1504 : Un Français premier découvreur de l’Australie ?


Ce bateau est la réplique de la “Santa Maria”, la caravelle de Christophe Colomb. Elle jaugeait 223 tonneaux. Paulmier partit pour la terre australe à bord du même type de bateau, l’“Espoir”, qui ne jaugeait que 120 tonneaux, pour un périple qui dura 15 mois, avec soixante hommes à bord !
AUTRALIE, le 30 octobre 2015. L’Australie a-t-elle été explorée pour la toute première fois par un navigateur français, un siècle avant sa découverte officielle par le Hollandais Willem Janszoon ? Dans Tahiti-Infos, le 15 octobre dernier, nous avions montré que les Portugais, dès 1521, connaissaient la grande île. Mais avant eux encore, en 1504, un explorateur, originaire de Normandie, non seulement l’aurait découverte, mais y aurait vécu six mois et aurait même ramené un Aborigène qui se maria plus tard à Honfleur… Plongée dans un passé aussi mystérieux qu’étonnant.

Dès 1488, les Portugais avaient réussi à franchir le cap de Bonne Espérance, au sud de l’Afrique. Lors de son périple vers l’Orient, entre 1497 et 1499, le navigateur lusitanien Vasco de Gama avait été bien plus loin, ouvrant une voie nouvelle au commerce des épices et des métaux précieux entre l’Europe et les Indes. Evidemment, les promesses de cette route ne laissèrent pas indifférents les marins d’autres pays et c’est ainsi que des négociants normands de Honfleur décidèrent de tenter à leur tour leur chance, en confiant un bateau -et leurs économies- à un jeune capitaine n’ayant peur de rien, Binot Paulmier de Gonneville.
Formé au Portugal, il était décidé à braver, lui aussi, les mers australes.

Faire fortune au sud

Avec à son bord deux pilotes portugais, Paulmier quitta Honfleur le 24 juin 1503, pour le grand sud et une terre australe dont l’emplacement était très flou : le Portugais Cabral, le 24 avril 1500, avait en effet découvert, par hasard, un possible continent austral, baptisé Brésil, en s’écartant de la route de Vasco de Gama (navigation à l’ouest de l’Afrique pour suivre les vents portants avant de bifurquer plein est, sur le cap de Bonne Espérance).
“Terra Australis”, Brésil… Tout cela demeurait vague, mais Paulmier en était sûr, il y avait bien un continent austral où faire fortune, à l’est…
Malheureusement pour lui, notre Normand jouera de malchance ; il reviendra, certes vivant, mais sans cargaison susceptible de rembourser la mise de ses associés et sans le profit qui aurait pu financer un second voyage. Mieux même, ou plutôt pire, l’échec commercial de l’expédition fut tel qu’elle tomba dans l’oubli et qu’elle le serait restée à jamais si, en 1663, un membre de la famille de Paulmier, le chanoine de Lisieux, Jean Paulmier de Courtonne, n’avait décidé de rendre hommage à la mémoire de son aïeul en racontant son aventure extraordinaire.

Dans le sillage de Vasco de Gama

Les archives du chanoine sont familiales et imprécises. Elles contiennent suffisamment d’approximations pour que le récit lui-même soit remis en cause à sa parution par certains, qui dénonceront une invention pure et simple, tandis que d’autres, à sa lecture, en concluront, un peu vite, que Paulmier, après une longue dérive due à une tempête au large de l’Afrique du Sud, débarqua bien au Brésil, dans les pas de Cabral. A l’époque, quand on n’allait pas aux Indes, on ne pouvait que toucher les côtes de cette nouvelle terre tout récemment découverte. Personne ne soupçonnant l’existence de l’Australie, il n’était pas pensable d’imaginer y aborder.
O, que fit le bateau de notre intrépide Normand ? Il mit le cap au sud-ouest dans l’Atlantique, pour profiter des vents portants, avant de bifurquer une fois l’équateur franchi, sur Bonne Espérance, dans le sillage de Vasco de Gama.

Un mois de dérive plein est…

Le cap africain était réputé difficile à doubler. Pour Paulmier, ce fut le désastre : il essuya une formidable tempête ; on ne sait pas s’il était déjà dans l’océan Indien ou s’il était encore dans l’Atlantique, mais le fait est que l’Espoir, son petit navire de 120 tonneaux seulement, avec soixante hommes à son bord, devint ingouvernable. Entre les trentièmes et les quarantièmes rugissants, il ne put que se laisser dériver dans l’immensité de l’océan Indien, dramatiquement vide.
A bord, la situation était tendue, le scorbut s’était installé, mais la peur souda l’équipage ; finalement, au terme d’un mois d’errance, sans voir une terre, le 6 janvier 1504, totalement perdu, Paulmier découvrit une côte droit devant et y aborda. Il lui fallait, de toute urgence, faire de l’eau, des vivres, du bois, soigner ses marins et surtout redonner à l’Espoir les capacités d’un véritable navire, apte à rentrer au port.

Des indigènes à la peau claire

L’état du bateau était, en effet, inquiétant et les réparations ne laisèrent que peu de temps aux hommes d’équipage pour commercer. Il n’y a d’ailleurs pas grand-chose à acheter, à troquer ou à échanger, mais malgré tout, Paulmier fut satisfait, car les “naturels à la peau claire” étaient pacifiques ; les relations entre les Français et ce peuple inconnu se maintinrent au beau fixe. Les Indiens ne travaillaient pas, remarqua-il, car la nature était généreuse en nourriture et ils se moquaient des richesses des hommes blancs.
Paulmier de Gonneville le dira, il a touché “le paradis des mers australes” dans ce qu’il appelle “la grande terre australe” ou “les Indes méridionales”.
L’amitié entre les Normands et les Indiens fut si franche qu’après un long semestre de réparations, un jeune homme appelé Essomeriq, fils du chef local, embarqua pour le voyage retour.
Après avoir passé de si longs mois dans ce cadre idyllique, le Normand n’avait plus le temps de chercher à commercer ailleurs ; situant sa découverte à six semaines de voile, en condition normale, à l’est de la pointe sud de l’Afrique, il lui fallait rentrer à Honfleur avec le peu qu’il avait dans ses cales, ce qu’il fit en revenant très difficilement sur ses pas, pour arriver en France au terme d’un calvaire épouvantable, de près d’un an.

Binot Paulmier de Gonneville souhaitait suivre le sillage de Vasco de Gama (notre photo), qui avait ouvert la route des Indes à la toute fin du XVe siècle.

Des pirates, la ruine et la honte…

C’est peu de dire que la route du retour fut éprouvante et interminable ; le pire restait pourtant à venir pour Paulmier : une attaque par des pirates dans les eaux de Guernesey, le 7 mai 1505. Le Normand, pour sauver son navire de l’incendie, le jette à la côte. Toute sa cargaison, tous ses biens, son précieux journal de bord, tout est pillé, détruit, volé, brûlé. A un jet de pierre des côtes françaises, c’est le coup de grâce.

Quinze mois après leur départ, vingt-sept hommes sur soixante avaient survécu.
Livrés à eux-mêmes sur le rivage de France, il leur restait douze jours de marche à effectuer, épuisés, affamés, en guenilles ; honteux, vaincus, ils entrèrent piteusement, le 20 mai 1505, à Honfleur, à pied, sans bateau, sans bagages, sans la moindre richesse et sans gloire aucune.
Binot Paulmier de Gonneville était ruiné et ses associés refusèrent, bien entendu, après une si funeste odyssée, de remettre au pot pour un second voyage. Celui-ci, s’il avait eu lieu, aurait permis de ramener dans son pays l’indigène, peut-être le premier Aborigène ayant jamais posé les pieds en Europe (et fait souche…).
Paulmier, pour le consoler, le maria à une jeune parente qui lui donna quatorze enfants avant de mourir. “L’Indien” se remaria à Honfleur et eut encore sept filles.

L’actuelle Australie occidentale

Quant à l’Australie, il fallut attendre plus de deux siècles pour que les navigateurs comprennent que cet aventureux Français avait, très certainement, été le premier à y séjourner (une “Terra australis” qui n’avait rien à voir avec le Brésil).
La dérive d’un mois de l’Espoir après Bonne Espérance, avec des vents le poussant à l’est, ne pouvait le conduire que sur une seule côte, celle de l’actuelle Australie occidentale, entre les villes de Broome au nord et d’Albany au sud, peut-être là même où se dresse aujourd’hui la moderne Perth…

Au XVIIIe siècle, d’autres marins français lurent et relurent le livre du chanoine de Lisieux, qui se disait descendant de Paulmier et de “l’Indien des terres australes” : des Français qui s’appelaient Bouvet, Bougainville et Kerguelen.

A partir du XVIIIe siècle, les Aborigènes furent toujours dépeints comme des êtres misérables. Paulmier, lui, en ramena un à Honfleur et il le maria à une parente.

Australie : les grandes dates

- Dès le IXe siècle, à l’époque de Charlemagne donc, des navigateurs chinois ont très probablement exploré la côte nord de l’Australie. En 1290, le journal de Marco Polo fait état d’une terre riche au sud de Java.

- Au Xe siècle, des marins venus du Sud-Est asiatique (Bugis, Makassar et Bajau) fréquentent régulièrement les eaux australiennes (le pays est appelé Marege) pour y pêcher des holothuries, revendues ensuite en Asie.

- En 1504, le Français Binot Paulmier de Gonneville passe sans doute six mois sur la côte occidentale de l’Australie, après avoir dérivé un mois depuis le cap de Bonne Espérance.

- Entre 1521 et 1524, le Portugais Cristóvão de Mendonça conduisit la première expédition secrète portugaise (deux ou trois caravelles) en Australie. D’autres navigateurs lusitaniens lui emboîtèrent le pas.

- En 1540, l’existence de la grande île était révélée par les Portugais aux cartographes de l’école de Dieppe, en France ; cette nouvelle terre était baptisée “Java Major” (“Jave La Grande” en français).

- En 1606, la découverte officielle de la “Nouvelle-Hollande” est faite par Janszoon, suivi de nombreux autres navigateurs hollandais.

- En 1688, le boucanier anglais William Dampier suit et reconnaît la côte nord-ouest et finalement, après beaucoup d’autres, James Cook la “découvre” à son tour en 1770. Il accoste à Botany Bay. 18 ans plus tard, la Grande-Bretagne débarque ses premiers forçats ; une nation va naître.

La côte ouest de l’Australie ; il est possible que Paulmier, en 1504, y ait séjourné un semestre entier, entre Broome et Albany.

Rédigé par Daniel Pardon le Vendredi 30 Octobre 2015 à 10:24 | Lu 3578 fois