A Rangiroa, "le stock de becs de cane n'est pas en danger mais il pourrait rapidement basculer"


Tahiti, le 21 janvier 2021 - Depuis septembre 2019, la société Ocean Products, dirigée par Georges Moarii, mène, avec le soutien notamment de l'organisation non gouvernementale (ONG) The Nature Conservancy, une étude à Rangiroa pour évaluer les ressources en 'o'eo (bec de cane) de l'île, avec l'idée d'installer par la suite un atelier de mareyage. Cependant, une partie de la population de l'île s'inquiète d'un futur pillage du lagon. 

Georges Moarii on vous connait surtout pour votre flotte de thoniers, pourquoi cet intérêt pour le bec de cane à Rangiroa ? 

"Depuis 2016, on essaye de trouver des nouvelles sources d'approvisionnement en poisson lagonaire pour diversifier notre offre à Ocean Products. On a travaillé avec des îles comme Arutua et d'autres îles des Tuamotu mais on n'a jamais vraiment été satisfait. Au départ, on voulait lancer un atelier de mareyage dans le centre des Tuamotu, du côté de Faaite, Tahanea mais les liaisons par avion et par bateaux et les communications rendaient une installation dans ces zones très compliquée.

Finalement, on s'est rendu compte que la meilleure option c'était Rangiroa. On savait qu'il y avait de la ressource au niveau du poisson, notamment du 'o'eo, et pour les liaisons aériennes c'était idéal, avec des vols tous les jours et des goélettes qui passent toutes les semaines. En 2017, on était donc parti avec l'idée de faire un atelier de mareyage là-bas. Le projet, c'était d'acheter le poisson aux pêcheurs de l'île, de transformer ensuite le poisson dans notre atelier sur place, ce qui aurait permis de créer de l'emploi. Mais très rapidement, je me suis rendu compte que la ressource en bec de cane n'était pas aussi bien cernée que ça. Je me suis dit qu'il fallait d'abord évaluer la ressource avant de lancer quoique ce soit là-bas."

Quand avez-vous lancé votre étude ?
Faire une étude, ça coûte cher et je me suis tourné vers une ONG, The Nature Conservancy pour le financement. Je connaissais aussi un chercheur américain installé à Hawaii et il m'a orienté vers Alexander Filous, qui a notamment travaillé sur l'aire marine éducative à Anaa et sur le 'io'io (albula vulpes) pendant trois ans. L'étude a ainsi débuté en septembre 2019 et on a investi 80 millions de Fcfp depuis. À cause de problèmes de visa, le chercheur a effectué deux séjours de trois mois à Rangiroa. Mais il a réalisé un travail énorme en marquant 700 poissons en plus des 11 000 poissons mesurés."

Est-ce que votre étude a également déterminé le volume pris par les pêcheurs ?
"Ce sont des données que nous devons encore affiner. Mais on sait qu'un bateau peut pêcher jusqu'à 400 poissons par jour, avec 3 ou 4 pêcheurs sur le bateau. Et quand tu vois qu'il y a une dizaine de bateaux sur le lagon en train de pêcher ça fait 3 000, 4 000 poissons tous les jours qui sont pris et cela pendant dix jours aux alentours de la nouvelle lune."

Votre installation a suscité quelques critiques, de la part notamment de l'association Tamariki no Rangiroa kia poihere te kaiga (lire encadré) qui s'interrogeait sur vos réelles motivations…
"Il y a eu des rencontres sur place avec les pêcheurs, le maire de la commune. Au tout début, le maire m'a prévenu de ne pas venir dévaster la ressource. Ils savent que j'ai de gros moyens donc ça les a inquiétés mais je l'ai rassuré. Comme je le disais, l'idée n'était pas d'amener mes bateaux là-bas mais d'acheter le poisson auprès des pêcheurs de l'île. Je ne suis pas un pillard de lagon. La pêche, je baigne dedans depuis que je suis tout petit, je suis donc sensible à toutes ces problématiques.

On a tissé des liens avec certains pêcheurs, ils sont très positifs vis-à-vis de notre programme. C'est leur gagne-pain. Si demain il n'y a plus de poissons, de quoi ils vont vivre ? Sur le projet d'atelier de mareyage, il est complètement en standby et, au fur et à mesure, les plans deviennent de plus en plus petits. On a commencé à s'installer là-bas en 2017 et depuis on n'a pas encore gagné d'argent. Je ne sais pas quand on va commencer à gagner de l'argent là-bas.

D'ailleurs plus on avance dans l'étude, plus d'autres idées nous viennent. Comme le fait d'éduquer les enfants à la préservation du 'o'eo. On souhaite investir dans un parc à poisson et faire des ateliers pour les sensibiliser. On a également d'autres pistes d'étude, comme le marquage acoustique pour suivre les migrations des 'o'eo. On met des émetteurs sur les poissons et ensuite on va disposer des balises à l'intérieur et à l'extérieur du lagon pour suivre leurs mouvements. Ou bien également une étude sur le stock de hāpu'u (loche marbrée) qui est en grand danger à Rangiroa. D'un projet d'installation d'un atelier de mareyage pour du business, on est passé à l'installation d'un large programme de recherche. Et puis avec ma famille, on a eu un véritable coup de cœur pour l'île. L'objectif à terme c'est de faire de Rangiroa un exemple pour la pêche durable."

"Pourquoi ne pas dire quel est le vrai projet derrière cette étude ?"

Taurama Sun, président de l'association Tamariki no Rangiroa kia poihere te kaiga, s'interroge sur les véritables intentions de la société Ocean Products. "Sur l'étude je suis d'accord parce qu'il fallait que l'on connaisse le stock dont nous disposons. Mais pourquoi on ne dit pas quel est le vrai projet derrière cette étude ?", insiste celui qui est également pêcheur professionnel. "Cette entreprise a investi des centaines de millions dans ce projet et à mon avis, ce n'est pas pour ne récolter que quelque mille à la fin. Quelle quantité cette entreprise doit vendre pour être rentable ? Si on impose des quotas, est-ce qu'ils seront respectés ? À mon avis, les petits mareyeurs de l'île vont faire la tête."

Pour obtenir des réponses, Taurama Sun a saisi la mairie de Rangiroa pour organiser une réunion publique avec le patron de Ocean Products.

Rédigé par Désiré Teivao le Jeudi 21 Janvier 2021 à 18:46 | Lu 4199 fois