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440 personnes formées aux premiers secours en santé mentale


Tahiti, le 1er avril 2025 - En Polynésie française, parler de santé mentale reste encore un tabou. Pourtant, la détresse psychologique touche de nombreuses personnes, qu'il s'agisse d'anxiété, de dépression ou de troubles plus sévères. C’est pour mieux accompagner ces situations que la formation Premiers secours en santé mentale (PSSM) est proposée localement.
 
Inspirée du secourisme classique, la formation Premiers secours en santé mentale (PSSM) est née en Australie dans les années 2000 et est aujourd’hui proposée au Fenua. Elle permet d'apprendre à repérer les signes de détresse mentale, à écouter sans juger et à orienter vers des professionnels. “Il s’agit de déstigmatiser la santé mentale et de permettre aux citoyens d'agir face à une personne en difficulté”, explique Linda Fong, formatrice en PSSM à Tahiti.
 
Déstigmatiser la santé mentale
 
L’un des objectifs majeurs des PSSM est de lever les préjugés. “À Tahiti, il y a cette expression qui pousse à être fort, ce qui empêche parfois de demander de l'aide. Or, un trouble psychique peut toucher tout le monde”, souligne Linda Fong.
 
La formation de 14 heures repose sur un plan d'action simple, permettant aux citoyens d'intervenir sans se substituer aux professionnels. Elle couvre quatre types de troubles : dépressifs, anxieux, psychotiques et liés aux addictions. “On ne diagnostique pas, on apprend à repérer les signes, à écouter et à orienter. On forme des secouristes, pas des professionnels”, insiste la formatrice.
 
Des bénéfices concrets
 
Les personnes formées disent mieux comprendre la santé mentale. Aurélie Lecoq, directrice de Format Pro & Cap Avenir, qui a financé la formation pour ses employés, témoigne : “Nous accompagnons des demandeurs d'emploi souvent en situation de fragilité. Avant, nous ne savions pas toujours comment réagir face à une crise. Aujourd'hui, on a plus d'outils et on sait vers qui orienter. Cette formation nous a aussi fait réfléchir sur notre jugement, notre patience et notre empathie afin d’aider sans nuire ni nous mettre en danger.”
 
Les institutions locales s'impliquent également. Linda Fong a formé des agents de la Direction du travail, du haut-commissariat et du centre pénitentiaire. Aujourd'hui, près de 440 secouristes sont formés en Polynésie. Loin de remplacer les psychologues, ils créent un pont entre une personne en souffrance et les services adaptés. “Un simple ‘Je suis là si tu veux parler’ peut déjà changer les choses”, rappelle la formatrice.
 
Accessible à tous dès 18 ans, cette formation est dispensée également par des structures comme Fenua Prev ou Rima Here. En plus du module “standard” pour adultes, un module “jeunes” cible les adultes en contact avec des 11-25 ans. Le module “ado”, destiné aux adolescents, est en phase de test en métropole.

Santé mentale en Polynésie : un tournant majeur

En Polynésie, la santé mentale reste un défi majeur, avec une forte prévalence des troubles psychiques et un manque de structures adaptées. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 1 170 hospitalisations en 2024, contre 1 100 en 2023 et 847 en 2021. Même constat pour les tentatives de suicide, en nette hausse : 140 pour 100 000 habitants en 2024, contre 78 il y a 15 ans. “Aujourd’hui, on fonctionne encore dans une logique d’urgence, faute de moyens suffisants”, explique le Dr Julien Testart, nouveau chef du département de psychiatrie du Centre hospitalier de la Polynésie française, succédant au Dr Johan Sebti.
 
Un tournant s’amorce avec l’ouverture du pôle de santé mentale à Tahiti, prévue “entre juillet et août”. “Ce pôle va révolutionner la prise en charge en Polynésie. Il offrira des soins plus accessibles et un meilleur suivi des patients, notamment avec une filière dédiée à la périnatalité”, souligne le Dr Sebti. Au-delà d’un cadre mieux adapté, cette nouvelle structure misera sur la prévention et le travail de proximité, avec la création d’une centaine de postes. “Il est essentiel de sortir d’une psychiatrie uniquement curative. On veut aussi en finir avec cette image carcérale et asilaire qui lui colle à la peau”, insiste-t-il.
 
Autre avancée majeure : l’ouverture imminente d’une Cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP), un dispositif d’assistance destiné à assurer une prise en charge 24h/24 des victimes. “Ce n’est pas seulement un lieu de soins, c’est un véritable changement de regard sur la santé mentale en Polynésie”, conclut le Dr Testart.

Stress au travail : alerte sur les risques et la prévention en entreprise

Si la formation PSSM ne prend pas en compte le stress au travail, ce problème reste bien réel en Polynésie, bien que difficile à chiffrer. “Les plaintes des salariés et les sollicitations des employeurs sur les risques psychosociaux augmentent”, observe Céline Mignonet-Remy, ergonome et psychologue du travail, auprès de la médecine du travail de la CPME.
 
Le stress peut entraîner un burn-out mais aussi des troubles musculosquelettiques ou des maladies cardiovasculaires”, rappelle Corine Rochet, médecin du travail. Pour y faire face, la CPME organise chaque mois des Instant Prév’, ateliers gratuits pour chefs d’entreprise et représentants du personnel, axés sur la prévention et la réglementation.
 
Céline Mignonet-Remy met en garde contre une délégation excessive aux formations comme les PSSM : “L’employeur ne doit pas s’exonérer de sa responsabilité de garantir la santé de ses salariés en finançant simplement ces sessions.” Corine Rochet souligne aussi l’importance du secret médical et ajoute : “Après quelques heures de formation, on ne s’improvise pas médecin.”

Rédigé par Darianna Myszka le Mardi 1 Avril 2025 à 15:58 | Lu 1821 fois