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17 mai en Polynésie : entre visibilité et silences, les LGBT+ face à la lenteur politique


Tahiti, le 7 mai 2025 - La Journée mondiale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie, le 17 mai prochain, sera l’occasion de libérer la parole en Polynésie. Mais entre discriminations, violence sociale et lenteur politique, le chemin vers l’égalité reste semé d’embûches. Et ce, même si le Fenua reste pionnier en matière de soutien et de droits en faveur de la communauté LGBT dans le Pacifique.


Créée en 2004 par le Comité IDAHO, la journée du 17 mai marque l’anniversaire du retrait de l’homosexualité de la liste des maladies mentales par l’Organisation mondiale de la santé, en 1990. Un rappel, chaque année, que les droits humains ne se négocient pas à l’aune des mœurs locales, et que l’égalité, y compris dans les endroits les plus reculées du globe, ne saurait rester un principe creux.

En Polynésie, cette date s’inscrit dans un calendrier militant dense, porté notamment par l’association Cousins Cousines, en première ligne depuis deux décennies. Pour son président, Karel Luciani, la visibilité reste une arme. “C’est une journée nécessaire et essentielle. C’est un moment pour célébrer les avancées, mais aussi pour rappeler que la violence, les discriminations et la souffrance psychologique sont encore des réalités pour beaucoup.”

Familles brisées, insultes scolaires et discrimination sociale

Derrière les discours officiels sur la tolérance et l’ouverture culturelle, la réalité sociale tranche singulièrement. Homosexualité et transidentité pâtissent toujours d’une solide intolérance et sont encore, pour beaucoup, vécues dans la souffrance. “Il y a encore des ados frappés en classe parce qu’ils sont perçus comme efféminés”, souffle Karel Luciani. Dans les familles, les ruptures sont fréquentes. L’association SOS Suicide reçoit chaque année des appels de détresse liés au rejet. “Un quart des appels viennent de personnes LGBT. Une jeune trans s’est donné la mort il y a quelques semaines, rejetée par sa propre famille”, déplore-t-il. Des appels désespérés arrivent aussi sur la ligne d’écoute de l’association, ouverte 24h/24. “Parents, enfants, amis… On vous écoute”, invite l’activiste.

Les violences ne se limitent pas à la sphère privée. Dans les centres de formation, dans les internats des collèges et lycées, certaines jeunes transgenres sont renvoyées à leur sexe administratif. “Tu es un homme sur le papier, donc tu portes l’uniforme des garçons. C’est ça, le discours. On appelle ça comment, si ce n’est de la transphobie institutionnelle ?” questionne, agacé, Karel Luciani.

Même les dispositifs publics se font parfois les relais d’une norme discriminante. Un conformisme autoritaire, qui confine à l’exclusion, se manifeste trop souvent pour l’accès aux toilettes, ou aux vestiaires de sport. “On laisse ça à l’appréciation des responsables d’établissement. Certains comprennent, d’autres non. Et, au final, ce sont les jeunes qui décrochent.” Sur le plan législatif, le PACS, toujours non reconnu par le droit civil en Polynésie française, constitue un symbole criant d’inégalité juridique. “Des textes locaux prévoient des droits pour les personnes pacsées… mais on empêche les Polynésiens de se pacser ici. C’est une discrimination, purement et simplement.”

​Une vitrine progressiste qui peine à convaincre

Et pourtant, le Pays ne ménage pas ses efforts pour afficher une image progressiste. En mars dernier, le gouvernement polynésien a nommé une ministre chargée des questions LGBT+, une première dans le Pacifique, y compris devant l’Australie et la Nouvelle-Zélande. “Symboliquement, c’est fort. Mais il faut que les actes suivent.”

Car derrière les gestes symboliques, les reculs s’amoncellent. Le drapeau arc-en-ciel, hissé sur le fronton de la présidence en 2022 et 2023, pourrait ne pas flotter cette année. Plus grave encore : la politique sectorielle LGBT, actée en décembre 2023 par le conseil des ministres, restent aujourd’hui sans conséquence. Aucun budget, aucune mesure concrète, aucun calendrier. “Si ces textes restent dans les tiroirs, ça ne sert à rien”, tranche le militant, en saluant tout de même le courage du gouvernement qui a adopté ces textes, malgré des réticences souvent discrètes mais encore trop présentes dans le monde politique comme social.

Dans l’avancée

À l’approche du 17 mai, le constat est tout de même positif. “Oui, on a progressé depuis dix ou quinze ans”, confirme Karel Luciani. Pour l’association, la Journée mondiale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie n’est pas seulement une célébration : c’est un appel, brut et politique, que pour dire que l’égalité reste un chantier. “Elle se construit, par la bienveillance, par le courage politique, et avec la société tout entière.”

En 2026, la Polynésie accueillera la conférence régionale sur les droits humains. L’occasion, peut-être, de transformer enfin les discours en actes.

Une série d’événements pour rendre visibles les fiertés, au-delà du 17 mai


Si la Journée mondiale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie est officiellement célébrée le 17 mai, les initiatives se déploient tout au long du mois, sur l’ensemble du territoire. Jusqu’au 28 mai, le Musée de Tahiti et des Îles accueille l’exposition Fier.e.s, signée Louise Michèle Cartouche. Une plongée sensible dans les identités queer d’Océanie. En écho, le documentaire Fier.e.s sera projeté le 21 mai à 18 heures, dans l’enceinte du musée.
Le 17 mai, cap sur l’île sœur avec le Pirogue Pride Day, organisé par Moorea Explorer.
Le 24 mai, le bar Le Malabar accueillera une soirée spéciale placée sous le signe de l’inclusion.

Rédigé par Thibault Segalard le Dimanche 11 Mai 2025 à 15:59 | Lu 3783 fois