pêche de la WCPFC et la liste des espèces protégées.

Après neuf jours de mission, nous avons donc quitté le Prairial lors d'une escale à Nuku Hiva, avec une vision très différente du travail effectué par la Marine nationale pour protéger notre ZEE. Une telle débauche de moyens militaires pour contrôler quelques dizaines de bateaux de pêche peut sembler excessive. Mais après chaque visite, la profusion de discussions VHF entre les différents bateaux de la zone et au-delà – des conversations facilement interceptées par les appareils de surveillance de la frégate et que nous écoutions en passerelle – prouvent que ces opérations de Police des pêches réussissent à instiller un sain respect de la ZEE polynésienne parmi les pêcheurs qui se rapprochent de nos eaux... Ces opérations sont menées tout au long de l'année par les cinq bâtiments militaires français basés en Polynésie.

Capitaine de frégate Sylvain Faya, commandant du Prairial

Nous sommes en opération de Police des pêches, pourquoi sommes-nous sortis de la ZEE alors que les Polynésiens accusent les pêcheurs étrangers de venir se servir dans nos eaux ?
Effectivement, les gens qui ne connaissent pas notre mission et qui regardent juste par leur fenêtre depuis Tahiti ont l'impression qu'il y a beaucoup de bateaux dans la zone économique exclusive de la Polynésie, parce qu'il y a, de temps en temps, des bateaux asiatiques qui viennent en carénage à Tahiti. Mais le but de la présence d'un journaliste à bord, c'est d'être témoin du fait que la ZEE est déserte, alors même que nous sommes dans une zone très intéressante du point de vue de la pêche. Autour des Marquises il y a ce qu'on appelle la "Tuna Belt" qui regorge de thons, et les eaux marquisiennes sont encore plus riches. Pourtant, vous le voyez, si les bateaux de pêche étrangers se rapprochent de la ZEE, pas un seul n'ose y pénétrer pour pêcher.



Gordon Falchetto, conseiller municipal de Nuku Hiva

Pourquoi est-ce important pour vous que ces missions de police des pêches soient organisées ?
Pour nous, les Marquisiens, c'est vraiment important d'avoir plus d'informations. Tu as pu voir ces patrouilles, ces inspections de bateaux coréens, on veut connaitre ces éléments. Nous sommes nombreux à penser que ces bateaux chinois, coréens, japonais sont en train de pêcher dans notre zone. Les Marquisiens pensent qu'ils sont en train de piller nos poissons. Mais là, vous êtes partis à l'est des îles Marquises et nous sommes vraiment contents qu'ils y soient allés. Il faut le publier, c'est très important pour nous de savoir que c'est surveillé. Aujourd'hui c'est connu dans tout le Pacifique et à travers le monde qu'ici, aux Marquises, c'est poissonneux. Même à Tahiti il n'y a plus de poissons, les thoniers polynésiens sont déjà en train de venir chez nous, c'est pour ça qu'on a un peu peur. S'il y a déjà les thoniers asiatiques, et avec les thoniers tahitiens en plus... Après chez nous, pour nos petits-enfants, il n'y aura plus de poissons. Ils iront chercher des sardines au magasin ! Donc merci beaucoup au commandant de surveiller notre zone !

Nous avons quitté le Prairial lors de son escale à Nuku Hiva. Le navire repart en mer ce mardi poursuivre sa mission...

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Lundi 26 Novembre 2018 à 18:29 | Lu 6306 fois