1834-1871 : “Le règne” de Laval aux Gambier


Rarement homme aura suscité autant de passions que le père Honoré Laval (1808-1880) ; en débarquant le 8 août 1834 aux Gambier, un archipel encore vierge de toute croyance européenne, il allait contribuer à métamorphoser une société polynésienne jusqu’alors très isolée. “Bon berger” ou “dictateur à la tête d’une théocratie”, les avis sont partagés sur l’œuvre de ce personnage qui marqua de son indélébile empreinte l’évangélisation des Mers du Sud...

Découvertes tardivement par le capitaine James Wilson en 1797 (à bord du Duff de la London Missionary Society), rapidement visitée par Frederick Beechey (1796-1856) du 29 décembre 1825 au 13 janvier 1826 (il en établit la première carte, remarquable, tout en notant la férocité des insulaires et la réserve des femmes), les Gambier, à l’extrême sud-est de l’actuelle Polynésie française, n’ont jamais suscité, compte tenu de leur emplacement, un énorme intérêt pour les explorateurs et aventuriers en quête de richesses faciles. 

Du 6 au 14 février 1834, Jacques Moerenhout (1796-1879), qui joua un rôle si important plus tard à Tahiti, y fit lui aussi une brève escale, mais l’histoire de l’archipel, entendons l’histoire moderne, celle qui a été écrite dans ses moindres détails, ne commença qu’avec l’arrivée des pères Honoré Laval et François Caret (1802-1844).

En 1872, Laval a dû quitter Mangareva ; il sait alors que son rôle, là-bas dans son petit paradis, est terminé.
Rarotonga ou Marquises ?
 
Cela dit, le peuplement des Gambier n’avait pas attendu l’arrivée des prêtres pour se faire : dès le XIIIe siècle semble-t-il, les premiers colonisateurs de cette terre vierge apparurent, peut-être en provenance de Rarotonga. Il est également possible que le tout premier peuplement soit antérieur de deux ou trois siècles et que les premiers habitants soient venus aux alentours de l’an 1000, depuis les Marquises.

Quand Laval débarqua, il trouva une société structurée autour des nobles, les togo’iti, et du commun des mortels, les ‘urumanu. L’archipel était sous la domination d’un roi et de sa famille, tous togo’iti bien entendu. Dans le panthéon mangarévien régnaient trois divinités, Atumotua, Atumoana et Tagaroamea. Quant à la lignée des ancêtres quasiment divinisés, elle se montait à vingt-deux personnages ayant précédé le roi Maputeoa. 

De nombreuses autres divinités hantaient ce panthéon, dont l’incontournable Tuhorokava, protégeant les indispensables arbres à pain. Sacrifices humains et même anthropophagie en cas de famine étaient de mise, lorsque les arbres à pain se montraient avares en fruits (les mei) et le lagon tout aussi avare en poissons. 
Le royaume n’était pas aussi uni que le souhaitait Maputeoa, puisque si son emprise sur l’île de Mangareva était bien réelle, certaines îles se montraient volontiers sinon insoumises, du moins quelque peu indisciplinées et des frictions, voire des guerres, rythmaient la vie de l’archipel. Des guerres sans pitié, sans survivants, les vaincus, pour éviter de passer au four n’ayant d’autre ressource que de s’exiler sur leurs pirogues doubles.

Marie Joseph Coudrin avait réussi à survivre aux purges sanglantes de la Révolution ; c’est lui qui créa la congrégation dite des Picpus.
À la grâce de Dieu !
 
Bien loin de là, un jeune prêtre rescapé des purges de la Révolution française, l’abbé Marie-Joseph Coudrin (1768-1837), fondait en 1800 la congrégation des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie ; il s’installa en 1805 rue Picpus, nom qui devint vite le surnom de sa congrégation. Coudrin voyait grand et loin ; il voulait évangéliser les parties du monde alors dans le paganisme ou “l’hérésie protestante”. Une première mission échoua à Hawaii en 1831 (alors îles Sandwich). Un vicariat de la Polynésie orientale fut malgré tout créé, sous l’autorité de Mgr Rouchouze et c’est ainsi que furent envoyés dans le Pacifique Sud, à la grâce de Dieu, un frère irlandais, Jacques Columbin Murphy et trois pères français, Honoré Laval, François Caret (1802-1844) et Antoine Cyprien Liausu (1801-1863).

Ils avaient leur voyage payé jusqu’à Valparaiso ; après, il leur fallait se débrouiller, Dieu devant pourvoir à leurs besoins. Recueillie par un franciscain à Valparaiso, la petite équipe survécut et s’organisa. Liausu resta au Chili pour assurer l’intendance, tandis que les trois autres embarquèrent sur le Peruviana, capitaine Sweetland, à destination des Gambier, terre encore vierge et sans pasteur protestant.

Arrivés à bon port, les trois pères consacrèrent leur nouvelle patrie à Notre-Dame de Paix. 

L’évêque de Tahiti, Tepano Jaussen, rappellera Laval à Tahiti pour mette fin aux polémiques entre civils et religieux.
Un protestant déjà sur place !
 
Si les premiers contacts avec les indigènes se passèrent bien, en revanche quelle ne fut la surprise des missionnaires en constatant qu’un protestant, George Nobbs (1799-1884) était arrivé depuis quelques semaines avec sa femme, Sarah Christian, épousée à Pitcairn (descendante de Fletcher Christian, chef des mutinés de la HMS Bounty). 
Pas hostile aux nouveaux arrivants catholiques, se sentant en relative insécurité à Mangareva, Nobbs finit par partir en février 1835 pour revenir à Pitcairn, tandis que Laval et ses deux collègues installés sur l’île d’Aukena virent enfin leur horizon s’élargir. Car si leur première messe avait été dite le 15 août 1834, si fin mars 1835 l’évangélisation de Aukena et de Akamaru était en très bonne voie, il leur restait à se faire accepter à Mangareva, ce que le roi Maputeoa refusait toujours, même si le grand-prêtre Matua se montra favorable aux missionnaires (ce qui n’alla pas sans créer des tensions au sein de la famille royale).

Le 9 mai 1835 débarquait Mgr Rouchouze lui-même. Une épidémie frappait l’île et Liausu, arrivé avec Mgr Rouchouze, parvint à guérir le roi et son fils, ce qui ouvrit la porte de Mangareva aux catholiques. Le grand temple aux idoles fut transformé en hôpital, les idoles en question furent malheureusement brûlées sans autre forme de procès et le 25 août 1836, Maputeoa était baptisé et devenait Gregorio, en hommage au pape Grégoire XVI.

A Akamaru, une mini-cathédrale accueille les croyants.
Prêcher et construire
 
Très vite la mission s’organisa ; ces pères et frères étaient des prosélytes certes, mais aussi et surtout des bâtisseurs, des organisateurs, des entrepreneurs : ils multiplièrent les plantations pour éviter les famines, ils apprirent aux Mangaréviens à tisser, ils découvrirent (un peu par hasard) qu’avec du corail calciné on obtenait de la chaux pour fabriquer du mortier, et en lançant de vastes récoltes de blocs de coraux transportés sur des radeaux, ils obtinrent la matière première nécessaire à l’édification de bâtiments en dur, grâce au mortier. La chaux seule permettait de peindre en blanc les murs des constructions (en octobre 1836 fut consacrée la première église en dur de toute l’Océanie).

Mgr Rouchouze, s’il n’avait que de bonnes raisons de se féliciter du succès de la mission aux Gambier (on disait alors “à” Gambier), estima qu’il était temps d’envoyer des missionnaires s’attaquer au bastion protestant qu’était Tahiti. Caret et Laval y débarquèrent le 20 novembre 1836 et y découvrirent une reine, Pomare, complètement soumise aux pasteurs et sous la coupe du consul britannique Pritchard. Les catholiques furent expulsés manu militari de Tahiti, ce qui aboutit à l’affaire Pritchard et à l’établissement du protectorat français sur Tahiti où les catholiques purent bien évidemment revenir plus tard.

Dumont d’Urville, lors de son passage aux Gambier, se montra plutôt satisfait du travail des missionnaires catholiques.
Une mission pieuse et au travail
 
Mi-août 1838, lorsque Jules Dumont d’Urville (1790-1842) marqua une escale à Mangareva avec l’Astrolabe et la Zélée, il découvrit une mission en pleine expansion sous la férule d’un Laval encore discret (Caret étant rentré en France après leur expulsion musclée de Tahiti). 

La population était pieuse, les femmes prudes, les jeunes pris en charge notamment pour la mise en valeur des terres, tout le monde était habillé “avec décence” (grâce aux ateliers de tissage traitant le coton poussant sur place) et les bâtisseurs étaient à l’œuvre. Dumont d’Urville, peu enclin aux bondieuseries, commenta positivement, mais avec réserve, ce qu’il avait vu aux Gambier alors que parmi ses officiers, on releva des avis tout à fait divergents, entre admiration sans borne pour l’œuvre des missionnaires partis de rien et l’anticléricalisme le plus marqué. 

L’ancien grand temple des idoles, lors d’une épidémie de tuberculose en 1840, devint de manière durable l’hôpital et au fil des ans, face à un Maputeoa sans grande personnalité, Laval prit de plus en plus l’ascendance sur la famille royale, au point d’exercer lui-même, en réalité, les fonctions de maître absolu de l’archipel, Maputeoa n’étant plus qu’une marionnette à son service. 

Taravai et son entrée d’inspiration gothique. De gros “sept-doigts” ornent la façade.
Premiers conflits avec des équipages
 
De 1849 à 1851, Laval quitta les Gambier pour évangéliser l’archipel des Tuamotu, avec un certain succès il faut le reconnaître. En 1857, le roi décéda et sa femme, Maria-Eutokia, devint régente, encore plus sous la coupe de Laval. Celui-ci instaura, osons le mot, une théocratie à la manière des réductions jésuites au Paraguay. 
Si cette théocratie paternaliste (Laval parle sans cesse de ses “enfants” à propos des indigènes) était très bien acceptée par la population locale, même si certains jeunes voulaient parfois s’émanciper de la tutelle religieuse, les conflits avec les équipages des bateaux enflèrent et s‘envenimèrent ; bien des aventuriers considéraient qu’ils avaient le droit de négocier avec de la pacotille des nacres ou des écailles de tortues partout où ils passaient, sachant qu’en prime, ils entendaient bien se servir dans le cheptel féminin. 
Or Laval interdisait tout commerce direct et mettait filles et femmes à l’abri lors de chaque arrivée de navire. Pas question que des mécréants viennent ruiner les efforts des missionnaires, pas question de laisser des renards entrer dans le poulailler. “Vous civilisez ?”, disait-il, “non vous syphilissez !”
 

La plus grande richesse des Gambier, lorsque le père Laval y vécut, reposait sur les nacres qui étaient vendues aux navires de passage.
Un implacable code de lois 
 
Quant au négoce de la nacre, de qualité exceptionnelle, les marchands, y compris ceux qui s’installèrent sur place, ne supportèrent plus d’être sous le contrôle de Laval ; ainsi deux individus, les sieurs Pignon et son neveu Dupuy, devinrent-ils les bêtes noires des missionnaires qui firent d’ailleurs détruire leur boutique et emprisonnèrent Dupuy six semaines. 

Ce que les Européens de passage apprirent très vite, c’est que Laval et le roi avaient établi un code de lois très strict auquel ils devaient se plier et qu’ils devaient même signer s’ils décidaient de s’installer.

A Tahiti, Pignon avait l’oreille du gouverneur Gaultier de la Richerie qui avait pris ses fonctions en s’embarquant au Chili sur la goélette dudit Pignon, envers lequel il était donc redevable. 

La régente fut condamnée à une amende exorbitante de 160 000 Francs pour la destruction de la boutique de Pignon, somme extravagante qu’elle décida de ne pas payer en attendant le départ du gouverneur. Mais las, son successeur, brutal, de la Roncière, se montra encore plus intransigeant et envoya l’armée récupérer le montant de l’amende tout en montrant par la même occasion que c’était un pouvoir politique civil, accessoirement militaire, qui allait diriger ces îles et non pas des missionnaires, même si officiellement, les Gambier ne faisaient pas partie du protectorat français. 

La tête de Laval...
 
Des résidents se suivirent, Laurencin, Caillet, Hippolyte, tous plus hostiles les uns que les autres aux religieux. L’affaire, ou plutôt les affaires se multiplièrent, les plaintes s’accumulèrent, aucun compromis ne semblait possible entre les catholiques et l’administration. La querelle remonta jusqu’à Papeete bien entendu, puis alla jusqu’à Paris où furent dénoncées pêle-mêle, l’avidité des missionnaires et leur dictature. 
A Papeete, l’évêque Tepano Jaussen joua la carte de l’apaisement, paya ce qui était encore dû, nomma un nouveau supérieur, le père Blanc ; mais la franc-maçonnerie voulait la tête de Laval, et elle finit par l’avoir. 

En avril 1871, après une enquête à charge du commandant La Motte Rouge, enquête qui lava pourtant les religieux de toutes les accusations portées contre eux, Mgr Jaussen rappela le père Laval à Papeete. 

Ce dernier ne manquait pas d’appuis, mais les laïques tinrent bon : une époque semblait révolue, celle des missionnaires pionniers, et finalement Laval, complètement abattu, ne revit les Gambier que brièvement, en juillet 1876 avant de rendre son âme à Dieu en 1880, mort de chagrin d’avoir perdu son paradis...

Louis-Jacques, avant les Gambier...

Le symbole de la congrégation des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie.
Honoré Laval serait né le 6 février 1808 à Saint Léger des Aubées (département de l’Eure-et-Loir). On ne sait que peu de choses sur son enfance rurale, sinon que ses capacités à l’école lui permirent de poursuivre ses études et d’entrer en 1825, à dix-sept ans donc, au sein de la congrégation des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie (les Picpus). Honoré n’est pas son prénom d’origine, celui-ci étant Louis-Jacques. Il se fit appeler Honoré le 30 décembre 1825, lorsqu’il intégra sa congrégation. 

Une confusion persistante existe quant à sa date de naissance, puisque certains biographes considèrent qu’il est né le 6 janvier 1807, dans le hameau de Joimpy, sur la commune de Saint Léger des Aubées.

A Saint Léger, le curé fit ériger une croix métallique rappelant le destin hors normes de l’enfant du pays. On peut y lire une inscription : “A la mémoire de Louis Laval, prêtre, missionnaire, né à Joimpy (hameau de Saint Léger) en 1807. Animé d’une foi ardente, il quitta sa patrie en 1833, évangélisa pendant 46 ans les peuplades sauvages des îles Gambier et de l’archipel des Tuamotu (Océanie) et mourut d’épuisement à Tahiti en 1880. Apôtre zélé, priez pour nous”.

La Motte Rouge blanchit la mission

En février 1871, un navire est envoyé aux Gambier pour mener l’enquête sur les agissements de la mission. Le capitaine de frégate La Motte Rouge est chargé de ce travail. Il est très clair sur deux points : jamais la mission n’a participé à un ou des trafics, contrairement à ce qu’avait affirmé un ancien magistrat de Tahiti, Jacolliot (à Papeete, Laval le fera condamner pour diffamation, Jocolliot perdant son procès). En revanche, La Motte Rouge juge que le père Laval pose un problème et que seul son départ le réglera : “Il est nécessaire de lui faire quitter ce pays et le plus tôt sera le mieux. Esprit dominant, caractère emporté, dévoué sincèrement à la religion qu’il confond un peu avec son ordre, isolé du monde depuis trente-cinq ans et entraîné par des idées religieuses exagérées, cet homme veut à tout prix sauver des âmes et pour cela tous les moyens sont bons”. 

Pour Laval, sans jeu de mots, la messe est dite. La mission poursuivra son travail que ne remet pas en cause le capitaine de frégate, mais le point de cristallisation des haines et rancœurs devait être supprimé et Mrg Jaussen, navré, suivra la prescription.

Laval lui-même dira dans ses mémoires : “le commandant me trouva arriéré de trois siècles dans la manière paternelle de gérer mon saint Ministère”.

Bâtisseur avant tout

Au-dessus de Rikitea, la chapelle qui abrite la tombe du dernier roi des Gambier.
Honoré Laval voulait témoigner, par des bâtiments en dur, de la solidité du catholicisme aux Gambier et pour ce faire, une fois maîtrisée la fabrication de la chaux à partir du corail, un immense chantier fut lancé entre 1840 et 1880. Toute la population fut mise à contribution pour la réalisation d’environ cent dix-huit constructions réparties sur toutes les îles.
Voici quelques chiffres sur ces travaux gigantesques à l’échelle de ce petit archipel : 76 constructions à Mangareva  23 constructions à Akamaru 10 constructions à Aukena  9 constructions à Taravai  
Parmi ces édifices, une cathédrale, Saint-Michel à Rikitea, des églises à Akamaru, Taravai et Aukena, des chapelles, Saint-Michel au cimetière de Rikitea (1850), Saint-Anne à Tokoragi (1847), Sainte-Agathe à Rouru (1850), Saint-Pierre (le tombeau du roi) à Atititoa (1847), Saint-Benoît à Gatavake, un séminaire à Aukena, un couvent au Rouru, l’évêché de Rikitea, des routes, presbytères, chemins, calvaires, cimetières, et même deux splendides arcs de triomphe, l’un en bord de mer à Rikitea et l’autre à l’entrée du couvent du Rouru. Sans oublier la cathédrale de Papeete, due à des bâtisseurs des Gambier !
 
Voici les dimensions des principaux bâtiments encore parfaitement visibles et bien entretenus :
 
Cathédrale Saint-Michel à Rikitea (L. 48m, l. 18 m, h. 21 m.) 1841, les deux clochers ajoutés en 1848.
Église Notre-Dame de Paix à Akamaru (L. 24m, l. 9m) 1844
Église Saint-Gabriel à Taravai (L. 24m, l 9m.) 1868
Église Saint-Raphaël à Aukena (L. 18m, l. 8m.) 1840
Saint-Joseph à Taku (L.21, l. 8) entre 1853 et 1863

Laval écrivain

On doit au père Laval, qui ne manquait pas d’énergie, un travail remarquable en tant qu’historien et ethnologue. Deux ouvrages résument son savoir et son expérience aux Gambier :
  Mangareva, ère païenne (Éditions Haere Po) Les 12 chapitres de la partie Ethnologie dépeignent l’activité quotidienne d’une société insulaire faite de cueillette et de pêche, mais aussi son organisation sociale, la relation à la propriété, au divin et à la mort.
Les 26 chapitres de la Chronique traditionnelle restituent les généalogies des chefs et des grandes familles, des origines lointaines et légendaires jusqu’en 1834, à l’arrivée de ce missionnaire catholique, la violence de leurs conflits et les tentatives d’y mettre fin.
  Mémoires pour servir à l’histoire de Mangareva. Ere chrétienne 1834-1871 (Publications de la Société des Océanistes) Sur plus de six cents pages remarquables de précision (sinon de parfaite objectivité ; qui lui en ferait le reproche ?), Honoré Laval raconte les trente-six années de mission qu’il conduisit aux Gambier. Ses trois dernières phrases résument son sentiment au crépuscule de sa vie : “Mgr (ndlr : Jaussen), pour apaiser cette tempête, m’écrivit au mois de mars 1871, de me rendre à Tahiti, où je continuerais d’être son Provicaire tout le temps que j’y resterais. Mais que je m’y suis dûment ennuyé !!! Est-ce donc là ma récompense de 36 ans de Mission !!!

A lire également

Mangareva et les Gambier (François Vallaux, 208 pages, 1994). Publié par le ministère de l’Éducation de Polynésie française et l’ETAG, Établissement territorial d’achats groupés.

Situation politique confuse

La situation politique des Gambier demeura longtemps floue, sinon confuse. Certes, dès 1844, le roi Maputeoa demanda à être placé sous le protectorat de la France, mais cette demande ne fut jamais ratifiée à l’époque par le gouvernement de Louis-Philippe. Et Bruat se garda bien de l’avouer…
Le 13 décembre 1869, une assemblée constituante, sous la houlette du régent Aarone qui avait succédé à Maria Eutokia à sa mort, adopta une constitution, un document qui ne faisait pas la moindre référence à la France. Mieux même, le 18 janvier 1870, cette même assemblée, se déclarant législative, adoptait un code de justice dont les textes n’avaient pas de rapport direct avec les lois françaises, ce qui mit le commissaire impérial, à Tahiti, dans une rage folle.
Entité juridique semi-indépendante depuis 1844, le protectorat ne fut reconnu par la France que bien plus tard, cet archipel n’étant annexé formellement aux Établissements français de l’Océanie qu’en 1881, à la demande des habitants. Le code mangarévien sera abrogé définitivement en 1887, date qui marque l’annexion définitive de l’archipel à l’ensemble français.
En 1887, on comptait 463 habitants aux Gambier, contre peut-être cinq mille au moment de sa découverte à la fin du XVIIIe siècle et 2 141 en 1838. Laval était convaincu que la population avait été bien plus nombreuse auparavant : “Juste avant notre arrivée, une maladie où la diarrhée dominait, et dont l’introduction était probablement due à quelque navire venu pêcher la nacre, avait fait de grands ravages”.

Gambier contre Gambie ?

François Vallaux, dans son remarquable ouvrage “Mangareva et les Gambier”, cite un épisode étonnant de l’histoire de cet archipel. 
Au début du XXe siècle, les EFO coûtant bien plus qu’ils ne rapportaient, des rumeurs de vente aux États-Unis ou à l’Angleterre circulèrent, notamment à San Francisco, Londres et Paris. Si, finalement, compte tenu de l’ouverture prochaine du canal de Panama, les EFO ne furent pas bradés, il n’en demeure pas moins qu’un courrier du ministre de la Mer à son homologue de la Marine révèle que le gouvernement britannique était prêt à accepter un échange de territoires : la Gambie (enclavée dans l’actuel Sénégal) contre une île des Gambier (Mangareva à l’évidence).
Evidemment, perdre la “perle des Gambier” serait dommageable, mais le ministre des Colonies précisa tout de même : “étant donné l’intérêt considérable qui s’attacherait pour nous à la possession de la Gambie, cette proposition mérite un très sérieux examen”.
On voit mal, au sein du lagon des Gambier, quelques petites îles demeurer françaises et Mangareva sous pavillon britannique ; cela n’aurait guère eu de sens. Mais enfin, la question a été posée et a été étudiée. La Marine ne donna pas suite...

Quelques chiffres

Archipel des Gambier
Latitude : 23°07’
Longitude : 134°58’
Surface des terres émergées : 32 km2
Pourtour récifal : 90 km
Dimensions de Mangareva : 9 km de long pour une largeur de 600 m à 3 km.
Archipel composé de onze motu coralliens (dont Totegegie, l’aéroport), de quatre grandes îles volcaniques (Mangareva, Taravai, Akamanu, Aukena) et de six petites îles volcaniques (citées ci-après dans l’ordre décroissant : Agakauitai, Kamaka, Makaroa, Mekiro, Manui, Makapu).
Le marnage maximum (marée haute/marée basse) est modeste : 1,20 m.
Les Gambier sont âgées de 6 à 7 millions d’années.
Point culminant : Mont Duff 441 m (le Mont Mokoto, dans son prolongement, mesure 411 m).
Le point le plus bas du lagon est à – 80 m. Celui-ci compte trois passes ouvertes sur l’océan.

Rédigé par Daniel Pardon le Vendredi 19 Novembre 2021 à 16:23 | Lu 4655 fois