16 décembre 1845 : une améthyste tua Mgr Epalle


Cette illustration montre Mgr Epalle une fois ordonné évêque d’un diocèse aussi vaste que pauvre dans les lointaines « Mers du Sud ».
PACIFIQUE, le 18 juillet 2019 - Le 16 décembre 1845, au cœur de l’archipel des Salomon, un jeune évêque de trente-cinq ans débarquait sur une plage de l’île Santa Isabel, fort de sa foi inébranlable et de sa confiance en la Providence divine. Avant de quitter le bateau, Mgr Epalle avait pourtant dit à ceux qui ne venaient pas avec lui : « je resterais aujourd’hui sur le navire avec bien du plaisir si j’écoutais la nature, mais j’espère que nous reviendrons de bonne heure. » Il revint effectivement de bonne heure, mais agonisant, le crâne fendu par les guerriers du chef Longo. Celui-ci, avant de permettre au missionnaire de s’avancer sur ses terres, lui avait demandé en cadeau sa bague épiscopale, ornée d’une belle améthyste. L’évêque, en éludant la question, avait signé son arrêt de mort.
 
Né dans une famille d’agriculteurs à Marlhes, dans la Loire, le 8 mars 1808, Jean-Baptiste Epalle fut très impressionné à sept ans par un discours de Marcellin Champagnat, fondateur plus tard de la Société des Petits Frères de Marie, dits « Frères Maristes des Écoles  » ou plus simplement Maristes.Champagnat était en quelque sorte un proche voisin du jeune Jean-Baptiste, assurant les cours de catéchisme. Il expliqua à la petite troupe d’enfants tout ouïe que le monde était comme la pomme qu’il tenait dans sa main et que de l’autre côté, il y avait des gens pauvres, cannibales, violents, païens, qui ne savaient rien du Christ et que des prêtres, les missionnaires, avaient pour vocation d’aller leur porter la bonne parole. Jean-Baptiste le comprit ce jour-là : lui serait missionnaire. A l’école, il apprit le latin avec une quasi ferveur, entra au petit séminaire de Saint-Jodard au sud de Roanne, poursuivit ses études à Alix, en Beaujolais, avant d’entrer au grand séminaire de Saint-Irénée à Lyon, dont il sortit pour devenir Mariste.

1838 : cap sur l’Océanie

Son premier poste fut bien loin des Mers du Sud puisqu’il fut envoyé dans la paroisse de Valbenoîte, à Saint-Etienne. Jean-Baptiste avait un frère aîné, l’abbé Barthélémy Epalle, vicaire à Marlhes, qui, lui aussi, espérait partir au loin, et il fut convenu entre les deux frères que l’aîné partirait après le cadet (Barthélémy ne devait, au final, jamais prendre la mer).
Ce fut le 16 juillet 1838 que Jean-Baptiste Epalle entra dans la Société des Maristes, son frère aîné le suivant quatre ans plus tard.
Le 8 août 1838, le père Epalle quittait Lyon pour Bordeaux. Dès le 9 septembre, il embarquait pour la lointaine Océanie, accompagné de deux autres prêtres, Maxime Petit, d’Arras, et Claude-André, de Belley dans l’Ain. Le 6 novembre, leur bateau doublait le cap Horn par temps calme avant de faire relâche à Valparaiso le 12 décembre, accueillis par les missionnaires « Picpus » qui avaient une base dans ce port.
Là, les pères attendirent la goélette du « patron » des Picpus,  Mgr Rouchouze, arrivant des îles Hawaii pour récupérer deux prêtres devant être conduits aux Gambier. Le départ eut lieu le dimanche 27 janvier 1839 ; six maristes étaient à bord et leur navire atteignit sans encombre Rikitea le 15 mars ; dans la rade aux bleus étincelants, les Maristes négocièrent l’achat du bateau Reine de Paixet dès le 2 avril, ils repartirent en direction de Tahiti qu’ils atteignirent en quelque semaines. Faisant office de consul de France, Moerenhout leur remit un courrier signé de Mgr Pompallier, évêque en poste en Nouvelle-Zélande (vicaire apostolique d’Océanie occidentale), qui leur demandait de se rendre à Wallis et Futuna, où ses missionnaires devaient se trouver sans ressources. 
Le 2 mai 1839, les Maristes arrivèrent à Wallis pour constater que les rumeurs de maltraitance du père Bataillon n’étaient pas véritablement fondées, le roi se réconciliant totalement avec les religieux qui débarquèrent au nombre de six. Il est vrai que le souverain avait besoin de la goélette pour ramener à Futuna une quinzaine de ses sujets ; pour les missionnaires, c’était une occasion de rendre visite au père Chanel. Le 8 mai, ils arrivaient à Futuna où ils rencontrèrent celui qui avait déjà le titre de vicaire apostolique.
Au terme de cette visite, le père Chanel avait la possibilité de demander à ce que l’un des Maristes reste sur place pour l’aider mais il refusa, préférant rester seul et attendre que, plus tard, Mgr Pompallier lui envoie du renfort. 
On le sait, le père Chanel fut assassiné le 28 avril 1841 par des Futuniens réfractaires à son enseignement. Quant à la Reine de Paix, elle repartit le 29 mai 1839 de Wallis, direction la Nouvelle-Zélande où elle arriva au mois de juin, soit un périple d’un peu plus de dix mois entre la France et son terminus austral.

La misère en Nouvelle-Zélande

A cette époque, Mgr Pompallier avait quitté l’Hokianga, où il s’était d’abord installé, pour s’enraciner à la Baie des Îles, à Kororareka exactement, là même où sévissait la concurrence âpre des pasteurs protestants.
Le père Epalle fut envoyé dans l’Hokianga, où vivait depuis le 4 novembre 1837, dans une absolue précarité, le baron français Charles de Thierry, qui s’était autoproclamé « roi de la Nouvelle-Zélande ». Le 4 janvier 1840, Epalle fut renvoyé côte est, à Whangaroa, pour y établir une nouvelle mission, accompagné d’un autre prêtre et d’un frère, aidé par le chef maori Amoto, déjà converti.
Sur place, le travail était rude, d’autant que le terrain avait été miné par les protestants et qu’il fallait pleinement rassurer les Maoris sur les intentions des catholiques. En mai 1840, le père Epalle fut rappelé à Kororareka pour assister Mgr Pompallier. Un peu d’ordre s’imposait et d’ailleurs, un frère quelque peu voleur et ivrogne en fit les frais et se trouva renvoyé de la mission. Un autre frère se tua en allant à la chasse, un autre démissionna, expliquant qu’il voulait juste fuir ses parents en France.
Vivres, vêtements, soins médicaux, argent, la mission manquait de tout et Jean-Baptiste Epalle s’en plaignit auprès de sa hiérarchie en métropole. Le 15 juin 1841, arrivaient une presse d’imprimerie et onze maristes supplémentaires. 
Mgr Pompallier, le 23 juillet 1841, quitta la mission (il n’y revint que le 26 août 1842) qu’il laissa dans un état de délabrement financier total, car l’évêque était tout sauf un bon gestionnaire. Epalle fut chargé de remettre les comptes à flot, mais faute de moyens, il ne put rien faire d’autre que de tenter de rassurer les prêteurs. Informé du martyre de Pierre Chanel à Futuna, Mgr Pompallier, alors dans l’île du sud de la Nouvelle-Zélande et qui s’apprêtait à partir pour la France, modifia ses projets et décida de se rendre en urgence à Wallis et Futuna où les religieux l’accompagnant récupérèrent les reliques du martyr.

Evêque d’un nouveau vicariat

Le 23 mai 1842, Epalle quitta la Nouvelle-Zélande pour la France, via Rio à bord de l’Aube, vaisseau de guerre français. La première de ses missions n’était pas de recruter (même si les besoins en ce domaine étaient énormes), mais de trouver des fonds pour éviter que la mission de la Baie des Îles ne soit déclarée en faillite et ne soit purement et simplement rayée de la carte. 
Epalle arriva à Lyon le 2 janvier 1843 ; en juillet 1843 il était à Rome pour expliquer les difficultés de la mission en Nouvelle-Zélande et plus généralement dans toute l’Océanie. Au palais de la Propagation de la Foi, le jeune Epalle prêcha pour la création d’un troisième vicariat, concentré essentiellement sur la Mélanésie (vicariat de l’Australie du nord) et d’un quatrième, consacré celui-ci à la Micronésie (vicariat de la Micronésie du sud). 
Finalement, après bien des hésitations, la création d’un vicariat pour la Mélanésie fut actée, mais à une condition, que Mgr Epalle en soit le vicaire apostolique, ce que celui-ci, âgé de 35 ans alors, par modestie, tenta en vain de refuser ; dans la foulée fut nommé son coadjuteur, le père Antoine Dubreul (34 ans). 
Le 15 juillet 1844, les cardinaux se réunirent pour entériner la création du nouveau vicariat apostolique en Océanie occidentale, regroupant Mélanésie et Micronésie. Le pape Grégoire XVI valida dès le lendemain la proposition de ses cardinaux (le 16 juillet 1844), confiant le nouveau vicariat aux Maristes, sous la direction de Monseigneur Epalle. Le 21 juillet, il fut ordonné évêque de Sion. Le 8 août, il était de retour à Lyon.

Escale en Nouvelle-Calédonie

Les plans de Mgr Epalle étaient clairs, face à la menace protestante : ouvrir un premier établissement aux îles Salomon, puis un autre en Nouvelle-Irlande, un autre en Nouvelle-Bretagne et enfin pas moins de quatre en Nouvelle-Guinée.
Le 2 février 1845, faute de trouver un navire en partance pour les Mers du Sud en France, Mgr Epalle se rendit à Londres où il embarqua sur le Bussorah Merchant, direction Sydney, en compagnie de treize missionnaires. Au mois de mai, le bateau faisait escale au Cap, Mgr Epalle se remettant de quinze jours d’une dure maladie. Le 22 juin, le navire entrait dans la rade de Sydney, les missionnaires allant y séjourner quatre mois, aux côtés des pères Dubreul et Rocher, en charge à Sydney de l’accueil des missionnaires et de leurs approvisionnements (ils tenaient ce que l’on appelait alors une maison de procure), Mgr Epalle étant logé à l’archevêché.
Le 23 octobre, après une escale interminable, ce fut enfin le départ à bord de la Marian Watson(goélette de cent quarante tonneaux) pour la Mélanésie, via la Nouvelle-Calédonie, Mgr Epalle désirant rendre une visite à son confrère Mgr Douarre. 
L’arrivée à Port Balade se fit le 17 novembre 1845, alors que des rumeurs affirmaient que Mgr Douarre et ses missionnaires avaient été massacrés par les indigènes. Il n’en était rien ; l’accueil des Canaques fut amical et celui des missionnaires très chaleureux. Aux quatre religieux de Balade, Mgr Epalle confia un frère en renfort, le frère Bertrand. La Marian Watsonreprit la mer le 23 novembre. 
Le 1erdécembre, le bateau était en vue de l’île Arossi aux Salomon, où le navire jeta l’ancre dans une crique sûre, baptisée Port-Saint-Jean-Baptiste. Les naturels, pacifiques, échangèrent de la nourriture contre des perles et des bouteilles vides. Plus au nord, à Guadalcanal, le capitaine prit des précautions face à des Salomonais qu’il estimait animés de mauvaises intentions. Cap enfin fut mis sur l’île Isabelle (aujourd’hui Santa Isabel), but du voyage de Mrg Epalle, où le bateau mouilla le 12 décembre dans la baie des Mille Vaisseaux. 

« Un spectacle horrible »

L’accueil, là aussi, y fut très chaleureux, mais la tribu indiqua que le chef Londo, d’une autre tribu, les Maaga, ne serait peut-être pas aussi bienveillant. Le 14 et le 15 décembre, Mgr Epalle passa ses journées à terre à explorer les environs pour savoir si l’installation d’une mission durable était possible. Sans être inquiété.
Le 16 décembre, de bonne heure, il quitta à nouveau le bateau pour gagner la plage sur une petite baleinière. Le père Verguet, témoin de la scène raconte :« Le boat se dirigea vers la côte, nous le perdîmes de vue. Il était sept heures du matin. Vers les dix heures, on annonça sur le pont que le canot revenait, que cela devait être un bon signe, que Monseigneur aurait sans doute trouvé le lieu de la station… Ce prompt retour nous étonnait cependant, et nous craignîmes qu’il ne lui fût arrivé quelque accident.
Bientôt il n’y a plus de doute. Le boat en s’approchant nous permet de voir Monseigneur ensanglanté… Ses habits sont déchirés, il porte tristement sa tête entre les mains qu’il appuie sur les genoux. Le P. Frémont est à côté de lui, le chapeau de ce père est rouge de sang. Unmorne silence règne sur le navire et dans la petite embarcation. Nous aidons les blessés à monter sur le pont, et le docteur leur prodigue ses soins. Il a commencé par Monseigneur. Le sang ruisselait de sa tête, sa chemise en était tout imbibée, elle avait entièrement changé de couleur. C’était un spectacle horrible ! Je n’ai pu voir sans frissonner ces cinq blessures larges et profondes, dont une seule eût suffi pour donner la mort. Elles avaient chacune environ deux pouces de longueur, et les deux lèvres de la plaie s’entrouvraient de quatre à cinq lignes. Le crâne était percé en quatre endroits. La cervelle avait été si endommagée, qu’elle avait rejailli sur les vêtements avec une fraction du crâne. Le docteur désespéra de la guérison, et nous vouâmes deux cents messes en l’honneur de l’Immaculée Conception, si la Sainte Vierge obtenait de Dieu la conservation miraculeuse d’une vie aussi chère. »

Le signal du massacre

Le massacre de l’évêque, tel qu’il a été décrit à l’époque du drame. Les coups de casse-tête assénés par derrière ne lui laissèrent aucune chance.

Que s’était-il passé à terre ? Le témoignage d’un survivant est précis : « À peine a-t-il cessé de parler (ndlr : le chef de la tribu),que les guerriers se divisent pour attaquer, plusieurs à la fois, chaque Européen séparément. Ils s’approchent avec effronterie, ils enveloppent Monseigneur et les siens. Ils les écartent les uns des autres, en ayant l’air, tout en les poussant, de ne vouloir examiner que leurs habits. Tout à coup, un sauvage, posté derrière Monseigneur, lève sa hache des deux mains et la laisse retomber sur la tête de l’évêque en poussant un grand cri. Monseigneur a reçu sa première blessure…Le cri de ce sauvage est répété par tous les autres, il est le signal du massacre. Le P. Chaurain se trouvait à quelques pas à la gauche de Monseigneur. En voyant tomber le coup qui frappe l’évêque, il se retourne et évite deux casse-tête qui déjà le menaçaient. En fuyant, il rencontre deux pierres, il les saisit, et, s’en servant le mieux qu’il peut, il se fait jour à travers la foule des cannibales et a le temps de regagner l’embarcation. De son côté, le P. Frémont recevait ces deux coups de casse-tête qui deux fois l’ont renversé. Prosper, poursuivi dans sa fuite, s’était jeté à la nage pour regagner le canot (…).Anneau, chapeau et foulard furent enlevés à l’évêque, le chef Longo ayant fait savoir avant l’attaque qu’il voulait la bague et son améthyste ».

On ne pouvait conserver le corps de l’évêque à bord de la Marian Watson : il fut décidé de l’enterrer au petit matin, dans un endroit où il pourrait être récupéré pour être ramené en France. Ses vêtements, lavés, tombèrent malheureusement à la mer et furent perdus.« Sur une des petites pierres du tombeau on a gravé : ici reposent les dépouilles mortelles de Jean-Baptiste Épalle, évêque de Sion, vicaire apostolique de Mélanésie et de Micronésie. Cette pierre a été recouverte de terre. » Le père Frémont prit alors la tête de la mission. De retour à Sydney, ce fut la consternation. Mgr Douarre, revenu de N.-Calédonie, célébra une messe dans une cathédrale comble.


Dix missionnaires morts

Bien loin de là, en Europe, les Maristes avait nommé Jean-Georges Collomb coadjuteur, pour venir épauler Mgr Epalle. Il s’embarqua fin 1845 pour l’Océanie et apprit avec consternation, en juillet 1846 lors de son escale à Tahiti que Mgr Epalle avait été martyrisé aux Salomon. Il sera nommé évêque à Sydney, pour remplacer son défunt prédécesseur. Face à l’assassinat de trois missionnaires, il fera évacuer la mission des Salomon le 3 septembre 1847 et s’installera sur les côtes de Nouvelle-Guinée (île de Rook) où il décèdera à son tour de la malaria le 16 juillet 1848 à 32 ans seulement. 

En 1852, rappelés depuis Lyon par le RP Colin, les Maristes survivants de l’épopée mélanésienne quitteront leurs postes. Du moins ceux qui étaient encore vivants puisque le bilan humain était désastreux : dix missionnaires maristes décédés, dont cinq du fait d’une mort violente. 

La sombre et noire Mélanésie ne reverra plus de Maristes envoyés avec le consentement de Rome avant 1897 !


Gravure ancienne, forcément très approximative, de Mgr Epalle sur son lit de mort. Par décence, ses blessures ne sont pas montrées.

Les îles Salomon ont rendu un hommage philatélique à celui qui fut leur premier évêque catholique.

Cette carte dressée par les rescapés de cette désastreuse aventure indique l’emplacement du drame.

Visale fut la première église en pierre construite aux îles Salomon. Malheureusement, en 1942, un bombardement japonais détruisit la cathédrale bâtie plus tard sur ce site et les restes de Mgr Epalle, qui y avaient été déposés, furent perdus à jamais.

Pas de vengeance !

Malgré la perte de leur évêque, les missionnaires à bord de la Marian Watsonrefusèrent toute idée de vengeance : « Le capitaine était décidé à organiser une expédition punitive.Le soir dumercredi 17, nous avons entendu parler d’un projet d’expédition pour le lendemain, à l’effet d’exercer une vengeance. Le capitaine voulut nous en prévenir lui-même. Il nous annonça d’abord tout simplement « qu’il voulait aller tuer une douzaine de Sauvages dans les tribus qui nous avaient attaqués ».


Une douloureuse agonie

« Le19, on remarqua que ses forces diminuaient sensiblement (ndlr : Mgr Epalle). À onze heures, il a entrouvert plusieurs fois les yeux.On lui a présenté plusieurs fois le crucifix, plusieurs fois il l’a serré entre ses mains. À trois heures et demie, il semblait respirer à peine.Le P. Frémont m’a engagé à réciter les prières des agonisants. Tous les compagnons de Monseigneur, à genoux, formaient un cercle autour de son lit.Le capitaine, le docteur et un officier de l’équipage, aussi présents, avaient les yeux fixés sur le prélat, et donnaient des signes non équivoques de douleur… À quatre heures moins quelques minutes, Monseigneur a poussé un soupir que nous avons pris pour le dernier.Quelques secondes après, il en a poussé un autre et il est allé recevoir sa belle couronne ! »


Un corps introuvable pendant 56 ans

Peu après leur retour à Sydney, les Maristes décidèrent, dès que l’occasion se présenterait, de revenir chercher les restes de leur évêque. Les occasions ne manquèrent pas mais soit que les repères pris n’étaient pas les bons, soit que la végétation avait changé le littoral au point de le modifier, les recherches furent vaines pendant cinquante-six ans !

En 1868, un officier de marine remua ciel et surtout terre, en vain. En octobre 1900, avec le renfort d’une solide équipe de terrassiers, le père Rouillac attaqua palétuviers, terre et vase et finit par retrouver, le 18 octobre, les restes de l’évêque reconnaissables à ses blessures au crâne et à des petits objets religieux posés près des fragments de squelette.

Les restes de Mgr Epalle furent authentifiés à Sydney en janvier 1901 (à Villa Maria, Hunters Hill, près de Sydney, siège des Maristes en Océanie) et repartirent ensuite à Rua Suva, aux Salomon puis à la mission de Visale (toujours aux Salomon) en 1923. Une cathédrale y fut édifiée, détruite le 25 janvier 1825 par un séisme violent, reconstruite et consacrée le 11 mai 1930 ; les reliques du défunt y étaient pieusement conservées. Mais en 1942, la guerre du Pacifique croisa l’histoire des missions maristes. Un bombardement détruisit complètement la cathédrale et les restes de Mgr Epalle furent perdus à jamais… Un évêque dont le pape Jean-Paul II salua la mémoire lors de son voyage apostolique aux îles Salomon, en mai 1984.

En 1982, afin de rendre hommage à ses martyrs, une école privée du nom de Bishop CatholicEpalle Schoolfut fondée par l’Église Romane Catholique au cœur des îles Salomon, à Honiara précisément. Cette école est devenue une des plus vivantes et actives de l’archipel. Elle porte et défend fièrement son nom !


A lire

Sur les pas d’un martyr, Mgr Epalle, 1808-1845, par Christian Epalle
Journal de la Société des océanistes, La première mission catholique aux îles Salomon, décembre 1845-septembre 1847, Tome 17, Claude Rozier, 1961
Marcellin Champagnat, Prêtre Mariste, Fondateur de l’Institut des Petits-Frères de Marie, Monseigneur Laveille, Pierre Téqui, Libraire-Éditeur, 1921
Martyrs des archipels, Joseph Therol, Éditions Saint-Germain, 194

Epalle à propos du père Chanel

Le père Epalle se rappela ainsi sa rencontre avec celui qui allait devenir le premier martyr catholique de la région, le père Chanel : II me souviendra toujours de notre entrevue avec le premier apôtre de Futuna. Il y avait, je crois, près de deux ans qu’il travaillait seul avec un jeune catéchiste à la conversion de cette île païenne et anthropophage. Je vis cet ange de paix et de charité que je croyais avoir embrassé pour la dernière fois, à son départ de France. Quelle agréable surprise pour son cœur, et quels délices pour le mien ! Que je fus édifié de son aimable simplicité ! Son sourire, sa modestie et sa douce gaieté, tout peignait à mes yeux la paix et la joie de son âme.

Sur les pas d’un martyr

Champagnat annonce de futurs martyrs :
« Mes chers Frères, nous avons de grandes actions de grâce à rendre à Dieu de ce qu’il nous choisit pour porter les lumières de l’Évangile aux infidèles de l’Océanie, car cette faveur deviendra une source de bénédictions pour l’Institut… Oui, je ne crains pas de l’assurer et c’est pour moi un grand sujet de joie et de consolation d’y penser, nous aurons un jour des martyrs dans l’Institut, des pères, des frères qui seront immolés par les peuples qu’ils vont instruire qui donneront leur vie pour Jésus-Christ. Ah ! Quel bonheur de mourir pour une si belle cause ! »

La faim à la Baie des îles

Lettre du père Epalle à son supérieur Colin (19 janvier 1842) :
« Vous me demandez : De quoi souffrez-vous ? Avez-vous faim ? Oui, Mon Père, les missionnaires catholiques de Nouvelle-Zélande ont faim. La mission a été réduite à la misère la plus totale et même le peuple de notre petite ville le sait : les prêtres n’ont rien à manger. Ici, à Kororareka, nous ne sommes pas les plus à plaindre. Le peuple nous permet souvent d’acheter à crédit, mais pour trois mois seulement. Après trois mois, nous payons 12 à 15 % d’intérêt. (…) Père Rozet souffre du régime pommes de terre et porc, il voudrait de la farine et du riz. (…) La maison de Père Borjon a été cambriolée et il a tout perdu. (…) Ses voyages dans la brousse sont extrêmement difficiles et il me demande de la nourriture plus consistante. Je dois lui répondre : « Je n’ai rien. » De même pour les Pères Pezant, Séon et Servant. »

Rédigé par Daniel Pardon le Jeudi 18 Juillet 2019 à 17:03 | Lu 1008 fois