À Tahiti, la dernière sub-mangrove dans un état grave


Mitirapa. Crédit : Jean-Yves Meyer.
TAHITI, le 1er février 2023 - Le 2 février est la journée internationale des zones humides. L’occasion de faire un point sur ces écosystèmes en Polynésie. La zone de Mitirapa à la Presqu’île, dernière sub-mangrove de Tahiti, a été étudiée en 2022. Les conclusions de cette étude sont autant de pistes à suivre pour mettre en place des outils de protection, cruellement nécessaires pour sauver ce vestige.

Selon le Code de l’environnement métropolitain, les zones humides sont des "terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire, où la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année”. Ces zones ont leur journée, et c’est le 2 février. La Journée internationale des zones humides existe depuis 1997, elle est consacrée à la sensibilisation du grand public. Cette journée célèbre par ailleurs la signature de la convention de Ramsar en Iran, par 157 pays, le 2 février 1971. Cette convention étant relative aux zones humides d'importance internationale.

Les zones humides peuvent se trouver sur le littoral, en altitude non loin des lacs, à l’embouchure de rivières. Elles sont composées d’une végétation spécifique. En Polynésie, naturellement, les zones humides caractéristiques se trouvent le long du littoral. Ce sont des sub-mangroves ou forêts marécageuses. A ne pas confondre avec les mangroves, constituées de palétuviers.

Canopéesub-mangrove. Crédit : Jean-Yves Meyer.
Services rendus

Les zones humides rendent des services écosystémiques, à savoir des services rendus par les écosystèmes. Par exemple, les écosystèmes fournissent des aliments nutritifs et de l'eau propre, régulent les maladies et le climat, contribuent à la pollinisation des cultures et à la formation des sols, fournissent des avantages récréatifs, culturels et spirituels… Ils sont vitaux, directement ou indirectement, pour de nombreuses espèces ou groupes d'espèces. Ils sont donc généralement classés comme bien commun et/ou bien public.

Les zones humides sont des réserves d’eau douce, elles limitent les inondations en jouant les éponges, elles sont des zones refuges pour les oiseaux qui y trouvent de la nourriture et viennent y nicher, pour les poissons qui viennent s’y reproduire et grandir en toute tranquillité. Elles séquestrent le carbone ce qui, en période de réchauffement climatique, n’est pas anodin.

En Polynésie, Jean-Yves Meyer, botaniste de la Délégation à la recherche et Solène Fabre-Barroso, consultante en écologie terrestre et marine se sont intéressés entre février et août 2022 à la zone humide de l’anse Mitirapa ou lac Mitirapa. Ce dernier s’étend sur 13 hectares à la Presqu’île. Le duo a effectué treize sorties d’une journée chacune sur le terrain pour réaliser une étude phyto-écologique (étude du rapport entre le climat, la faune, le milieu et la végétation) et un inventaire floristique complet de la zone littorale de basse altitude (< 10 m) située en bordure du “lac”. “À notre connaissance, ce site n’avait jamais été prospecté auparavant par des botanistes.”

Crédit : Jean-Yves Meyer.
La mangrove prend le pas

La zone de sub-mangrove de Mitirapa est la seule zone humide naturelle qui reste à Tahiti. Mais jusqu’à quand ? Les conclusions de l’étude sont sans appel, elle tend à disparaître. Si les zones humides sont généralement menacées par l’urbanisation, le remblai, le drainage des terres pour l’agriculture, la sub-mangrove de Mitirapa, aujourd’hui, est surtout menacée par la mangrove, qui n’a rien à faire là. “Les mangroves, qui sont des zones humides, ne sont pas indigènes”, insiste Solène Fabre-Barroso. Cela signifie qu’elles ne sont pas originaires de Polynésie. Elles ont été importées, sans doute dans les années 1970, et sans doute, selon l’étude, à Mitirapa. Or, les mangroves sont beaucoup plus pauvres en termes de biodiversité, que les sub-mangroves. Un exemple : le héron vert de Tahiti, une sous-espèce endémique de Tahiti, serait en danger critique d’extinction, à cause de la disparition de son habitat qui est la sub-mangrove.

Recommandations de recherche et de conservation

L’état des lieux indispensable et précieux du site pourrait être encore plus poussé. Jean-Yves Meyer et Solène Fabre-Barroso proposent de compléter l’inventaire de la faune terrestre et aquatique en dressant un inventaire des lichens et bryophytes (mousses et hépatiques à thalle) et des champignons, particulièrement abondants en forêt marécageuse, ainsi que de tous les organismes marins (algues, poissons, invertébrés, etc.) vivant dans l’anse Mitirapa.

En plus, l’étude a permis d’établir plusieurs recommandations de conservation. Il s’agirait de renforcer la protection de l’anse, reconnue avec Port Phaéton comme l’un des 55 sites de conservation importants pour l’archipel de la Société, de classer au niveau national et international cette zone humide comme “site Ramsar” au même titre que le lac Temae sur l’île de Mo’orea, en tant que dernier vestige de forêt naturelle marécageuse sur la Presqu’île de Tahiti iti, pour ses fonctions écologiques, ses services écosystémiques et sa biodiversité terrestre et aquatique. Enfin, le palétuvier introduit Rhizophora stylosa pourrait être inscrit sur la liste des “espèces menaçant la biodiversité” selon le Code de l’Environnement de la Polynésie française.

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 1 Février 2023 à 20:51 | Lu 2110 fois