À Rangiroa, danger imminent pour le vini des Tuamotu


Sur les motu étudiés lors de l'expédition, il a été constaté que les populations de lori nonnette sont encore conséquentes. L'invasion du rat noir aurait tôt fait de mettre à mal ce constat.
Rangiroa, le 21 avril 2022 - Espèce emblématique des Tuamotu, le lori nonnette, que les habitants nomment vini, est une espèce classée vulnérable. Elle est principalement menacée par le rat noir qui profite notamment de l’exploitation de coprah pour se propager de motu en motu. Cette petite perruche bleue a barbe blanche et son ennemi ont été récemment les objets de surveillance d’une mission menée en collaboration par Manu SOP et l’association locale Ihiheiora au lagon bleu de Rangiroa.

Crédit photos : Simon Saada et SOP Manu

Il faut être très attentif pour l’apercevoir, tendre l’oreille, et marcher lentement, sans faire de bruit, entre les cocotiers et les pandanus des motu qui constituent le célèbre lagon bleu de Rangiroa. Lori nonnette, ou vini peruviana, est une superbe perruche au plumage bleu-nuit, excepté au niveau des joues et de la base de la poitrine qui sont blanches, ce qui lui donne un air de magicien.
Menacé d’extinction, ce magnifique oiseau est lui aussi victime des sérieux dégâts causés par le rat noir. Si les chats et le Busard de Gould représentent également un danger, cela reste mineur en comparaison du rat noir qui colonise l’habitat du lori.
 
Une mission d’observation
 
Le lori nonnette est inscrit en catégorie A sur la liste des espèces protégés par la règlementation territoriale de Polynésie française. Une mission a été menée à la fin 2021 par Manu SOP aux côtés de l’association locale Ihiheiora afin de surveiller la progression du rat noir sur l’atoll de Rangiroa, spécifiquement sur les motu du site du Lagon bleu et de Teu, qui sont des zones où l’on trouve le plus le lori nonnette.
“La mission consistait à vérifier la présence de ce rat dans les endroits où l’on a beaucoup d’effectifs (de lori, ndlr), explique Benjamin Ignace, spécialiste de l’environnement en Polynésie et à l’initiative de l’expédition. “Le lori faisant son nid dans des troncs de cocotiers ou de pandanus, le rat n’a qu’à grimper pour manger les œufs. C’est important de surveiller cette progression car le rat noir est arrivé à Rangiroa, mais aussi sur plusieurs motu”.

Certains motu du Lagon bleu à Rangiroa sont encore préservés du rat noir. Mais capable de nager et profitant des marées basses, il se rapproche dangereusement.
Ce sont en tout quatre jours de prospection au lagon bleu qui ont été menés sur les motu Tereia, Tereia nord, Nato Nato, Taeoo, Iti Iti, Taumaha et Iore. Les équipes des deux associations y ont notamment cherché à repérer des noix de cocos vertes rongées par le rat, mais heureusement sans succès. Des nuits ont également été consacrées aux piégeages mais n’auront permis de capturer qu’un rat polynésien. N’étant pas un aussi bon grimpeur que son congénère le rat noir, et surtout doté d’un tempérament bien moins opportuniste face à de la nourriture facile, il ne constitue pas un problème pour le lori. Un manque à l’appel de bon augure, car des signaux indiquant la présence du rat noir auraient été de très mauvais signes pour la sauvegarde de la perruche.

Chiara Ciardiello, membre de la SOP Manu, en charge du programme de protection du monarque de Fatu Hiva, s'est rendue à son tour au Lagon bleu pour constater les dangers qui menacent les loris.
 Des échanges de savoir
 
Du côté des motu du groupe Teu, une mission similaire n’aura là aussi permis que de capturer des rats polynésiens. Là non plus, aucune noix de coco trouée n’a été repérée par les équipes de prospecteurs. Une mission durant laquelle les trois membres de l’association Ihiheiora ont eu l’occasion de suivre une formation pour apprendre à disposer des nacelles à rat, mais surtout à apprendre à distinguer le rat noir du rat polynésien.

“Le rat noir n’est malheureusement pas forcément noir”, explique Benjamin. “Cependant, il est bien plus gros que le polynésien. La difficulté reste alors de savoir si l’on a piégé un jeune spécimen de rat noir ou bien un gros polynésien. Il faut alors regarder au niveau de la patte antérieur : on verra chez le polynésien un trait noir qui lui permet de se distinguer. La taille des oreilles est aussi un indice car très importante chez le rat noir et enfin le rapport entre la taille de la queue et le corps, qui est la même chez le rat polynésien”. Un savoir qu’il était important de transmettre à l’association locale, qui pourra dorénavant prendre le relai et faire ce travail. “On aime travailler avec les associations locales car il y a un double échange”, ajoute le spécialiste. “Étant sur place, les membres des associations locales sont très au fait des plantes et lieux spécifiques où se rend le lori pour se nourrir”.

La présidente, la secrétaire et la trésorière de l’association Ihiheiora de Rangiroa ont participé à l'expédition. L'occasion de peaufiner leur connaissance au contact des membres de la SOP Manu.
Le lori nonnette se montre en nombre sur les motu prospectés : un bon signe dont il faut se réjouir, mais cela ne veut pas dire que l’oiseau est hors de danger. Bien au contraire, l’arrivée du rat noir n’est qu’une question de temps. “Si l’on prend l’exemple du lagon bleu, le rat noir est arrivé sur les motu du nord et du sud, et encerclent donc les motu du lori”, s’inquiète Benjamin Ignace. “Malheureusement, quand c’est marée basse, le rat passe sur le platier qui connecte les motu entre eux. Il peut aussi se cacher dans les sacs de coprah. A un moment donné, ça va arriver, il va être introduit”.
Capable de nager sur une distance de 1 km, et les motu étant très peu espacés les uns des autres, il est ainsi très facile pour le prédateur de se déplacer. Et au-delà du rat, on fait aussi le triste constat d’une violente et rapide dégradation de l’habitat du lori, notamment par les incendies ravageurs causés par le coprah, ou encore par des graines collées aux chaussures des visiteurs, qui finissent par amener des espèces végétales envahissantes et destructrices de l’habitat originel de la fragile perruche bleue.

La gygis blanche également importunée
 

La gygis blanche (gygis alba), très commune en Polynésie, n’est pas en voie d’extinction, mais voit néanmoins elle aussi la menace du rat noir peser sur ses ailes. Ne faisant pas de nid, et pondant ses œufs directement sur les branches, le rat noir n’a strictement aucun effort à faire. La présence humaine, et notamment le bruit, sont aussi éléments qui perturbent largement l’environnement et le comportement de ces oiseaux

Rédigé par Simon Saada le Jeudi 21 Avril 2022 à 17:50 | Lu 1925 fois