À Bora-Bora, le dispensaire à l’agonie


Tahiti, le 10 mai 2024 – Le dispensaire de Bora Bora est mal en point. Confronté à un manque d'effectif au vu de l'importante population de l'île, le centre médical s'est taillé la sombre réputation de “pire dispensaire de Polynésie”. Désormais, il peine à recruter des soignants et d'ici deux semaines, il ne comptera plus aucun médecin fixe dans ses rangs. Le ministère de la Santé a organisé plusieurs réunions d'urgence la semaine dernière afin de garantir loffre de soins aux habitants de l’île.
 

Au nombre des dispensaires médicaux implantés au Fenua, il y en a un qui fait particulièrement fuir les professionnels de santé : celui de Bora-Bora. En effet, pourtant installé sur une île attrayante, qui ne peine pas à attirer des travailleurs en temps normal, le dispensaire de la Perle du Pacifique se vide peu à peu de ses soignants. Selon nos informations, seuls trois médecins généralistes et quatre infirmières se relaient jour et nuit pour s'occuper d'une population de près de 13 000 personnes, habitants et touristes confondus. Une situation déjà précaire, mais qui devrait encore s'aggraver avec le départ la semaine prochaine de deux médecins qui, à peine arrivés, viennent de démissionner alors que la troisième praticienne en poste finit, elle, son contrat le 21 mai prochain et ne souhaite pas renouveler.
 
Ce manque d'attractivité de Bora Bora s'explique notamment par un manque d'effectif, symptôme de tous les maux du dispensaire, qui entraîne une fatigue extrême du personnel et les met face à des situations pour lesquelles ils ne sont pas forcément formés. Ce qui entraîne forcément un turnover important des professionnels de santé trop usés par le rythme imposé. Une situation qui dure et qui est à l’origine, désormais, d’une étiquette peu flatteuse pour l’établissement de santé. Une dénomination connue de tous les soignants du Fenua : celle du “pire dispensaire de Polynésie”. Résultat : on ne se bouscule pas pour y postuler. "Bora Bora est connu pour avoir la pire réputation”, témoigne un ancien médecin déployé sur le site qui souhaite garder l’anonymat. “C'est catastrophique, il faut faire quelque chose”, confirme de son côté un ancien infirmier.

De longues heures d’astreinte

En effet, ils ne sont à l'heure actuelle que trois médecins et quatre infirmières à se relayer pour assurer les soins à la population. “On fait des consultations normales, aux heures d'ouverture du centre, de 7h30 à 15h30, explique cet autre ancien médecin, mais on a une deuxième journée qui commence après, car on se relaie de garde durant les heures de fermeture.” Chaque nuit, un médecin et une infirmière sont donc de permanence. Des gardes éreintantes, puisque selon lui, les appels et les visites impromptues sont très courantes. “C'est très fatigant, car c'est souvent des nuits presque blanches après lesquelles on repart sur une journée de consultations standards. On est saturé d'appels. À la longue, ce n'est pas vivable.”
D'autant qu'avec l'effectif actuel – et faiblard – du dispensaire, le médecin et les infirmières se retrouvent d'astreinte une nuit sur trois. Une situation confirmée par le rapport d'activité annuel 2023 du centre de Bora Bora, qui annonce un total de 4 679 consultations, réalisées aussi bien par des médecins que des infirmiers, en dehors des heures d'ouverture. Au total, ce sont même 17 285 “actes de soins paramédicaux” qui ont été effectués en horaire de nuit l'an passé.

Manque de logements

Un autre facteur, qui explique le fonctionnement en effectif tendu de ce centre, est lié aux missions réalisées notamment par les médecins généralistes du dispensaire, qui se retrouvent à intervenir sur de vraies situations d'urgence, et pour lesquelles ils ne sont pas tous formés. “On est confronté à de véritables urgences vitales”, nous notre contact médecin. “Tant qu'il n'y a pas d'accident grave et choquant, on ferme les yeux, mais sans médecin au centre médical, au vu de la population qui vit à Bora-Bora, un décès est vite arrivé”, ajoute-t-il. “Un jour, un de mes collègues a été appelé pour un arrêt cardiaque. Après avoir tout tenté pour le réanimer, le patient est décédé. Il était en miettes. On est aussi parfois appelé sur des suicides. On n'est pas formés pour ça... Et nous n'avons même pas de cellule psychologique pour nous suivre”, témoigne un autre médecin passé au dispensaire il y a quelques années.
 
À noter aussi que les soignants souhaitant s'installer à Bora Bora sont freinés par la difficulté de trouver un logement sur l'île. “Le moindre petit bungalow est à 200 000 francs par mois”, nous confie une infirmière ayant exercé sur l'île. Un problème que la Direction de la santé tente de résoudre en proposant depuis peu des logements aux professionnels de santé.

Des projets dans les cartons

Interrogé par Tahiti Infos, le ministre de la Santé, Cédric Mercadal, est pleinement conscient de la situation, au point dorganiser plusieurs réunions de crise afin de remédier à ce problème imminent et dassurer la continuité de loffre de soins sur Bora Bora. “On ne va pas le cacher : les 15 prochains jours vont être compliqués. Mais on va tout mettre en œuvre pour qu'à très court terme cette situation soit endiguée. Tout dabord, nous avons deux nouveaux médecins qui arrivent en juin et juillet. Entre-temps, nous allons solliciter des partenaires privés, qui viendront soutenir les équipes en place”, nous explique le ministre, visiblement très préoccupé par la situation. “La situation est compliquée, cest une situation conjoncturelle qui dure depuis 25 ans et qui ne fait que s’aggraver, notamment avec la démission de deux médecins la semaine dernière. On était sous tension ces derniers jours parce quil fallait trouver des solutions pour garantir les soins. C’est ce quon a fait.”
 
Des mesures efficaces à court terme donc, mais qui seront accompagnées par une véritable volonté du Pays de résoudre efficacement la problématique des soins à Bora Bora à plus long terme. En effet, Cédric Mercadal a aussi annoncé que pour pallier le problème du manque dhabitations disponibles, des logements administratifs pour les professeurs et professionnels de santé seraient également construits dici la fin de lannée. Enfin, le ministre de la Santé a annoncé à Tahiti Infos la construction dun nouveau dispensaire sur l’île, plus grand que celui actuel et avec des effectifs plus importants. “Il faut revoir la taille du dispensaire de Bora, on le sait. Cest ce quon souhaite faire dici 2025”, affirme-t-il, avec comme modèle un centre semblable à celui de Moorea. “On a lhôpital de Uturoa à côté qui est déjà bien équipé. Mais construire un établissement, un hôpital rural – un dispensaire ‘plus plus’ comme on peut lappeler, – permettra davoir un pivot de soins et de stabiliser les patients pour les envoyer en évasans. On a la volonté dallouer les budgets nécessaires, après sa construction.” Depuis son arrivée à la tête du ministère, lancien de la CPS a ouvert 19 postes à la Direction de la Santé. À lheure actuelle, 91 postes sont ouverts sur 48 îles.

Rédigé par Thibault Segalard le Lundi 13 Mai 2024 à 10:27 | Lu 4949 fois