1935-1942 : 130 Robinsons en mission secrète


1935-1942 : 130 Robinsons en mission secrète

Le moment le plus émouvant du séjour, le départ du bateau ayant amené quatre jeunes Hawaiiens à Jarvis Island. Ils resteront seuls et isolés plusieurs mois.
Tahiti, le 4 juin 2021 - C’est une facette peu connue de l’histoire des îles du Pacifique que nous allons évoquer aujourd’hui, celle de l’annexion unilatérale par les États-Unis de plusieurs atolls qui, pour la “bonne cause”, furent peuplés par cent trente jeunes, essentiellement des Hawaiiens, de 1935 à 1942. Les Américains, par cette occupation de terres au statut encore flou, comptaient bien les annexer sans demander leur avis aux autres nations de la région et surtout pas aux puissances coloniales, Grande-Bretagne, Hollande et France essentiellement (les Allemands ayant perdu leur empire colonial lors de la Première Guerre mondiale). Qui furent ces Robinsons expédiés en mode survie sur des bouts de corail en plein océan ? George N. West, qui a raconté son aventure sur l’île de Jarvis, nous servira de fil conducteur...
 
Je dois dire que la première vue était écœurante. Tout ce que je pouvais voir était un morceau de sable blanc cahoteux, éblouissant au soleil et à peine au-dessus de l'océan. Je pouvais même voir l'océan de l'autre côté de l'île à des kilomètres au-delà... Ma maison pour trois mois, me dis-je, peut-être six, qui sait ?
 
Quelques dizaines de jeunes gamins
 
A la lecture de ces quelques mots, les premiers qui vinrent à l’esprit du jeune George N. West, on comprend de suite que la grande opération mise sur pied dans le secret le plus complet par les États-Unis ne commençait pas sous les meilleurs auspices. Mais que pesaient les états d’âme de quelques dizaines de jeunes gamins recrutés à leur sortir de la Kamehameha School à Hawaii, par rapport aux ambitions affichés par Washington ?
A l’époque, les États-Unis rêvaient déjà de régner sur le monde, via un impérialisme paré à leurs yeux de toutes les vertus par opposition à un colonialisme dont ils disaient pis que pendre. En plus simple, les Américains jalousaient les empires coloniaux des Européens et rêvaient de mettre eux aussi la main sur des terres qui pourraient servir leurs intérêts géostratégiques, économiques et financiers. Pour cela, les huiles de Washington imaginèrent un plan quelque peu machiavélique de “colonisation des îles américaines équatoriales”, estimant que certaines îles inhabitées du Pacifique, qu’ils avaient déjà revendiquées, leur appartenaient. Le système inspiré de l’usucapion (la terre appartient à celui qui l’occupe sur une longue durée) devait permettre de placer devant le fait accompli les puissances régionales. 

Une vue du petit camp de Baker Island construit sur un coin légèrement en relief afin d’éviter l’inondation en cas de tempête tropicale.
Barrer la route aux Japonais
 
Trois îles étaient dans le viseur américain, Howland, Baker et Jarvis. Dans la foulée, d’autres atolls dans le groupe des Phoenix, appartenant à la Grande-Bretagne, furent eux aussi incorporés au programme de colonisation américain.
Les motivations américaines n’étaient pas dénuées de bon sens. En 1935, aucun satellite ne tournait en orbite autour du globe et l’installation de stations météorologiques était intéressante. D’autre part, l’aviation commerciale prenant son envol, les liaisons entre la côte ouest des États-Unis et l’ensemble Australie et Nouvelle-Zélande devenaient envisageables, à conditions de disposer d’aérodromes relais, compte tenu de la distance à parcourir. 
Enfin, de l’autre côté du grand océan, les Nippons manifestaient déjà des volontés belliqueuses de conquêtes et il convenait de prendre les devants et de les empêcher de s’installer dans la région. D’autant qu’ils avaient des prétentions bien affirmées puisqu’ils essayèrent même d’acheter l’île de Pâques au Chili en 1937, le président chilien Arturo Alessandri ayant donné son feu vert (fort heureusement, pour plusieurs raisons, l’affaire ne put se faire...)
Bref, les bons motifs ne manquaient pas pour coloniser ces îles, encore fallait-il le faire discrètement de manière à ensuite pouvoir justifier d’une occupation permanente depuis “longtemps”. 
Oui, mais voilà, qui donc allait accepter de se retrouver largué au bout du bout du monde sur des îles écrasées de soleil, n’offrant aucune possibilité d’ouverture sur l’extérieur ? Qui, en plus clair, pouvait bien accepter un statut équivalent à celui de bagnard ?

Officiellement, les jeunes Hui Panalā’au n’effectuaient que des taches civiles, mais leur présence, à partir de 1940, était en réalité voulue par l’armée qui disposait ainsi d’observateurs.
Sur les traces de leurs ancêtres...
 
Les Américains n’étaient pas sans imagination : pas la peine de chercher à recruter un jeune New-Yorkais ou un habitant de Chicago, aucun n’accepterait : en revanche, du côté de Hawaii, si on présentait bien la chose à des jeunes soucieux de prouver leur valeur en marchant sur les traces de leurs ancêtres polynésiens capables de s’adapter aux rudes conditions de vie des atolls du Pacifique, ça pouvait marcher. Et ça marcha puisque de 1935 à 1942, surtout grâce au bon vouloir de la Kamehameha School et de quelques autres écoles de l’archipel, cent trente jeunes baptisés Hui Panala’au, majoritairement des Hawaiiens, furent recrutés et expédiés sur ces îles désertes.
Georges N. West raconte les conditions de son recrutement : “Mes années de lycée touchaient à leur fin. Quatre ans sans histoire je pensais, pas d'honneurs athlétiques, pas de gloire, pas d'espoir d'aller à l'université –juste des souvenirs. Soudain, on m'a appelé dans le bureau du directeur... On m'a donné une description de ce que je croyais être une expédition purement scientifique. On m'a demandé si je voulais vivre six mois sur une île équatoriale sur laquelle le soleil frappait sans pitié. Elle était inhabitée, à peine au-dessus de l'océan, plate comme une crêpe, une tête d'épingle sur la carte, et à des kilomètres de la civilisation. Je devais être payé et mes devoirs étaient d'aider les hommes mûrs de l'expédition. La description de l'île, je dois l'avouer, m'a un peu effrayé. Mais en apprenant que le projet était parrainé par le gouvernement des États-Unis, j'ai eu moins peur. Naturellement, j'ai accepté d'y aller”. 
“Emballé c’est pesé”, les recrutements allèrent bon train et les départs de ces colons de l’extrême pouvaient commencer. 

Sur Howland Island, les Américains avaient construit le même préfabriqué que sur Baker Island, lui aussi baptisé Government House.
Entraînement à la survie
 
On était donc en 1935 et pour éviter toute assimilation à une colonisation à caractère militaire, non seulement le programme fut tenu secret, mais en outre il fut confié à un organisme dont personne n’avait de raison de se méfier à l’étranger, le Département de l’Intérieur (l’idée de cette opération revenant initialement au Département du Commerce des États-Unis). Avec cette conviction forte que le droit international donnerait raison aux Américains lorsqu’ils feraient savoir que ces îles, parce que régulièrement occupées par des civils, étaient à eux.
Bien sûr, les gamins qui devaient aller survivre sur ces îles hostiles devaient être préparés ; un entraînement à la survie, au sein du Reserve Officiers Training Corps leur fut mitonné pendant la phase finale de leur scolarité ; ils devaient savoir construire une cabane ou une baraque, nager bien entendu, naviguer, piloter un petit bateau, chasser les oiseaux marins et se nourrir du produit de leur pêche, récolte et chasse. Un peu de botanique (histoire de ne pas s’empoisonner) était aussi au menu de leur formation.

“Votre nom restera dans l'histoire”
 
Toujours dans le plus grand secret, les premiers volontaires, ignorant tout des visées internationales et diplomatiques de leur pays sur ces îles, furent embarqués le 20 mars 1935 sur l’USCGC Itasca et ce n’est qu’une fois à bord qu’on expliqua aux recrues où elles allaient et pour quoi faire...
West raconte : “Le 9 juin 1935 à huit heures, l'Itasca quitta le port d'Honolulu. Aucune publicité n'a été donnée à notre expédition. Seuls des amis proches étaient là pour dire adieu. Il semblait y avoir une sorte de secret attaché à notre départ. Pour nous, il n'y avait rien de mystérieux dans la collecte de spécimens naturels et pourtant nous ne pouvions pas comprendre quel était le but ultime du voyage. Deux jours en mer et tout était enfin clair. Le capitaine Meyer nous a rassemblés. En nous regardant pendant environ cinq minutes, il a finalement dit : “Les garçons, un jour, vous serez peut-être fier d'avoir fait ce voyage. Votre nom restera dans l'histoire. Vous allez coloniser et aider à revendiquer trois îles pour le gouvernement des États-Unis. Ces îles seront de célèbres bases aériennes sur une route qui reliera l'Australie à la Californie.”
Bien sûr, c'était inattendu mais en même temps agréable. Avant que nous puissions dire quoi que ce soit, le capitaine Meyer a poursuivi en disant : “Votre premier objectif est simplement de vivre sur ces îles et de tenir fidèlement un journal des événements quotidiens. Ensuite, nous vous demandons de tenir un rapport météorologique quotidien”...

Sur certains de ces atolls colonisés en grand secret, il fallut aménager ce qui devait devenir une piste d’aviation. Un petit engin à chenilles servit à aplanir le terrain et, lorsque le ravitaillement arrivait, à amener au camp les bidons d’eau douce (notre photo, Howland Island).
Une mission devenue militaire
 
Les garçons eurent aussi à préparer ce qui deviendra plus tard une piste d’atterrissage.
Sur Jarvis, le débarquement se passa bien, des soldats les attendaient qui embarquèrent le jour même laissant quatre garçons seuls sur leur bout de corail : “Il a fallu à Frank Cockett et moi-même deux semaines pour nous adapter au climat. L'éclat du soleil sur le sable blanc était aveuglant, nous devions porter des lunettes tous les jours et la chaleur était terrible. Elle semblait vous enlever l’énergie et vous donnait une sensation de fatigue et d'usure. Nous n'avons pas fait beaucoup de travail à ce moment-là, sauf pour enregistrer la météo et étudier notre environnement physique.”
La vie suivit ensuite son cours, les autorités américaines faisant en sorte de relever tous les trois ou six mois les jeunes qui furent donc au total cent trente à jouer les Robinsons jusqu’en 1942. Vingt-six rotations eurent lieu grâce aux navires des US Coast Guards.
Du côté de Washington, on suivait évidemment d’un œil cette opération. Pas la moindre protestation sur le plan international, tout allait bien de ce côté-là. En revanche, l’idée de faire de ces îles des aérodromes sur la route vers l’Australie prit du plomb dans l’aile ; mais par contre, leur utilité militaire face à un Japon de plus en plus arrogant et agressif semblait évidente. La mission prit donc une finalité purement militaire, même si les jeunes Hui Panala’au n’en furent pas informés et ne reçurent aucune arme.

Quatorze bombardiers japonais, dès le 8 décembre, bombardèrent les petits atolls occupés par les Américains, la preuve que la “colonisation secrète” de ces derniers n’avait pas échappé aux espions nippons.
14 bombardiers japonais et un sous-marin !
 
Quelques mois avant le drame de l’attaque de Pearl Harbour par les Nippons, en juin précisément, le général américain commandant le 14e district naval jugea les gamins beaucoup trop exposés et sans aucun moyen de se défendre en cas d’agression japonaise. Il demanda leur retrait mais Washington refusa. Le 7 décembre, ce fut l’attaque de Pearl Harbour, mais ce que l’on sait moins, c’est que le 8 décembre, les avions japonais attaquèrent ces îles occupées par de jeunes Américains, notamment l’île de Howland, en la bombardant, tuant deux des Hui Punala’au (Richard Kanani Whaley et Joseph Kealoha Keli'hananui,). Le 10 décembre, c’est un sous-marin, lui aussi japonais, qui vint finir le travail en achevant de détruire ce qui restait d’installations à terre. Les deux survivants se sont littéralement enterrés sous des coraux morts et heureusement constatèrent que les marins ne débarquaient pas, le submersible étant reparti. 
Durant plusieurs semaines, les atolls américains furent ainsi régulièrement bombardés par les forces japonaises. Les Nippons, malgré le secret de l’opération du côté US, savaient donc parfaitement bien que les Américains occupaient ces îles réputées inhabitées et désertes, ce qui en dit long sur l’efficacité de leurs services de renseignements militaires à Honolulu.

Des îles finalement annexées
 
Finalement, les quatre jeunes sur l’île de Baker, les deux survivants sur Howland furent évacués le 31 janvier 1942 et les huit sur Jarvis et Enderbury le 9 février 1942. C’en était fait du programme de colonisation des îles équatoriales des États-Unis mais bien entendu, forts de leur position de vainqueur de la Seconde Guerre mondiale, les Américains annexèrent purement et simplement ces atolls à la fin du conflit. Quant aux Hui Palana’au, pas sûr qu’ils aient réellement servi à quelque chose compte tenu du grand chamboulement que fut la guerre du Pacifique, entre 1942 et 1945...

Le retour à Baker Island

Le motu Betio, une des plages de débarquement sur Tarawa. La prise de cette île par les Américains marqua un temps fort de la Guerre du Pacifique, mais le prix à payer fut très lourd en vies humaines. Les US Marines étaient partis de la base de Baker Island (photo : U.S. Navy - U.S. Defense Visual Information Center).
Les bombardements et attaques successives des Japonais en décembre 1941 et en janvier 1942 ont sonné le glas de la présence américaine sur ces atolls perdus. Mais pourtant, les Américains reviendront très vite, puisqu’en juillet 1943, ils débarqueront cette fois-ci en masse sur l’île Baker pour y bâtir une base militaire dotée d’une piste et d’un aérodrome. 
Baker Island jouera un rôle essentiel dans la guerre du Pacifique puisque c’est à partir de cette base que le gros des forces américaines sera envoyé à la conquête d’un autre atoll, Tarawa, qui marquera en novembre 1943 un tournant dans le conflit puisque les Japonais y seront sévèrement battus. La bataille de Tarawa dura en effet soixante-seize heures durant lesquelles les Marines affrontèrent les soldats nippons qui avaient déjà eu le temps de creuser des défenses dans le sol de l’île. Les Japonais perdirent cette position et de part et d’autre, on releva environ six mille morts au combat, deux mille environ chez les Américains, 4 690 côté Japonais et travailleurs coréens sur le site. Seuls cent vingt-neuf Coréens et dix-sept Japonais survécurent à ce bain de sang.

Deux morts sous les bombes

Les cent trente gamins embarqués dans cette folle tentative de coloniser des atolls déserts ont formé, après la guerre, une association pour garder vivant le souvenir de leur expérience, une association nommée bien évidemment Hui Panalā’au. Deux d’entre eux avaient trouvé la mort à Howland Island durant un bombardement dû à quatorze avions nippons ayant largué une trentaine de bombes. 
Les survivants, en majorité des Hawaiiens d’origine, ont perpétué le souvenir de cette époque où ils devaient être les fers de lance de la colonisation de certaines îles du Pacifique, sans qu’on leur ait réellement expliqué la portée de leur mission et le symbole qu’elle représentait.
L’un des jeunes hommes sur Howland a raconté en détail la mort de ses deux camarades : “vers midi, nous étions tous les quatre sur la plage, à nettoyer les poissons et à les faire sécher. Soudain, Joe Keliihananui a levé les yeux et a vu quatorze bombardiers bimoteurs voler haut du nord-ouest. Ils ne ressemblaient pas à des avions américains et venaient de la mauvaise direction. Agissant sur l'intuition que quelque chose n'allait pas, nous avons tous couru vers le point élevé (environ vingt pieds au-dessus du niveau de la mer) au centre de l'île. Il y avait un petit bosquet d'arbres kou morts et en décomposition qui nous camouflait partiellement ; Joe et Dick Whaley allèrent ensemble, tandis qu'Elvin Mattson et moi nous sommes restés ensemble.
D'une hauteur d'environ dix mille pieds, les bombardiers ont largué une vingtaine de bombes, puis ont fait demi-tour et sont revenus sur l’île, en larguant une dizaine de plus. Les explosions ont secoué le sol sous nos pieds et la fumée cachait presque tout à notre vue. Mattson pensait avoir entendu un cri, mais nous ne pouvions pas être sûrs… Nous n'avions même pas un seul revolver. Mattson et moi étions allongés à plat ventre dans un bouquet de buissons à cent pieds de l'endroit où Joe et Dick se cachaient. Pendant que nous regardions, trois avions Jap sont arrivés plus bas qu'avant, mitraillant les bâtiments du gouvernement et la station de radio. Quand les avions sont finalement partis, Mattson et moi nous nous sommes dirigés vers l'endroit où Dick et Joe gisaient. Ils avaient été durement touchés. Ils étaient tous les deux blessés aux jambes et l'un d'eux avait une blessure à la poitrine et un trou dans le dos. Nous allions aménager un endroit pour les installer, mais au moment où nous avons arrangé quelque chose, ils étaient morts. Cette nuit-là, Mattson et moi n'allions laisser aucune chance de nous faire prendre dans le bâtiment si les Japonais venaient à bombarder à nouveau. Nous avons pris nos couvertures et nos vêtements et nous avons dormi à l'air libre.

Les Hawaiiens dans leur élément

Les Américains avaient considéré, en lançant cette opération de colonisation, que seuls des Hawaiiens, habitués au climat, pourraient tenir le choc et s’organiser pour survivre dans des environnements aussi hostiles.
Si le président Roosevelt et ses conseillers avaient décidé de poster sur ces îles inhabitées des jeunes originaires de l’archipel d’Hawaii, c’est parce qu’ils savaient bien qu’eux seuls parviendraient à réellement survivre dans les conditions très difficiles qu’offraient des atolls. Et de fait, hormis quelques jeunes non originaires de Hawaii, affectés au fonctionnement des radio-émetteurs, tous les autres étaient des Polynésiens de souche, habitués donc à la vie dans des milieux insulaires tropicaux. 
Voici le témoignage d’un officier de la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) ayant observé ces Hui Panala’au en action : “Il n'y avait jamais de “maisons” sur ces petites îles couvertes de guano, des endroits très désagréables et inhospitaliers. Les quartiers d'habitation étaient des tentes ou des constructions en bois rudimentaires. Les navires ne pouvaient pas s'approcher de ces îles à cause des récifs coralliens qui les entouraient. Tous les produits de première nécessité étaient transportés sur de petits bateaux ou roulés dans des barils (eau, pétrole). Les Hawaïens ont occupé ces îles avec une ingéniosité, une habileté, une bravoure et un équilibre incroyables. Leurs tâches officielles, ainsi que leur présence, consistaient à rédiger des rapports météorologiques 24 heures sur 24 et à collecter des spécimens et des informations sur les plantes, les coquillages, les oiseaux et la faune. L'une de leurs principales sources de nourriture était la pêche dans les récifs infestés de requins. En 1937, un terrain d'atterrissage primitif et une balise lumineuse ont été construits sur l'île Howland en prévision du vol autour du monde d'Amelia's Earhart. Des hommes supplémentaires et un petit tracteur ont été ajoutés au personnel et à l'équipement de l'île pour accomplir cette tâche.” 

Howland et Baker : sauvés !

Après les bombardements japonais qu’ils eurent à subir, les jeunes Hawaiiens étaient convaincus de deux choses : soit les ennemis débarqueraient et ils seraient, au mieux, faits prisonniers, soit ils seraient abandonnés sur place le temps de la guerre, oubliés des Américains. Voici le récit d’un survivant de Howland : “vint le matin du 31 janvier. Juste après l'aube sur le côté ouest de l'île, nous avons vu un destroyer gris foncé… à l'horizon. Nous ne pouvions pas être sûrs de sa nationalité mais nous avons imaginé que c'était un japonais… avec une équipe de débarquement pour s'emparer formellement de l'île. Une demi-heure plus tard, nous avons vu la mise en route du débarquement. Nous les avons regardés pendant un moment et sachant qu'ils nous retrouveraient tôt ou tard, nous avons décidé de nous rendre. Quand nous étions à moins de trente mètres, mon cœur a fait un bond formidable et j'ai été heureux pour la première fois depuis de nombreuses semaines. C’était des… Américains ! Quelques minutes plus tard, Mattson et moi avons été emmenés à bord du destroyer américain. À midi, ce jour-là, le destroyer était au large de Baker Island, où, malgré une forte houle, nous avons sauvé les quatre garçons qui y avaient été bloqués depuis le début de la guerre. Tous les six, nous avions soif, faim et nous étions presque nus. Lorsque nous avons finalement atterri à Hawaï, nos familles ont pensé que nous étions ressuscités d'entre les morts.

Les requins au quotidien

Les requins faisaient partie du quotidien des jeunes Hui Panalā’au qui en pêchèrent beaucoup pour se distraire.
Marsouins, raies pastenagues, oiseaux marins, poissons divers, les jeunes Hawaiiens en poste sur ces atolls inhabités n’avaient que la nature pour seule compagne. Et parmi une faune marine riche, ce sont bien entendu les requins qui tenaient la vedette. Voici comment l’un d’eux décrit leurs rapports avec les squales : “Parfois, nous passions toute la journée à pêcher des requins juste pour le plaisir. Nous les assommions et les rejetions en arrière ou leur extrayions leurs mâchoires à des fins ornementales. À la porte de notre chalet, nous avons accroché une mâchoire de requin et chaque fois qu'une plus grande mâchoire de requin était trouvée, l'ancienne était jetée. C'était une sorte de jeu que nous maintenions.
Une chose étrange que nous avons découverte sur le requin est qu'il a une peau si résistante qu'il est pratiquement impossible de la percer. À peu près le seul endroit qui peut être percé est la gorge. Les Mers du Sud d'ailleurs sont littéralement infestées de requins. Ils aiment l'eau chaude. Les requins ont un odorat très vif, à tel point qu'un morceau d'appât pour poisson attirera un banc d'entre eux en cinq minutes. Ils atteignent jusqu'à quatorze pieds de long. Ces créatures mangeuses d'hommes, à plusieurs nageoires, sont perfides lorsqu'elles sont en eau profonde, vicieuses lorsqu'elles ont faim et furieuses lorsqu'elles sont taquinées par le sang. Mais aussi étrange que cela puisse paraître, elles ont autant peur des humains que les humains ont peur d’elles. Il y a deux ou trois façons de les effrayer. La première consiste à éclabousser vigoureusement l'eau. Une autre consiste à leur lancer des pierres ou du corail. Cependant, aucune n'est efficace en eau profonde. Nous sommes allés nager avec des requins à seulement cinquante mètres de nous et n'y avons pas pensé. Nous avons appris que dans les eaux peu profondes (nous n'avons nagé qu’autour du récif), les requins tentent rarement d'attaquer. D'ailleurs nous avons toujours eu l'avantage. Nous pouvions voir l'approche d'un requin par ses mouvements et pouvions généralement sortir de l'eau avant qu'il ne puisse nous atteindre. Mais, étrange encore, peu importe où, un requin attaquera presque toujours un nageur solitaire.

Quelles sont ces îles ?

Les Américains jetèrent, initialement, leur dévolu sur trois îles qu’ils avaient déjà revendiquées depuis le XIXe siècle (pour les gisements de guano), Baker, Howland et Jarvis, mais ils n’hésitèrent pas à étendre leurs prétentions sur deux îles appartenant à la Grande-Bretagne, qu’ils décidèrent unilatéralement d’occuper (Kanton et Enderbury). Après guerre, les deux pays alliés les administrèrent pacifiquement, sous forme de condominium, jusqu’à l’indépendance du Kiribati, l’un des États les plus pauvres du monde aujourd’hui, sous la menace bien réelle de la montée des eaux.
 
Baker Island : archipel des îles Phoenix (sous tutelle américaine en tant que “territoire non organisé et non incorporé”, classé refuge national de la faune de l’île Baker et administré depuis Washington par l'United States Fish and Wildlife Service. Île intégrée au Pacific Remote Islands Marine National Monument.
Superficie : 2,15 km2. Découverte en 1832. Située à 21 km au nord de l’équateur. La piste d’aviation de 1 665 m de long est inutilisable et l’île est inhabitée. Pas d’eau, pas d’arbres, visites interdites.
 
Howland Island : à 68 km de Baker Island. 2,62 km2. Découverte en 1822. Territoire américain non organisé et non incorporé administré depuis Washington par l'United States Fish and Wildlife Service  ; Île intégrée au Pacific Remote Islands Marine National Monument. Pas d’eau, pas d’arbres, visites interdites.
 
Jarvis Island : à 40 km au sud de l’équateur. Superficie : 4,5 km2.
Découverte le 21 août 1821. L’île est une réserve naturelle (Jarvis Island National Wildlife Refuge) depuis le 27 juin 1974, intégrée au Pacific Remote Islands Marine National Monument. Statut : îles mineure éloignée des États-Unis, administrée par l’United States Fish and Wildlife Service, classée National Wildlife Refuge. Pas d’eau, pas d’arbres, visites interdites.
 
Kanton Island : appelée aussi Canton ou Abariringa. C’est le plus grand atoll des îles Phoenix (9,1 km2 de superficie de terres émergées, lagon de 11km x 5km). Découvert en 1824. Intégré à l’actuel Kiribati. Vingt habitants en 2015. Piste d’atterrissage à rénover (ancien relais pour les hydravions entre San Francisco et l’Australie). Après l’occupation américaine, l’île britannique deviendra un condominium anglo-américain jusqu’à l’indépendance du Kiribati.
 
Enderbury Island : atoll des îles Phoenix, rattaché au Kiribati. 5 km2 de superficie. Aucun habitant. Petite lagune saumâtre au milieu des terres. Pas d’eau, pas d’arbres ou presque, pas de port naturel. Situé au sud-est de Kanton Island. Après l’occupation américaine, l’île britannique deviendra un condominium anglo-américain de 1939 à 1979 avant d’être intégrée à la République du Kiribati.
 

Rédigé par Daniel Pardon le Vendredi 4 Juin 2021 à 18:27 | Lu 3614 fois