Les 7 langues et 20 dialectes de Polynésie française étudiés
PAPEETE, le 25 février 2015 - C'est la plus grande étude jamais réalisée sur les langues et dialectes de Polynésie française, et elle est publiée gratuitement pour tous en un "Atlas linguistique de la Polynésie française". L'un des deux scientifiques qui l'a réalisé, Alexandre François, en présentera les principaux résultats et répondra aux questions du public ce jeudi soir à l'Université, à l'occasion d'une conférence publique.
C'est un travail monumental de 10 ans qui a été résumé en un atlas de 2560 pages, dont 2253 cartes. Les linguistes, étudiants en langues, enseignants, ou simples curieux des langues de nos cinq archipels peuvent le télécharger gratuitement (260 Mo) sur le site de l'Université de la Polynésie française, upf.pf. L'un des deux auteurs le présentera également demain (jeudi) soir à l'Université lors d'une conférence Savoir pour tous, à 18h15 en amphi A1.
Un travail académique qui a demandé une exploration sur le terrain de plusieurs années. 20 "points de référence" ont été choisis dans toute la Polynésie, chacun représentant une variation différente d'une des sept langues de notre territoire (sans inclure le français). Jean-Michel Charpentier s'est ensuite rendu plusieurs semaines sur chaque île pour y trouver les locuteurs de ces langues, parfois uniquement connues des anciens du village, et a créé 20 dictionnaires de 2253 mots.
Après la mort de Jean-Michel Charpentier, son collègue et ami le docteur Alexandre François, chercheur au laboratoire LACITO du CNRS (le seul organisme français spécialisé dans l'étude des langues océaniennes) a effectué le traitement des données brutes et l'élaboration de toutes les cartes de l'Atlas.
C'est un travail monumental de 10 ans qui a été résumé en un atlas de 2560 pages, dont 2253 cartes. Les linguistes, étudiants en langues, enseignants, ou simples curieux des langues de nos cinq archipels peuvent le télécharger gratuitement (260 Mo) sur le site de l'Université de la Polynésie française, upf.pf. L'un des deux auteurs le présentera également demain (jeudi) soir à l'Université lors d'une conférence Savoir pour tous, à 18h15 en amphi A1.
Un travail académique qui a demandé une exploration sur le terrain de plusieurs années. 20 "points de référence" ont été choisis dans toute la Polynésie, chacun représentant une variation différente d'une des sept langues de notre territoire (sans inclure le français). Jean-Michel Charpentier s'est ensuite rendu plusieurs semaines sur chaque île pour y trouver les locuteurs de ces langues, parfois uniquement connues des anciens du village, et a créé 20 dictionnaires de 2253 mots.
Après la mort de Jean-Michel Charpentier, son collègue et ami le docteur Alexandre François, chercheur au laboratoire LACITO du CNRS (le seul organisme français spécialisé dans l'étude des langues océaniennes) a effectué le traitement des données brutes et l'élaboration de toutes les cartes de l'Atlas.
Il y a ainsi une carte représentant tous les mots désignant la "pirogue" à travers la Polynésie ("va'a" à Tahiti, "kamia" à Rapa, "vaka" ou "haveke" en pa'umotu, "kurukuru" à Tematangi, "poti" à Rurutu…), une autre pour le chien, le dos de la tortue, zigzaguer…
Donner leurs lettres de noblesse aux langues polynésiennes
Le docteur François explique que les différences entre les langues polynésiennes ne sont pas fondamentales au niveau de la grammaire, et reposent surtout sur le vocabulaire. Ce qui explique d'ailleurs pourquoi il est relativement simple d'apprendre d'autres langues polynésiennes lorsqu'on en connait déjà une, et montre l'intérêt de constituer ces dictionnaires géographiques.
Il nous explique aussi à quoi sert cet énorme travail :
- Socialement, il s'agit de donner conscience à tous de la très grande diversité de ces langues, aujourd'hui en danger. Ainsi, les professeurs des écoles "pourraient utiliser des cartes pour montrer aux enfants la diversité des langues du territoire, par exemple en utilisant la carte montrant comment dire poisson dans toutes les langues." Ce travail va donner des arguments à ceux qui essaient de défendre ces langues, et permet "de leur donner leurs lettres de noblesse."
- Les données collectées concernent certaines langues jamais documentées, comme celles des Australes. Elles pourront servir à compléter des dictionnaires existants, et même à créer des dictionnaires pour ceux de ces 20 dialectes qui n'en ont pas.
- Enfin pour les linguistes, "ça nous permet d'ancrer les langues dans leur géographie et de voir quels sont les ensembles qui émergent. Par exemple dans les cartes, pour le "squelette" c'est "ivi" un peu partout, mais aux Tuamotu ils ont la forme ancienne, "kēiŋa". On voit très bien se dessiner un paysage des langues et donc des peuples et des communautés historiques. On voit par exemple que les innombrables atolls des Tuamotu ont toujours formé une sorte de réseau social qui au fil des siècles a continué à communiquer les uns avec les autres."
Parmi les nombreux enseignements à retirer de ces 2253 cartes, Alexandre François nous offre plusieurs illustrations :
- On sent l'expansion du tahitien depuis les Pomare (voir encadré), qui continue aujourd'hui "mais est elle-même menacée par l'extension du français, mais c'est un autre sujet".
- "On parle souvent des liens entre les Marquises et Mangareva, qui sont très éloignées. Il n'y a pas forcément de lien linguistique, mais il y a des liens d'autres natures apportés par les missionnaires catholiques et français qui font qu'il y a cette communauté qui existe, et qui apparait dans les cartes."
- Les Marquises ont une langue bien distincte, avec tout de même deux variations bien identifiables : le marquisien du nord et celui du sud. Parfois la différence est sur la prononciation (la maison : "ha'e" au nord et "fa'e" au sud), ou parfois ce sont deux mots différents, par exemple une personne débauchée sera "mako" au nord et "he'e" ou "vovo" au sud.
- Les Tuamotu ont beaucoup gardé la forme ancienne des mots, et leur langue est plus proche de la langue proto-polynésienne "du point de vue de la prononciation, même si elle est souvent innovante sur le vocabulaire. Mais c'est la langue qui ressemblera le plus aux autres langues du Triangle polynésien."
- L'Atlas donne aussi des indices sur les anciens liens entre les communautés, et même les différentes phases de peuplement de la Polynésie.
Donner leurs lettres de noblesse aux langues polynésiennes
Le docteur François explique que les différences entre les langues polynésiennes ne sont pas fondamentales au niveau de la grammaire, et reposent surtout sur le vocabulaire. Ce qui explique d'ailleurs pourquoi il est relativement simple d'apprendre d'autres langues polynésiennes lorsqu'on en connait déjà une, et montre l'intérêt de constituer ces dictionnaires géographiques.
Il nous explique aussi à quoi sert cet énorme travail :
- Socialement, il s'agit de donner conscience à tous de la très grande diversité de ces langues, aujourd'hui en danger. Ainsi, les professeurs des écoles "pourraient utiliser des cartes pour montrer aux enfants la diversité des langues du territoire, par exemple en utilisant la carte montrant comment dire poisson dans toutes les langues." Ce travail va donner des arguments à ceux qui essaient de défendre ces langues, et permet "de leur donner leurs lettres de noblesse."
- Les données collectées concernent certaines langues jamais documentées, comme celles des Australes. Elles pourront servir à compléter des dictionnaires existants, et même à créer des dictionnaires pour ceux de ces 20 dialectes qui n'en ont pas.
- Enfin pour les linguistes, "ça nous permet d'ancrer les langues dans leur géographie et de voir quels sont les ensembles qui émergent. Par exemple dans les cartes, pour le "squelette" c'est "ivi" un peu partout, mais aux Tuamotu ils ont la forme ancienne, "kēiŋa". On voit très bien se dessiner un paysage des langues et donc des peuples et des communautés historiques. On voit par exemple que les innombrables atolls des Tuamotu ont toujours formé une sorte de réseau social qui au fil des siècles a continué à communiquer les uns avec les autres."
Parmi les nombreux enseignements à retirer de ces 2253 cartes, Alexandre François nous offre plusieurs illustrations :
- On sent l'expansion du tahitien depuis les Pomare (voir encadré), qui continue aujourd'hui "mais est elle-même menacée par l'extension du français, mais c'est un autre sujet".
- "On parle souvent des liens entre les Marquises et Mangareva, qui sont très éloignées. Il n'y a pas forcément de lien linguistique, mais il y a des liens d'autres natures apportés par les missionnaires catholiques et français qui font qu'il y a cette communauté qui existe, et qui apparait dans les cartes."
- Les Marquises ont une langue bien distincte, avec tout de même deux variations bien identifiables : le marquisien du nord et celui du sud. Parfois la différence est sur la prononciation (la maison : "ha'e" au nord et "fa'e" au sud), ou parfois ce sont deux mots différents, par exemple une personne débauchée sera "mako" au nord et "he'e" ou "vovo" au sud.
- Les Tuamotu ont beaucoup gardé la forme ancienne des mots, et leur langue est plus proche de la langue proto-polynésienne "du point de vue de la prononciation, même si elle est souvent innovante sur le vocabulaire. Mais c'est la langue qui ressemblera le plus aux autres langues du Triangle polynésien."
- L'Atlas donne aussi des indices sur les anciens liens entre les communautés, et même les différentes phases de peuplement de la Polynésie.
Docteur Alexandre François
La domination du tahitien
Si c'est le français qui représente le plus grand danger pour toutes les langues polynésiennes, le tahitien est tout de même en forte progression géographique à travers la Polynésie française. La langue des Pomare ne se contente plus de sa domination sur toutes les îles de la Société (à part Maupiti qui conserve ses différences), mais envahit maintenant les Australes et les Tuamotu-Ouest à la faveur des échanges de travailleurs et des écoliers en pension.
Les cartes de l'Atlas montrent bien que deux langues ont déjà été éliminées par l'avancée du "reo tahiti" : celle de Rangiroa et Tikehau (le "mihiroa") et celle de Tubuai (le "Tupua'i"). Les langues de Takaroa, Makemo, Maupiti, etc., se font progressivement grignoter.
Si c'est le français qui représente le plus grand danger pour toutes les langues polynésiennes, le tahitien est tout de même en forte progression géographique à travers la Polynésie française. La langue des Pomare ne se contente plus de sa domination sur toutes les îles de la Société (à part Maupiti qui conserve ses différences), mais envahit maintenant les Australes et les Tuamotu-Ouest à la faveur des échanges de travailleurs et des écoliers en pension.
Les cartes de l'Atlas montrent bien que deux langues ont déjà été éliminées par l'avancée du "reo tahiti" : celle de Rangiroa et Tikehau (le "mihiroa") et celle de Tubuai (le "Tupua'i"). Les langues de Takaroa, Makemo, Maupiti, etc., se font progressivement grignoter.
Unité et variété
Certains mots ont la même racine avec simplement des différences phonétiques (ici "le ciel")
Les mots partagés par tous les polynésiens sont souvent empruntés
Les cartes montrent quels mots sont partagés dans tous les archipels. Ainsi, "himene" veut dire "chant" partout sur le Territoire, ce qui laisse penser qu'il pourrait (peut-être) s'agir d'un emprunt au latin "hymnus" (chant) ou à l'anglais "hymn". Car les mots partout identiques sont généralement empruntés aux premiers explorateurs, marchands et évangélistes occidentaux. Un autre exemple : "etene" (du grec "ethne", les peuples) qui veut dire "païen".
On y voit aussi les influences concurrentes du français et de l'anglais, avec par exemple le mot pour "cuillère" qui se dit "kuiera" ou directement "kuier" aux Marquises et "kuiere" à Mangareva, les îles où le premier contact a été catholique et français. Les autres archipels, eux, favorisent "punu tāipu", de l'anglais "spoon". De même, "paretenia" est le mot signifiant "nonne" presque partout en Polynésie (du grec "parthenia" pour virginité), sauf aux Marquises et aux Gambier où elles sont appelées "virikine" (de "virginem" en latin).
7 façons de dire "chien"
D'autres mots sont au contraire très divers, ce qui illustre bien comment ils naissent et se répandent dans une langue. Ainsi, un "chien" se dit "'ūri" à Tahiti ; "pore", "'ūgi" ou "kuri" aux Australes ; "ŋaike" et "ŋāeke", avec des variations d'intonation, aux Tuamotu ; "kuri" ou "kani" aux Gambier ; "peto" ou "nuhe" aux Marquises…
D'autres exemples montrent que certaines langues ont un grand nombre de variations entre les îles. Par exemple pour dire "homme charmant", les Pa'umotu ont une dizaine de mots différents, avec des sens plus ou moins péjoratifs et qui changent à chaque île, de "hāviti" à "viru viru" en passant par "akiaki" et "ikeike" jusqu'aux plus simples "viru tamatika" ou "tamariki viru".
Les cartes montrent quels mots sont partagés dans tous les archipels. Ainsi, "himene" veut dire "chant" partout sur le Territoire, ce qui laisse penser qu'il pourrait (peut-être) s'agir d'un emprunt au latin "hymnus" (chant) ou à l'anglais "hymn". Car les mots partout identiques sont généralement empruntés aux premiers explorateurs, marchands et évangélistes occidentaux. Un autre exemple : "etene" (du grec "ethne", les peuples) qui veut dire "païen".
On y voit aussi les influences concurrentes du français et de l'anglais, avec par exemple le mot pour "cuillère" qui se dit "kuiera" ou directement "kuier" aux Marquises et "kuiere" à Mangareva, les îles où le premier contact a été catholique et français. Les autres archipels, eux, favorisent "punu tāipu", de l'anglais "spoon". De même, "paretenia" est le mot signifiant "nonne" presque partout en Polynésie (du grec "parthenia" pour virginité), sauf aux Marquises et aux Gambier où elles sont appelées "virikine" (de "virginem" en latin).
7 façons de dire "chien"
D'autres mots sont au contraire très divers, ce qui illustre bien comment ils naissent et se répandent dans une langue. Ainsi, un "chien" se dit "'ūri" à Tahiti ; "pore", "'ūgi" ou "kuri" aux Australes ; "ŋaike" et "ŋāeke", avec des variations d'intonation, aux Tuamotu ; "kuri" ou "kani" aux Gambier ; "peto" ou "nuhe" aux Marquises…
D'autres exemples montrent que certaines langues ont un grand nombre de variations entre les îles. Par exemple pour dire "homme charmant", les Pa'umotu ont une dizaine de mots différents, avec des sens plus ou moins péjoratifs et qui changent à chaque île, de "hāviti" à "viru viru" en passant par "akiaki" et "ikeike" jusqu'aux plus simples "viru tamatika" ou "tamariki viru".