Tout le monde a entendu parler de Phileas Fogg, héros du roman de Jules Verne "Le tour du monde en 80 jours", paru en 1872. A cette époque de nouvelles inventions technologiques, d’explorations et de consolidations d’empires coloniaux, les voyages autour de la Terre semblaient de jour en jour devenir sinon plus aisés du moins plus envisageables qu’un siècle plus tôt. La machine à vapeur et la révolution industrielle avait ouvert de nouveaux champs d’investigations et les projets les plus hardis voyaient de jour, chez tous les scientifiques notamment et chez tous les explorateurs dans l’âme, ceux qui voulaient remplir les taches encore blanches sur les cartes de géographie.
L’engouement pour les voyages était tel que le tourisme se développa lui aussi rapidement : on pense par exemple à la fréquentation d’une bourgade comme Chamonix, devenue en quelques années le temple de l’alpinisme.
Il était logique, dans cette ambiance, que l’on tente sans cesse de repousser les limites de l’impossible et c’est en s’inscrivant dans ce schéma de pensée qu’un obscur journaliste français, Henri Gilbert, décida de se lancer dans un projet totalement fou, effectuer un tour du monde à pied, dans un délai donné.
Autant le dire, l’affaire fit parler du bonhomme d’autant qu’en bon journaliste, Gilbert se proposait d’abreuver deux journaux de l’époque de photos et de récits de sa progression. En jeu, outre la gloire, un pari portant sur dix milles livres sterling qui provenaient de six personnes riches : trois d’entre elles soutenaient le journaliste et le donnaient gagnant, trois autres le donnaient perdant.
Outre les dix mille livres sterling promises à Gilbert, celui-ci avait prévu de rédiger un livre narrant son immense périple, livre qui devait, escomptait-il, lui rapporter au mois vingt mille livres sterling (plus de trois millions d’euros actuels). Bref la fortune était là, sous ses semelles...
Avant de se lancer à la conquête du monde dans les pas de notre aventurier, revenons sur la situation de ce personnage.
Que sait-on de lui exactement ? Henri Gilbert était né à Nantes le 14 mai 1865 d’une famille de la classe moyenne, son père étant un commerçant de la ville, marchand de chaussures (ça ne s'invente pas).
On ne sait pas grand-chose sur le début de la carrière d’Henri Gilbert, jeune journaliste quelque peu exalté, travaillant, afin de financer ce tour du monde, pour le journal Le Radical d’Alger et pour La Dépêche du Midi. Toutes proportions gardées, on est donc loin d’une affaire médiatique majeure, tenant en haleine tous les grands quotidiens parisiens...
Sur le plan personnel, Gilbert avait épousé à Marseille, le 17 novembre 1888, une jeune Louise Euphrasie Brieau, avec laquelle il eut une fille, Lucie Gilbert.
Détail important pour comprendre la fin mystérieuse de cette longue odyssée, Henri Gilbert, après son départ de Paris le 19 février 1895 (il avait donc vingt-neuf ans), ne revint jamais en France et surtout ne donna plus jamais de ses nouvelles à sa famille qu’il abandonna apparemment sans le moindre remords.
La première partie de son voyage ne présente pas un intérêt majeur ; il le documenta, pour prouver la véracité de son périple grâce à ses textes et photos envoyés régulièrement aux journaux, sachant qu’outre ses déplacements obligatoirement effectués à pied, Gilbert devait assurer sa pitance lui-même puisque l’une des clauses du défi était qu’il parte sans un sou sur lui. Il devait être auto-suffisant dans tous ses déplacements, et lorsqu’il se trouvait face à une mer, il devait négocier son voyage à bord d’un bateau de son choix.
Lors de son départ, Gilbert emporta avec lui un sac de voyage et évidemment un appareil photo et de quoi faire des clichés.
De Paris, il gagna la frontière espagnole, traversa la péninsule ibérique, passa en Algérie, en Tunisie, en Egypte, dans l’actuel Irak (en Mésopotamie). Il parvint plus tard à Bombay, en Inde, qu’il traversa pour se rendre au Sri Lanka (alors Ceylan). De là, il s’embarqua directement pour la ville de Singapour. Il parcourut dans sa longueur l’île de Java, direction plein sud, où il trouva un navire qui le conduisit sur la côte ouest de l’Australie.
On ignore sa date d’arrivée précise à Fremantle, probablement à la fin du mois d’août 1897, peut-être début septembre. Et c’est ici que son odyssée nous intéresse, car notre grande voisine l’Australie allait réserver bien des surprises au petit Français ne maîtrisant qu’approximativement l’anglais. Il resta sur l’île-continent suffisamment longtemps pour en apprendre plus que les rudiments, mais l’Australie, il faut bien l’avouer, sonna le glas de ses espoirs de remporter les dix mille livres sterling espérées.
Si l’on sait bien des choses sur le périple australien du “marcheur fou de l’outback” c’est en grande partie grâce à la publication, en l’an 2000 seulement, d’un livre intitulé “A Frenchman’s walk across the Nullarbor, Gilbert’s Diary, Perth to Brisbane”. Ce texte écrit en français mais traduit en anglais par un spécialiste de la langue française, le docteur Colin Dyer, n’est autre que le journal qu’avait minutieusement tenu Henri Gilbert durant la plus grande partie de son séjour en Australie, journal qui a été retrouvé, un peu par hasard, dans une bibliothèque de la ville de Brisbane...
De Fremantle, Gilbert se rendit à quatre cents kilomètres de là environ dans la petite ville d’Albany, à l’extrême pointe sud-ouest de l’Australie. Dans son esprit, c’était à partir de ce point précis que sa véritable traversée de l’île-continent allait pouvoir commencer. Il n’allait pas être déçu !
Gilbert se remit donc en marche pour ce qui fut le plus long, le plus difficile et le plus dangereux de ses trajets. Parti d’Albany avec son baluchon et son appareil photo en direction d’Adélaïde, il n’alla pas bien loin : une nuit de sommeil, un trou noir côté mémoire, et il se réveilla le second matin dépouillé de tous ses biens, après avoir, accusa-t-il, été drogué !
Retour à Albany et second départ, avec la ferme volonté de se montrer plus vigilant. Face à lui, l’outback dans toute sa splendeur ou son horreur, la plaine désertique de Nullarbor, jusqu’à Yacka en Australie méridionale. En gros, deux mille six cent vingt-cinq kilomètres à pied, sous une chaleur écrasante, sans l’ombre d’une ombre et sans assistance aucune.
Nullarbor, appellation dérivée du latin, signifie “sans arbre”. Le nom aborigène de la région, Oondiri est plus parlant encore puisqu’il signifie “sans eau”.
Le journal de Gilbert est relativement précis sur ce “very bad trip”. Son seul point de repère pour ne pas se perdre au milieu de ce no man’s land fut le fil du télégraphe qu’il suivit avec application. La faim et la soif le tenaillèrent, il s’épuisa, tomba malade et se retrouva piégé par un vaste incendie de broussailles.
Sans l’aide de quelques rares éleveurs le long de sa route, il est vraisemblable que le Français serait mort bien avant d’avoir atteint son but. Il fut soigné dans un ranch où il effectua un petit séjour histoire de reprendre des forces et d’expliquer à ses généreux hôtes qui tentaient de le ramener à la raison qu’il devait reprendre sa route, à pied, puisque tel est l’enjeu de son pari.
Et le voilà reparti ! Comme il l’avait fait authentifier à Albany auprès du service des postes, partout où il trouva de quoi faire escale, il fit authentifier et certifier son passage ; c’est ainsi qu’il traversa les villages d’Esperance, d’Israelite Bay, d’Eucla (janvier 1898) et finalement de Port Augusta en mars 1898 ; là il fut accueilli avec enthousiasme par une foule qui applaudit un tel exploit. Gilbert avait certes parcouru seulement un peu plus de mille kilomètres (Eucla est à mille deux cent soixante-huit kilomètres de Perth), mais enfin, le plus dur, lui semblait-il, était fait. Jusqu’à Adélaïde, le pays est moins désertique, les villages et stations d’élevage plus nombreux ; il parvint finalement épuisé mais sain et sauf à Adélaïde.
De là, il poursuivit son périple jusqu’à Melbourne où il arriva en juin 1898 et où la presse locale fit état de l’arrivée de ce singulier voyageur. Le 13 août, il parvint à Sydney où il fut très chaleureusement accueilli et quatre mois plus tard, à quelques jours de Noël, il se retrouvait à Brisbane où il faisait les gros titres de la presse : le bonhomme il est vrai avait déjà quatre mille huit cents kilomètres dans les jambes sur le seul sol australien, exploit tout à fait unique à l’époque (pas sûr d’ailleurs que l’on ait fait mieux depuis...).
Un deuxième mariage en route !
C’est ensuite que tout devient confus car à près de cinq cents kilomètres de Brisbane, vivait un éleveur d’origine française, Mathieu Barat, viticulteur de son état. Son vignoble était perdu dans une région du bush appelée Bungeworgorai, près de la ville de Roma. Grace à un article du Warwick Examiner and Times, on apprit qu’en 1900, Gilbert était toujours dans le Queensland. Il avait annoncé à la presse son intention de prendre un bateau pour la Chine le 7 janvier 1899, mais un an plus tard, on le retrouva... marié avec la fille du viticulteur français, Marie Marat! Celle-ci aurait décidé de le suivre à pied dans son voyage...
Adieu la Chine, adieu le tour du monde à pied en solitaire, Henri Gilbert, pourtant déjà marié en France, avait donc convolé en “justes” noces à nouveau en Australie, se gardant bien de révéler sa véritable situation conjugale.
“Elle marche elle aussi”
Le “marcheur solitaire” remarié ? Avouez que l’on est là aux antipodes, c’est bien le cas de le dire en Australie, aux antipodes donc du pari initial, faire le tour du monde à pied, seul, en subvenant à ses besoins...
Alors que le 24 décembre 1898 il était arrivé à Brisbane, encensé par la presse australienne et qu’il devait embarquer pour la Chine moins de deux semaines plus tard, on le retrouva à nouveau sur les routes australiennes, toujours à pied certes, mais avec une femme et un cheval pour porter leur lourd équipement.
Un article du Warwick Examiner and Times nous en apprend un peu plus sur ce qu’il advint du Français: “il sera intéressant pour nos lecteurs de savoir où se trouve M. Henri Gilbert, le journaliste français, qui a quitté Paris le 18 février 1895, afin de faire le tour du monde pour une mise de 10 000 £, et qui est passé par Warwick il y a près de deux années. Il était il y a quelques jours à Barcaldine. Il a jusqu'à présent parcouru 27 000 milles à pied et en a encore 12 000 à faire. Il est passé à Croydon, de là à Port Darwin, et par bateau il doit aller en Chine, puis en Amérique et à Paris, et espère y être avant le 31 décembre 1901, le temps imparti, qui a été prolongé pour cause de maladie. Il est maintenant marié et sa femme, qui parle à la fois le français et l'anglais, est d’une grande aide pour lui dans ses voyages. Elle marche elle aussi et, depuis leur mariage, elle a parcouru 452 milles. Les bagages qu'ils transportent pèsent 94 livres, Mme Gilbert en prenant 42. Henri Gilbert tient un journal, et y écrit son voyage chaque jour. Jusqu'à présent, ce journal représente quatre volumes reliés. Par ce bien, M. Gilbert espère gagner 20 000 £ au titre de ses droits d'auteur. Quand il est passé par Warwick, son intention était de prendre un bateau à Brisbane pour la Chine ! Depuis, il a “traîné” à travers le pays à la recherche de ce bateau !”
Madame Gilbert à deux doigts de la mort
Mais est-ce bien en “traînant” dans le bush du Queensland que l’on peut dénicher un bateau pour la Chine? Assurément non. L’article du Warwick Examiner and Times nous apprend toutefois une chose importante : Gilbert a été malade, suffisamment longtemps et gravement pour que son retour en France, dans le cadre de son pari de dix mille livres, soit décalé d’une année. Malade ou victime de la maladie d’amour qui lui a fait épouser une jeune femme? Nul ne sait.
Le même quotidien qui, décidément, s’intéresse alors au sort du Français, raconte dans une de ses éditions que la nouvelle Madame Gilbert a bien failli mourir durant la longue marche de son mari: selon le Warwick Examiner and Times, “Madame Henri Gilbert, dont le mari fait le tour du monde à pied pour la somme de 10 000 £, a vécu une expérience très désagréable (dit le “Cloncurry Advocate” du 2 mai); elle s’est perdue dans la brousse pendant près de deux jours et une nuit. Il semble qu'elle ait quitté l'hôtel Gregory Downs pour récupérer les chevaux, qui étaient assez proches. Elle trouva les chevaux mais partit dans la direction opposée. Comme elle ne revenait pas le soir, des équipes de recherches sont allées dans toutes les directions pour essayer de la retrouver, mais la nuit est venue et elle était toujours portée disparue. Ce n'est que tard dans la soirée suivante qu'elle a été retrouvée par Eddy Hooper, qui faisait partie de l'équipe de recherches toute la soirée précédente et qui gardait un œil attentif. Remarquant un objet blanc se trouvant à une certaine distance de la route, il est allé voir et a découvert que c'était la pauvre dame. Elle s'était dépouillée de tous ses vêtements, sauf de ses sous-vêtements, et, abandonnant tout espoir, s'était couchée pour mourir. Elle avait bien sûr perdu la raison. Elle s'est mariée il y a à peine douze mois à Warwick. Ce sera quelque chose pour M. Gilbert à mettre dans le récit de ses voyages, qu'il a l'intention de publier.”
Trois chevaux et un bébé!
Le “mariage à Warwick” est sans doute une erreur géographique du journal. Pour le reste du voyage, c’est le journal Burketown Telegraph qui prit le relais. Il rappelle que Gilbert avait un délai pour effectuer son tour du monde et que celui-ci était passé (cinq ans et trois mois). Il prétendit, ce qui semble plus que douteux, que le Français avait connu sa femme lorsqu’il était plus jeune, en France.
Après six semaines passées à Burketown, bloqué par des rivières en crue, le couple reprit sa route, Madame Gilbert montée sur un cheval, le journaliste conduisant à pied deux autres chevaux chargés de tout leur équipement, dont une tente. Les deux aventuriers avaient été hébergés gratuitement dans un petit hôtel, Gilbert faisant état du plaisir qu’il avait eu d’être si généreusement accueilli partout par les Australiens. Un journal, qu’il reçut juste avant son départ de Burketown faisait état de sa mort, le voyageur notant avec humour que c’était la troisième fois qu’un quotidien le disait décédé.
Quant à la raison qui fait que des chevaux vinrent au secours des deux jeunes mariés, il tient au fait que le 20 juin 1901, à Powell’s Creek (Territoire du Nord), Gilbert avait présenté aux autorités une petite fille baptisée Marie Powell Henriette Gilbert, née de Henri Narcisse Gilbert et de Marie Barat.
Les voyageurs, continuant leur route, seraient arrivés à Port Darwin le 21 septembre 1901. De là, le Warwick Examiner and Times, qui décidément ne lâcha pas le Français, révéla que la petite famille s’était embarquée pour Hong Kong le 19 octobre sur le Guthrie.
L’idée originelle, celle du pari de ce tour du monde, prévoyait que le marcheur devait remonter une partie de la Chine, traverser le Pacifique jusqu’à San Francisco, descendre l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud, puis s’embarquer, peut-être de Buenos Aires, à destination de l’Europe, bouclant ainsi son périple.
On va le voir, en réalité, Gilbert prit le chemin inverse avant de disparaître complètement.
A partir du moment où il quitta l’Australie, il ne transmit plus aucune information sur ce qu’il faisait, mais sa femme continua à envoyer des courriers à ses proches en Australie et c’est grâce à ces lettres que l’on connaît la suite, et une partie de la fin de la triste histoire.
Maltraité en Chine, mal reçu et malade à Saigon
A son arrivée en Chine, Henri Gilbert fut apparemment maltraité et dut être hospitalisé pendant un mois.
Pendant ce temps, sa femme et sa fille furent hébergées dans un couvent italien.
Dans une lettre Marie écrit: “Nous avons eu beaucoup de malchance depuis notre départ de Port Darwin, et j'aimerais bien que nous y retournions. Nous n'oublierons jamais le bon accueil que nous avons reçu de vous tous, bien que nous soyons Français. Mais les Anglais ont le meilleur cœur. Cela me donne envie de revoir Port Darwin. J'ai toujours voulu vous écrire, mais nous avons vécu des choses si dures et nous avons été couverts de beaucoup de problèmes”
A peu près rétablie, Gilbert fit connaître au consul de France à Hong Kong son projet de remonter à pied une partie du territoire chinois. Impossible lui répondit le consul, trop de pillards, trop de violeurs et d’assassins, pas question de vous exposer vous et votre famille à de tels dangers.Ni une ni deux, le consul les envoya directement à Saigon, dans ce qui était l’Indochine française où les Gilbert seraient plus en sécurité.
Malheureusement pour Henri Gilbert, l’accueil qui lui fut réservé fut des plus froids. Faute d’argent, il organisa des conférences sur son odyssée, mais elles furent loin de faire salle comble et lui et sa femme ne tardèrent pas à contracter des maladies liées au climat tropical humide et aux moustiques.
De Saigon, les autorités françaises les envoyèrent à Hanoi, plus au nord, où Henri Gilbert aurait été victime par trois fois de très fortes insolations (peut-être des fièvres dues au paludisme); à Hanoï, il passa donc le plus clair de son temps alité puis chercha du travail pour nourrir sa famille. Une lettre de Marie nous apprend que pour elle, la situation était pire; parlant de son époux cherchant un emploi, elle écrit: “J'espère qu'il le trouvera bientôt. Pour ma part, je ne suis pas mieux. La maladie m'a rendu si pauvre et faible que j'ai maigri comme une sardine dans une boîte. Je suis toujours à l'hôpital, et mon bébé aussi”.
Très pauvres et très malades...
Employée comme femme de ménage chez un particulier, Marie aurait connu des déboires juridiques, accusée d’avoir dérobé un accordéon alors qu’elle assurait que le plaignant lui avait donné cet accordéon pour qu’elle le vende et puisse s’acheter des robes. Affaire pas très claire mais à ce stade du tour du monde, trois choses sont limpides: les Gilbert vivent dans une extrême pauvreté; leur état de santé s’est terriblement dégradé; le pari du tour du monde est abandonné. Il leur faut donc rentrer, mais rentrer où? Dans le Queensland, chez le père de Marie? En France où plus personne ne semble attendre Gilbert qui a, pour mémoire, déjà une femme et un enfant là-bas?
Entre 1902 et 1904, sans que l’on connaisse la date avec précision, ils purent embarquer sur un bateau se rendant en Europe.
Gilbert voulait-il revenir en France ou se rendre à Alger puisqu’un quotidien de cette ville avait acheté ses reportages? Une seule chose est certaine; Henri Gilbert se débrouilla pour abandonner Marie Barat à Port Saïd où le couple séjourna quelque temps.
Qu’est devenu le bébé? Comment Marie a-t-elle pu regagner ses proches en Australie? Ces questions sont sans réponses aujourd’hui encore. De même qu’à partir de Port Saïd, Henri Gilbert s’est littéralement volatilisé.
Sa famille française ne reçut jamais la moindre nouvelle. Est-il rentré en métropole sous une fausse identité et y a-t-il vécu? A-t-il été à Alger, mais sous quel nom et pour y faire quoi? Est-il parti ailleurs? Est-il mort de maladie? Nul ne sait...
Nullarbor, le pire désert...
Lorsque Henri Gilbert entreprit de traverser le désert du Nullarbor au sud de l’Australie, il ignorait sans doute le défi qu’il s’était lancé car avant lui, personne ne s’était risqué dans une telle aventure. Seul un homme, avec un guide aborigène, avait réussi à faire le chemin inverse, Edward John Eyre, arrivé à dix-sept ans en Australie et qui, en quelques années, s’était taillé une réputation de pionnier du bush australien.
Il avait ainsi réussi, en décembre 1937, à convoyer du bétail depuis Monaro en Nouvelle Galles du Sud (entre Sydney et Melbourne) jusqu’à Adélaïde. Il amenait mille moutons et six-cents bovins en compagnie de huit hommes. Parvenus à Adélaïde en juillet 1838, ils ramassèrent un joli magot en revendant leur bétail.
Avec cet argent, Eyre commença à explorer l’intérieur de l’Australie du Sud. En 1839, il mena deux expéditions, l’une au nord, vers les Flinders Ranges et l’une à l’ouest, vers Cedupa. Il découvrit, lors de sa première expédition, une montagne qui fut plus tard baptisée Mont Eyre en son honneur.
En 1840, il entendit parler d’une expédition dont le but était d’ouvrir pour le bétail une route à travers le désert de Nullarbor.
En connaisseur, il savait que c’était rigoureusement impossible faute du moindre point d’eau, mais il se porta malgré tout candidat pour tenter d’ouvrir cette route. Sa première idée était de monter le plus au nord possible en espérant trouver des terres moins sèches, et sinon, de redescendre sur la côte et de longer celle-ci, à travers cet infranchissable désert.
Il partit avec un compagnon, John Baxter et trois guides Aborigènes. Au menu, trois mille deux cents kilomètres au moins d’absolu désert, donc de faim et de soif avant de s’offrir une bière à Albany.
Le voyage généra des tensions et finalement, le 20 avril 1841, deux des Aborigènes tuèrent Baxter et s’enfuirent avec la plus grande partie de l’eau et des vivres.
Avec Wylie, son seul autre compagnon, Eyre décida de continuer la route, se sachant, sauf miracle, condamné à une mort certaine. Il était trop loin de son point de départ pour revenir en arrière.
Extraordinaire coup de chance, face à ce qui est appelé depuis Rossiter Bay, Eyre aperçut un bateau français, le Mississipi, commandé par un Britannique, le capitaine Thomas Rossiter. Celui-ci secourut Eyre et son compagnon qui parvinrent finalement vivants à Albany, mais en ayant prouvé que la route, pour du bétail, n’était pas envisageable.
Eyre eut une carrière brillante par la suite puisqu’il rentra en Angleterre en 1845, auréolé du prestige que lui avait apporté cette expédition et fut nommé gouverneur, de 1848 à 1853 de la province de Nouvelle-Munster en Nouvelle-Zélande, puis gouverneur de la Jamaïque (où il s’illustra par sa sévérité et sa cruauté envers les Noirs: nommé en 1854, il fut démis en 1866 et rappelé à Londres).
Un golf de 1 365 km de long!
Le désert de Nullarbor se visite aujourd’hui en toute sécurité, grâce à une route asphaltée; depuis la côte, on peut observer des baleines dans l’océan, mais aussi des otaries et des lions de mer; sur terre, on croise kangourous, émeus et dromadaires sauvages. Mais le must du must pour les amateurs de golf est d’effectuer un parcours très spécial puisque le principe est de faire un trou par ville ou par relais routier, ce qui en fait, ne cherchez pas, le plus long parcours de golf du monde, soit mille trois cent soixante-cinq kilomètres. Vous n’êtes évidemment pas obligé de les faire à pied!
Comptez, de Norseman à Ceduna, six jours de balade dans des paysages tout à fait uniques au monde. La Great Ocean Road demeure l’une des routes les plus magiques et les plus emblématiques d’Australie. Mais pour tout cela, il faudra tout de même attendre que les frontières du pays s’ouvrent à nouveau...