44,6 millions d'impayés de l'Etat auprès de détenus de Nuutania


Tahiti, le 27 janvier 2020 - Le ministère de la Justice tarde à s’acquitter de 44,6 millions de Fcfp d’indemnités pour le préjudice moral causé à 88 anciens pensionnaires de Nuutania par leurs conditions “inhumaines et dégradantes” de détention.  
 
“J’ai des décisions de 2014 qui ne sont toujours pas payées”, constate Me Thibault Millet. Cette réalité a déjà fait l’objet d’une remarque indignée de l’avocat, le 14 janvier dernier lors d’une énième audience du tribunal administratif consacrée aux demandes d’indemnisation de détenus de Nuutania.

Depuis février 2013, le cabinet de Me Millet a engagé 357 procédures en demande de réparations pour préjudice moral portées par des pensionnaires de la prison de Faa’a. Ils y dénoncent les conditions inhumaines et dégradantes qu’ils ont subies lors de leur séjour, au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme.

Le tribunal administratif a enjoint à ce titre au ministère de la Justice de verser un total de 108 millions de Fcfp en réparation. Problème : 44,6 millions de Fcfp restent toujours impayés alors que les 88 décisions qui en ordonnent le versement sont définitives, exécutoires et "censées être appliquées spontanément”.

​"On marche sur la tête ! "

On va agir pour forcer l’Etat à exécuter ces décisions de justice”, a annoncé lundi à Tahiti Infos Me Thibault Millet, “choqué de devoir en arriver là". Tout cela lui laisse le sentiment "qu’il n’y a pas beaucoup d’attention portée aux détenus de Polynésie. On assiste à un défaut d’exécution des décisions de justice qui est choquant de la part de l’Etat. Cela démontre un manque de sérieux. Et le paradoxe est que c’est le ministère de la Justice qui est concerné et qui n’exécute pas les décisions de justice. On marche sur la tête ! Cela démontre aussi une forme de mépris envers certains justiciables. Ce mépris est probablement lié à la condition de détenu de ces citoyens et peut-être aussi –ce qui est plus inquiétant et choquant– du fait qu’il s’agisse de Polynésiens, de populations outre-mer dont on constate malheureusement de manière récurrente qu’elles ne font pas l’objet des mêmes égards que les populations métropolitaines.”

​Exécution forcée, sous astreinte

Me Thibault Millet devant le classeur dédié au rangement des dossiers de demande d'indemnisation des détenus de Nuutania.
L’avocat a déjà adressé des contraintes à paiement au comptable du ministère de la Justice. Elles sont globalement restées lettres mortes. “Ça a marché pour certains dossiers. Mais maintenant je n’y arrive plus. Je vais devoir saisir le président du tribunal administratif pour demander une exécution forcée, sous astreinte.” Ces actions pourraient être engagées courant février prochain.

Certaines indemnisations ont peut-être fait l’objet d’une saisie, au titre du fonds de garantie ou parce que le détenu en question était lui-même redevable d’une amende ou d’indemnités. Mais dans ce cas, la décision doit être notifiée. Pour ma part, je n’ai aucun document qui me prouve qu’il y a eu saisie. On est dans le flou complet”, explique aussi Me Millet qui voit dans ces demandes d’exécution forcée “l’occasion d’avoir des explications, enfin”.

Au cabinet de Me Millet, 27 nouveaux dossiers de demande d’indemnisation portés par des détenus de Nuutania sont encore en instance alors qu’une bonne centaine, selon son estimation, sont susceptibles de faire l’objet d’une procédure contre l’Etat. La prison de Faa’a renferme toujours autour de 200 condamnés dont bon nombre dans des conditions d’hygiène, de salubrité et de promiscuité qui demeurent litigieuses malgré des travaux de rénovation partielle jugés insuffisants par la cour administrative d’appel.

Dans le viseur de la Cour européenne des droits de l’Homme

Des procédures engagées par huit anciens détenus de Faa’a pour enjoindre à la France de mettre fin aux conditions indignes de détention à Nuutania sont actuellement en instance devant la Cour européenne des droits de l’Homme, avec le soutien de l’Observatoire international des prisons. Sur place les dossiers ont été portés par Me Patrice Spinosi. Avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, il est à l’origine de plusieurs condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme. "Des décisions sont attendues fin janvier", précise Me Millet concernant ces procédures engagées en 2017. "On va voir ce que ça donne. Ça va être intéressant. Si jamais il y a une décision de condamnation, ce sera retentissant.”


Rédigé par Jean-Pierre Viatge le Lundi 27 Janvier 2020 à 14:09 | Lu 2508 fois