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30 ans de réclusion pour le meurtrier de son fils


Tahiti, le 25 février 2025 - Le verdict est tombé ! Le troisième et dernier jour du procès de l’homme accusé d’avoir étranglé son fils s’est achevé en fin d’après-midi mardi. Le meurtrier devra purger une peine de 30 ans de réclusion criminelle sans période de sureté.
 
Pour terminer ce procès hors norme, comme l’a qualifié Me Bambridge, la présidente de la cour d’assises a donné la parole à un dernier expert, un psychiatre, à l’accusé, aux avocats et à l’avocate générale.
 
“Il n’a jamais dit que c’était de sa faute !”
 
Une nouvelle fois, ce père accusé d’avoir tué son fils de trois ans par étranglement a rejeté la faute sur sa concubine : “Je suis convaincu qu’elle se prostituait pour obtenir de l’ice, et ce tout au long de notre relation. C’est ce qui m’a poussé à l’acte. Je n’ai plus rien à ajouter.
 
Me Bambridge, pour démarrer sa plaidoirie a insisté sur le caractère exceptionnel de l’affaire. “C’est un dossier que l’on ne rencontre pas tous les jours.” L’avocate des parties civiules a regretté que beaucoup de questions restent toujours sans réponse malgré les auditions des témoins et experts. En plus, “il n’a jamais dit que c’était sa faute !”
 
Elle est revenue sur le caractère “oiseux” des explications de l’accusé, ses “contradictions”, elle a surtout exposé la souffrance de la famille et les remords qui continuent à “ronger” les proches. “La victime a souffert et je souhaite que sa voix soit entendue.” Elle a ajouté : “Sa grand-mère regrette d’avoir laissé les enfants dans la maison familiale de Mahina” ; “sa mère regrette d’avoir laissé son fils, ce jour-là, à son père” ; “sa grande sœur regrette d’avoir réclamé une glace”.
 
Un tabou universel
 
Pour l’avocate générale, l’intention de tuer a été établie. L’accusé voulait donner la mort à son fils. Il a tué “de sang-froid”, “de ses propres mains”. C’était un acte réfléchi depuis plusieurs semaines, sa décision ayant été fermement arrêté la veille, au moins. “Les faits confirment une détermination sans faille.” La durée de l’agonie de l’enfant a été longue. Pourtant l’accusé n’a exprimé durant ces trois jours d’audience “ni affect”, “ni regret”. À peine a-t-il soufflé un “Je suis désolé”, lundi.
 
L’affaire est une atteinte, selon la magistrate, “à un tabou universel”, celui du meurtre. Le meurtre d’un enfant par l’une des deux personnes qui doivent le protéger “qui doivent même donner leur vie pour le protéger s’il faut”. Elle a rappelé que les parents donnent la vie, “mais n’ont pas le droit de la reprendre”, cela a des conséquences pour “ceux qui restent”, tous ceux qui ont connu la victime et la famille, mais aussi “pour la société tout entière qui n’imagine pas vivre dans une collectivité ou un parent peut reprendre la vie d’un enfant”.
 
Elle s’est appuyée, dans son réquisitoire, sur une étude menée entre 2012 et 2016 en Métropole et en outremer sur les morts violentes au sein des familles. Si les données relatives à la Polynésie n’apparaissent pas, les conclusions sont riches d’enseignements. Durant cette période, 70 infanticides ont été recensés chaque année, “ce qui signifie qu’un enfant est tué tous les trois jours. C’est trop !”
 
Un terme ressort de cette étude, celui de “la violence vicariante” qui équivaut “à la mise à mort psychologique”. Les violences vicariantes, ou violences conjugales par procuration, désignent les cas ou un conjoint qui n’arrive plus à atteindre l’autre parent après une séparation s’en prend à ses enfants. “Et c’est très exactement la situation dans laquelle nous sommes : l’accusé a cherché à faire souffrir la mère de l’enfant.” Selon la représentante du ministère public, “tout dans ce dossier nous conduit à regarder le passage à l’acte sous cet angle, et non sous l’angle décrit par l’accusé, à savoir, ne plus faire souffrir son fils”.
 
Saisir les mains tendues
 
L’avocate générale a reconnu “l’histoire de vie fragilisée” de l’accusé ; mais en nuançant : “On ne peut tout de même pas dire qu’il ait été martyrisé” car “des gens l’aimaient autour de lui”. Elle a ajouté que d’autres, dans le même cas, n’ont jamais commis l’irréparable. L’avocate générale a insisté sur le rapport au réel “tout à fait adapté” de l’accusé et, finalement, sur “les choix” qu’il a fait en toute conscience et qui l’ont mené au crime. Pour elle, tout était surmontable, “il aurait pu saisir les mains tendues”.
 
Si l’accusé encourait la perpétuité, elle a finalement requis 30 ans de réclusion criminelle assortie d’une période de sureté de deux tiers, soit 20 ans. Les conditions dans lesquelles l’accusé a grandi ont pesé dans la balance, de même que son absence de condamnations, “mais ses traits de personnalités”, et “sa grande difficulté à se décentrer” l’ont poussée à requérir ces vingt années durant lesquelles il ne pourrait bénéficier d’aucun aménagement de peine.
 
“Mais comment vous faites ?
 
L’avocate de la défense, Me Nougaro, a lancé sa plaidoirie en reprenant cette question posée à demi-mot tout au long du procès : “Mais comment faites-vous ?” Comment un avocat peut-il défendre l’indéfendable ? En l’occurrence, le meurtre prémédité d’un enfant, commis de sang-froid et reconnu. “Il faut bien que quelqu’un parle pour eux ! Mon rôle est d’apporter une vision de ce qu’est l’accusé, de ce qu’il n’a pu dépasser.” Elle a montré comment l’accusé a, lui, vu les choses. “Je vais essayer de vous mettre sur son regard, sur la situation conflictuelle et ingérable qu’il a vécue.”
Revenant sur l’enfance de ce dernier, elle a assuré qu’il était “pris entre deux mondes”. Elle l’a martelé : “Il a essayé de faire autrement !” Il a saisi les services sociaux de la commune de Mahina, un juge aux affaires familialles pour récupérer la garde de son fils. Des rapports confirment qu’il se rendait aux rendez-vous médicaux de son fils, et que l’enfant se réfugiait dans les bras de son père à ces occasions. C’est lui, également, qui a inscrit l’enfant à la crèche. “Il était un bon père.” Il aimait son fils.
 
Décrites à plusieurs reprises, “sa faille narcissique” est bien réelle. “Il n’a pas réussi à gérer son ambigüité” et “son instabilité”. Selon l’avocate de la défense, le père adoptif de l’accusé qui l’a repris alors qu’il vivait en Métropole a “scellé son destin”. L’accusé est resté “pris entre deux mondes”. L’insécurité financière et affective ont complété le socle de ce drame familial.
 
Quand “on a tout perdu, et si l’on n’a pas les ressources pour aller chercher de l’aide, alors on s’enfonce”, a-t-elle résumé. Cette affaire, selon elle, au-delà du drame et de la violence, de la souffrance qui reste, a aussi “à dire sur notre société”. Pour elle, il a été question “de ce que nous sommes, mais aussi de ce l’ont fait de nous”. “On ne va pas se voiler la face : il y a eu des défaillances de la mère, de la famille, de la société.” Citant un expert elle a indiqué que “ce jour-là, la tension psychique était trop importante”.
 
Pour conclure, et rappelant que “le risque de récidive est nul selon les experts”, Me Nougaro a encouragé la cour à réduire la peine, ou la période de sureté, pour “une juste réinsertion”. En effet, “comment espérer quoi que ce soit si l’on sort à 64 ou 74 ans ?” Comment alors imaginer pouvoir “être utile à la société” à cet âge après 20 ou 30 années passées en prison ?
 
La cour et les jurés avaient à répondre à plusieurs questions à l’issue de ce procès : l’accusé est-il coupable d’avoir volontairement donné la mort à son fils ? Le meurtre a-t-il été commis avec préméditation ? Après quatre heures de délibération, les l’accusé a été reconnu coupable du meurtre avec préméditation de son fils de trois ans et l’ont condamné à 30 ans de réclusion criminelle sans prononcer de peine de sureté.

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 26 Février 2025 à 07:22 | Lu 936 fois