À la Somac de Titioro, les employés “n’y comprennent rien”


En avril 2024, les employés de la SOMAC Titioro ont appris l'expulsion prochaine de leur entreprise. Crédit : Tom Larcher
Tahiti, le 12 juin 2024 - Avril 2024, la Somac se voit obligée par la justice de quitter son terrain historique à Titioro sous quatre mois, ce qui condamne l’entreprise à cesser ses activités commerciales passé cette échéance. Mi-avril, la nouvelle a stupéfait la centaine d’employés qui y travaillent, n’ayant pas été prévenus en amont. Deux mois plus tard, malgré les courbettes du P-dg “Quito” Braun-Ortega affirmant mettre en place la “première caisse chômage de Polynésie”, les employés grognent, aveuglés par ce manque de communication qui perdure.
 
Ce mercredi à la Somac Titioro, dans un conteneur où les employés savourent un court instant d’une pause bien méritée, beaucoup de questions restent sans réponse. “Jusqu’à quand va-t-on pouvoir travailler ?” ; “Fin juillet ou fin août ?” ; “Pourquoi est-ce qu’ils embauchent des gens, si l’entreprise va fermer ?” ; “D’ailleurs, l’entreprise est-elle vraiment condamnée ?” ; “C’est quoi, cette annonce de recherche de terrain par notre patron dans les journaux ?”
 
Tant de questions, qui découlent d’un fait d’actualité datant d’août dernier : la Somac, entreprise installée depuis près de 40 ans sur son site de Titioro, a été sommée de quitter les lieux à cause d’un litige avec le propriétaire du terrain, MCF, qui s’est terminé devant la justice. Ledit propriétaire demandait, en 2020, une augmentation du loyer de 50 000 francs par mois, chose que la Somac a promptement refusée. Le 28 mars 2024, la cour d’appel de Papeete a rendu son jugement : l’expulsion sous quatre mois de la Somac avec astreinte de 100 000 francs par jour de retard ainsi que le paiement d’une indemnité d’occupation à MCF.
 
Une situation jusque-là inconnue des employés
 
Une décision étourdissante pour la centaine d’employés du site, qui n’étaient au courant ni du litige avec le propriétaire du terrain, ni de cette fermeture imminente lors du jugement. L’annonce présage pourtant une hécatombe d’emplois, que “Quito” Braun-Ortega, P-dg de la Somac Titioro, n’a pas l’air déterminé à éviter selon le témoignage des employés. L’homme crée tout de même une “caisse chômage”, “dont il n’a pas arrêté de vanter qu’elle était la première de Polynésie”, rit jaune l’un des hommes en gilet réfléchissant. Une caisse destinée à accompagner les employés dans cette perte d’emploi, qui les gratifiera de l’équivalent d’un Smig par mois pendant une année sur présentation de justificatif de recherche d’emploi Sefi. Bémol, les versements prendront lieu “45-60 jours après la perte effective et involontaire d’emploi”, peut-on lire dans une note de service du 18 avril adressée aux employés.
 
Bref, tout est allé très vite pour les travailleurs de la Somac. Certains n’ont toujours pas digéré toutes ces informations. Et la direction n’aide pas : embauche de nouveau personnel à deux mois de la fermeture, aucune date de fermeture officiellement communiquée, un rythme de travail augmenté… Nous sommes le 12 juin, et à Titioro, pas un gramme des plusieurs tonnes de métal qui occupent le terrain n’a bougé : “On est dans le flou le plus total”, ponctue un employé.
 
Deux mois plus tard, toujours pas de visibilité
 
Et un encart publicitaire très régulièrement publié dans Tahiti Infos ces dernières semaines n’a rien arrangé : “Urgent recherche un terrain”, peut-on lire dans celui-ci. Pour ces 71 employés qui nagent en plein brouillard, l’encart donne matière à supputer. Certains (très peu) pensent qu’il y a toujours de l’espoir et qu’il est possible que le P-dg finisse par sauver les emplois et continuer son aventure Somac sur un nouveau terrain. “Il y a des jeunes qui ont signé leur démission et qui regrettent aujourd’hui”, appuie un employé. D’autres sont beaucoup plus pessimistes, ou réalistes selon les interprétations. “Il préfère ses chats et ses chiens à nous, c’est fini” ; “Le terrain, c’est sûrement pour les gars de Cowan (son entreprise d’acconage, NDLR)”.
 
Ils supputent, supputent encore mais n’obtiennent pas de réponses claires. La direction de l’entreprise aurait par ailleurs fait comprendre aux employés de la Somac qu’ils pourraient continuer à travailler jusqu’au 25 août, alors que l’expulsion est pour le 27 juillet. “Mais nous n'avons vu aucun document qui l’atteste”, affirme un employé. Toujours dans ce brouillard constant, plusieurs éléments ont quitté l’entreprise suite aux décisions de justice, mais l’entreprise a pourtant embauché une quinzaine de nouvelles têtes. “Pourquoi ils continuent d’embaucher ? On ne comprend rien.”
 
Triste fin d’une entreprise pourtant rentable ou alors manœuvre cruelle d’homme d’affaires ? ; la majorité des salariés penchent pour la deuxième option. “Il avait les moyens de faire perdurer la Somac, on dirait qu’il a choisi de tout doucement la faire couler”, continue l’employé, convaincu, alors que “Quito” Braun Ortega avait déjà fait part de son envie de vendre la Somac en 2023, précisant alors : “Je ne conserverai que la société fondée en 1919 par mes grands-parents avec ses activités traditionnelles de base (acconage, transport, etc.).” Mais au bout du compte, “ce n’est ni le propriétaire du terrain, ni le P-dg de la Somac qui sont dans la merde, c’est nous”, rappellent, excédés, les employés de la Somac. Épaulés par un syndicat qui compte au moins tirer des indemnités, les employés attendent, eux, un temps d’échange, une réunion avec leur patron.

Rédigé par Tom Larcher le Mercredi 12 Juin 2024 à 19:16 | Lu 5464 fois