A Bornéo, une radio branchée sauve les animaux menacés


PALANGKARAYA, 28 juin 2012 (AFP) - A Bornéo, une radio créée par un Français appâte la jeunesse en diffusant de la musique branchée, pour la sensibiliser à la cause animale et désigner à la vindicte publique les personnes, même haut placées, qui encagent des espèces menacées. Un pari risqué.

"Good morning! Selamat Pagi!": c'est en anglais et en indonésien que l'animateur lance son "bonjour" sur les ondes de "Radio Kalaweit". Justin Bieber succède à Rihanna, Linkin Park à Katy Perry.

Mais, parmi le hit-parade commercial dont la jeunesse indonésienne raffole, des messages d'une toute autre profondeur sont distillés. S'invitant entre deux tubes, un jingle choc s'ouvre sur des claquements de coups de feu, entrecoupés de cris de gibbons, des grands singes très menacés, et des pleurs déchirants d'un bébé qui vient de se faire capturer après le massacre de sa famille. "Pour ce petit gibbon, cinq d'entre eux ont été tués", lance une voix sur un ton glacial.

"Dieu n'a pas créé les animaux sauvages pour servir de décoration dans notre jardin", insiste un autre jingle, entre un morceau de pop coréenne et la dernière nouveauté de David Guetta.

"On sait que si on parle directement de la défense des animaux, les gens vont fuir", reconnaît Chanee, de son vrai nom Aurélien Brulé, qui a fondé Radio Kalaweit en 2003. Le Français vit depuis l'âge de 18 ans dans la jungle de Kalimantan, la partie indonésienne de Bornéo, pour tenter de sauver de la disparition les gibbons, des grands singes décimés par la déforestation massive dont souffre l'île d'Asie du Sud-Est.

"Je me suis demandé comment on pouvait arriver à faire entendre notre message aux jeunes", explique Chanee, un nom qu'il a adopté parce qu'il signifie "gibbon" en thaïlandais.

Le Français s'est alors souvenu que, adolescent, il "écoutait Fun et NRJ". L'idée est donc venue d'"une radio qui fait du divertissement pour sensibiliser à la cause animale". "Le but premier est de faire de l'audience", admet sans honte Chanee.

Et le pari est réussi: "Nous sommes devenus le numéro un dès début 2003", se félicite Willius Tinus, directeur musical et animateur. "La musique est aussi importante que le message. Si on fait une radio qui ne parle que d'environnement, on sait qu'on n'aura pas d'auditeurs", ajoute-t-il. Sur les ondes, la douce voix de la chanteuse franco-indonésienne Anggun implore: "N'ayez pas de gibbon comme animal de compagnie".

Justicier

Grâce à un "packaging sexy", dit Chanee, on touche les "15-22 ans, à un âge où il n'est pas encore trop tard pour changer les mentalités".

Diffusant sur un rayon d'une soixantaine de km à Palangkaraya, capitale de la province de Kalimantan-Centre, la radio touche "10 à 15.000 auditeurs par jour" et est totalement financée par la publicité, selon Chanee.

"Kalaweit, c'est cool", confirme "Zébi" (de son vrai nom Rabyatul Adawiyah), une lycéenne de 17 ans qui vient de temps en temps après les cours faire un peu d'animation dans les minuscules studios à peine climatisés de la station.

"Beaucoup l'écoutent au lycée", assure l'élève de terminale, qui anime dans son strict uniforme d'écolière.

Mais sensibiliser n'est pas tout. Kalaweit (nom qui signifie gibbon en dialecte local) se fait également justicier.

"On diffuse le nom des personnes qui détiennent un gibbon en cage, même s'il s'agit d'un haut placé comme le chef de la police ou le gouverneur. La plupart du temps, on reçoit l'animal deux à trois mois plus tard", lance fièrement Chanee. "Il y a peu de différence entre un officiel ayant un singe en cage et un criminel", accuse un des messages-chocs de la radio.

Ainsi, "plus de 60%" des animaux accueillis dans le refuge que Chanee a ouvert dans la jungle "viennent de gens qui ont écouté la radio". "On diffuse le numéro de téléphone sur les ondes: des enfants font pression sur leurs parents, des gens appellent pour dire qu'ils ont un animal malade ou parce qu'ils veulent le libérer de sa cage", explique Chanee.

Mais clouer au pilori les puissants bureaucrates indonésiens comporte des risques. En 2006, la police a fait irruption dans les petits bureaux de la radio, situés dans un quartier modeste de Palangkaraya. "Ils voulaient nous confisquer l'émetteur", se souvient Chanee. "Mais les animateurs se sont enfermés et ils ont lancé un appel sur les ondes. Cinq, puis 10 puis 15 villageois sont arrivés: la police est repartie".

Rédigé par AFP le Mercredi 27 Juin 2012 à 19:55 | Lu 509 fois